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La modernité technique face au défi séculaire de la démocratie

Dans le document La politique des netroots (Page 37-48)

Sous-section 1 : Les outils informatiques peuvent-ils contribuer à organiser de nouveaux modes de gestion politique ?

2) La modernité technique face au défi séculaire de la démocratie

Depuis Locke et Montesquieu, la tradition de la théorie politique moderne associe la préférence pour un régime dit « représentatif » à l’impossibilité physique dans les grands États de réunir le peuple sur l’Agora pour décider collectivement des problèmes communs. L’opposition entre démocratie antique (directe et fondée sur la co-présence et l’oralité) et démocratie moderne (représentative et fondée sur la distance physique et la publicité de l’écrit) s’enracine dans l’évidence d’une incontournable difficulté matérielle liée à la taille des États et au nombre de citoyens (Finley, 1976). En d’autres termes, l’existence de mécanismes de délégation (par l’élection) a été justifiée par le fait qu’il était impossible, dans les conditions historiques et socio-techniques liées à l’émergence de la démocratie moderne, de réunir au même moment et en un même lieu l’ensemble des citoyens pour qu’ils puissent ensemble se prononcer sur les affaires de la Cité. Cet argument de l’obstacle ‘technique’ ne doit bien évidemment pas éclipser les positions selon lesquelles, comme l’exprime par exemple J. Madison dans les Federalist Papers 28, délibération et universalité de la participation

sont proprement inconciliables car le principe même de leur association est indésirable, ce qui en soi justifie l’établissement d’un gouvernement fonctionnant selon des principes représentatifs. Dans ce cas, chaque homme vote pour que ses intérêts soient défendus (Constant, 2010).

En matière de moyens de communication, nombreuses sont les innovations dont la mise au point et la diffusion ont été accompagnées par des discours les présentant comme capables de surmonter l’obstacle qui a partiellement justifié l’établissement d’un gouvernement représentatif. Successivement, et sans que cette liste soit exhaustive, le chemin de fer, le télégraphe, le téléphone, la radio, la télévision, le minitel ont été évoqués pour relever le défi

27 Callon, Lascoumes et Barthe rassemblent ces derniers modes sous le vocable générique de « démocratie délégative » :

Callon, M., Lascoumes, P., & Barthe, Y. (2001). Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris: Le Seuil.

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séculaire de la démocratie, c’est-à-dire permettre de réunir en même temps et dans un même espace une communauté de citoyens, aussi nombreux ces derniers soient-ils (Mattelart, 1994). À partir de potentialités déduites de ses caractéristiques techniques, mais aussi d’extrapolations de quelques-uns des usages des premiers groupes d’utilisateurs (Proulx et Bardini, 2000), internet est venu s’ajouter à cette longue liste. Aux yeux de ceux qui attribuent un rôle généreux à la technique, il a dans un premier temps laissé entrevoir la possibilité d’une démocratie directe, fonctionnant sans autre médiations que celles des machines à communiquer 29. Les espoirs suscités ont disséminé le « mirage d’une deuxième

révolution Gutemberg » (Gaudin, 2007). Une utopie technologique qui n’est pas propre à internet a réactivé les fantasmes d’une démocratie directe de grande échelle, irriguée par la participation des citoyens sur une Agora électronique. Mais, au-delà de la prospective, internet a fait une entrée pour le moins discrète dans le répertoire de mobilisation des principaux acteurs politiques, et n’a fait dans un premier temps l’objet que d’une appropriation à la marge de la scène politique institutionnelle.

Entre la seconde moitié des années 1990 et le début des années 2000, un important effort de recherche a été effectué sur le thème général de la « démocratie électronique. » Trois axes de recherche principaux peuvent ici être identifiés. Les deux premiers concernent l’électronisation des procédures existantes et l’intégration de l’outil internet aux pratiques courantes des professionnels de la politique. Ils ne seront donc que rapidement évoqués dans le cadre de ce travail :

- La curiosité s’est tout d’abord principalement portée sur les phénomènes d’électronisation des procédures existantes, principalement le vote et les démarches des citoyens relevant d’une « e-administration. » Bien souvent, les initiatives étudiées ne dépassaient pas le niveau

29 Un tel raisonnement, fortement empreint de déterminisme technologique, comporte une autre face, cette fois contemptrice de l’introduction de la technique, en ce que cette dernière contribuerait à dissoudre pour le pire les médiations qui assurent le bon fonctionnement de la démocratie. A ce sujet, voir par exemple : Virilio, P. (1998). La bombe informatique. Paris: Galilée.

S’instaure ainsi entre les deux positions extrêmes un système d’oppositions qui sépare ceux qui prévoient une surveillance généralisée, telle celle imaginée par George Orwell dans son roman 1984, et ceux qui espèrent l’avènement d’une Agora électronique à grande échelle. Voir à ce propos la perspective proposée par : Van de Donk, W., & Tops, P. W. (1995). Orwell in Athens. A perspective on Informatization et and Democracy. Tilburg: Ios Press.

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local, avec l’apparition de politiques ambitieuses de développement technologique de certaines collectivités territoriales 30.

-Les recherches se sont également développées sur les éventuelles transformations des pratiques des professionnels de la politique à mettre en relation avec l’arrivée d’internet. Les terrains et les moments d’étude privilégiés ont ici été les partis politiques et les campagnes électorales (Gibson et al., 2003) ; (Greffet, 2001).

Certains chercheurs ont voulu trouver des explications au fossé qui pouvait exister entre les promesses des discours prophétiques et les résultats qu’ils ont effectivement obtenus au bout de leurs études : ils ont souvent souligné la prudence d’un personnel politique qui voyait dans l’arrivée d’internet une menace de déstabilisation, ou, plus prosaïquement, un investissement estimé peu rentable au regard du faible pourcentage de la population disposant alors d’une connexion au Réseau.

Mais, comme le note P. Rosanvallon, « ces projets et ces réflexions sur les usages politiques d’internet semblent cependant, au-delà de toutes leurs différences, manquer l’essentiel. Ils se sont en effet uniquement concentrés sur les applications à la dimension électorale- représentative de la vie démocratique 31. »

- Une troisième perspective permet de dépasser certaines limites auxquelles se sont heurtés les deux premiers axes : elle porte quant à elle sur la question de l’espace public ouvert par les technologies de l’informatique connectée ; c’est à partir de cette dernière entrée que se sont développés les travaux sur le débat public en ligne (Monnoyer-Smith, 2007).

30 Quelques villes ont fait l’objet de nombreuses monographies et se sont appuyées sur les politiques volontaristes menées en la matière pour acquérir une certaine notoriété (en France, on peut citer Parthenay ou Issy les Moulineaux à titre d’exemple). Ces études ont servi de support à des comparaisons internationales ; voir par exemple : Vedel, T. (2003). L'idée de démocratie électronique. Origines, visions, questions. In P. Perrineau (Ed.), Le désenchantement démocratique (pp. 243-266). La Tour d'Aigues: Editions de l'Aube.

Aux États-Unis, les expériences pionnières de « démocratie électronique » se sont principalement développés sur la Côte Ouest (Santa Monica, San Francisco…) : Abramson, J. B., Arterton, F. C., & Orren, G. R. (1998). The Electronic Commonwealth: The Impact of New Media Technologies on Democratic Politics. New York: Basic Books.

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L’évocation du troisième axe permet donc d’opérer un rapprochement avec les principales préoccupations de ce travail : il embrasse en effet toutes les recherches qui interrogent les éventuels apports des discussions en ligne à la vie démocratique, et propose une gamme de conclusions qui va de la régénération de l’espace public par l’usage des TIC à sa dégénérescence par l’exacerbation de tendances et des mouvements de recomposition par ailleurs à l’œuvre. La question de la délibération y a acquis une place prépondérante, sous l’effet d’une possible vivification de l’espace public extrapolée des pratiques observées au sein de groupes pionniers d’utilisateurs du Réseau.

La théorie habermassienne de l’espace public bourgeois fait ici office d’horizon commun à ces travaux, dans le sens où ces derniers cherchent en général à la discuter au regard d’études de cas. La référence à la théorie de J. Habermas est parfois même du ressort des acteurs eux-mêmes, puisque M. Mc Clure, premier directeur du WELL (The Whole Earth

Electronic Link), la communauté virtuelle décrite par H. Rheingold, espérait que le projet

devienne « l’équivalent électronique des salons de l’époque des Lumières 32 ». Bien que se

rapportant à des objets différents, la tonalité générale des conclusions qui peuvent être tirées des études entreprises dans cette veine n’est pas sans rappeler celle qui se dégage des deux premiers axes : comme dans les cas précédents, elle est en effet marquée par un sentiment de déception à l’égard d’un idéal et/ou de potentialités non réalisées, comme si des promesses n’avaient pas été tenues.

Les études réalisées dans cette veine ont buté sur plusieurs difficultés, qui se sont parfois cumulées. La première n’est pas spécifique à la ré-exploration des théories de l’espace public à travers le prisme d’internet ; elle est plutôt directement à mettre en relation avec l’emprise de la première version de la théorie proposée par J. Habermas dans les années 1950 (Habermas, 1997), puisque bien des recherches ont fini par confondre ce qui n’est qu’une occurrence avec une norme de l’espace public. Dans cette optique, les études réalisées consistent essentiellement à mesurer la distance qui sépare le modèle fourni par la théorie de

32Le WELL est le groupe de discussion en ligne auquel appartenait H. Rheingold et dont il a précisément décrit le fonctionnement dans son ouvrage consacré aux communautés virtuelles, pour la première fois publié en 1993 : Rheingold, H. (2000). The Virtual Community: Homesteading on the Electronic Frontier. Cambridge, Mass.: MIT Press.La citation de M. Mc Clure est extraite de la p. 30.

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ce qui se passe effectivement au sein de groupes de débat en ligne. Entre une norme exigeante et des discussions souvent estimées indigentes par les chercheurs (Stromer-Galley et Wichowski, 2011), la plupart des études ne peuvent que constater un écart considérable. Cela suscite des jugements d’autant plus sévères que les attentes à l’égard de ce qui est devenu la norme habermassienne sont redoublées et décuplées par celles liées aux potentialités prêtées au mode de communication et d’échange théoriquement autorisé par internet. Appliquées à un autre espace que celui qu’ouvre le net, des hypothèses aussi fortes sur la spontanéité démocratique des échanges permis par un média particulier auraient probablement paru invraisemblables avant d’être testées.

Dès la première phase d’études s’intéressant aux discussions électroniques, certains auteurs ont clairement remis en cause le choix de la théorie habermassienne comme étalon des analyses des débats en ligne. Ce qu’ils observaient ne correspondaient en effet pas à toutes les caractéristiques d’un espace public bourgeois, au sein duquel des discussions rationnelles visent avant tout des situations de consensus que l’on atteint par la force du meilleur argument. M. Poster a par exemple établi qu’un tel modèle était systématiquement mis en échec à l’épreuve des échanges sur le net, malgré les positions symétriques occupées par les participants engagés dans un débat 33 (Poster, 1997).

Sans nécessairement faire référence à une norme inflexible, une autre série de travaux pointe un aspect qui s’avère pour le moins problématique du strict point de vue de l’échange qu’implique une définition minimale d’un débat, en avançant que les groupes de discussion sur internet n’exposent leurs membres qu’à des opinions dont ceux-ci se sentent proches (Wilhelm, 2000) ; (Stromer-Galley, 2002) ; (Lev-on et Manin, 2006) ; pire, le fonctionnement de ces arènes contribuerait même à renforcer ces opinions, par la reproduction sur ce média d’un classique phénomène d’exposition sélective (Davis, 1999) ; (Sunstein, 2006).

33 “For Habermas, the public sphere is a homogeneous space of embodied subjects in symmetrical relations, pursuing consensus through the critique of arguments and the presentation of validity claims. This model, I contend, is systematically denied in the arenas of electronic politics. We are advised then to abandon Habermas’ concept of the public sphere in assessing the Internet as a political domain.” Poster, M. (1997). Cyberdemocracy: The Internet and the Public Sphere. In D. Holmes (Ed.), Virtual Politics: Identity and Community in Cyberspace (pp. 212-228). Londres: Sage.

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Une seconde difficulté tient à ce qui est observé pour mettre la théorie de l’espace public habermassienne à l’épreuve. Le problème tient aux critères de repérage de ce qui relève de la politique dans les débats qui se tiennent sur internet. En conservant une conception institutionnelle de la politique, une grande partie des chercheurs ont porté attention à des terrains sur lesquels ne pouvaient être captés que des signaux faibles : de tels résultats ont effectivement été obtenus par ceux qui ont observé les forums du Parlement européen (Dahlgren, 2000) ou les espaces de discussion sur internet ouverts par des collectivités locales (Wojcik, 2005). Ces travaux n’ont pas toujours pris la mesure des recompositions de l’activité politique pourtant largement appréhendées par les sciences politiques (Perrineau, 2003), que la philosophe néerlandaise N. Marres nomme « déplacement de la politique » pour insister sur le fait que la politique n’est aujourd’hui plus nécessairement organisée par des acteurs traditionnels et au sein de lieux institués, mais qu’elle a tendance à se redistribuer autour d’enjeux spécifiques (ce que l’on appelle les issues dans la langue anglaise), qui peuvent rassembler autour d’eux les groupes qui s’estiment concernés par les problèmes que leur posent une question précise. La thèse que porte N. Marres met en évidence le fait qu’internet est l’outil par excellence d’une telle recomposition de l’activité politique, qu’il accompagne et qu’il précipite. Sur internet, ne relève pas simplement et pas forcément politique ce qui officiellement est labellisé comme tel (Marres, 2005).

Mais l’espace public ne se réduit pas à son occurrence habermassienne. Au-delà de ses apports directs, le principal mérite de la théorie proposée par l’héritier de l’École de Francfort est peut-être d’avoir renouvelé la réflexion sur la théorie démocratique, d’avoir suscité de nombreuses discussions sur ce thème et d’avoir donné lieu à des travaux dont les conclusions sont particulièrement riches. La formulation de la problématique de cette recherche s’appuie sur quelques-unes des conclusions établies par une série de travaux historiques sur le bouillonnement de pratiques qui visent à l’expression de points de vue et d’opinions au siècle des Lumières ; ces conclusions posent des questions qui peuvent être ré- investies pour envisager la manière dont s’organise et se passe le débat sur internet au début des années 2000. Des recherches entreprises au confluent de la sociologie des mobilisations et de la sociologie des médias constituent également des références, en ce qu’elles ont souvent rapidement intégré ces conclusions à leurs protocoles de recherche. Le détour par

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l’historiographie ne vise pas à comparer les situations qui prévalent dans la France du siècle des Lumières et celle de démocraties occidentales de la période contemporaine, mais plutôt à tirer quelques enseignements sur la manière dont a été investiguée une autre époque marquée par une amplification de la circulation de la parole publique.

Une lecture sélective de ces travaux sur la prolifération et la pluralisation d’arènes de discussion amène à tirer trois types d’enseignements principaux qui forgent la manière dont est ici considérée la politique des netroots. Ils concernent tout d’abord la manière d’envisager les procédures dialogiques dont le fonctionnement repose sur des outils de publication sur le Web, en mettant particulièrement en évidence que la conception et la mise en œuvre de ces outils et de ces procédures font l’objet de mobilisation qui traduit un goût pour la discussion publique et la politique. Ils incitent ensuite à envisager les modifications de la représentation du corps politique induites par l’expérimentation de procédures dialogiques qui rendent visibles et audibles de nouvelles entités.

Le premier de ces enseignements est issu de débats sur les origines intellectuelles et culturelles de la Révolution française. Il permet de souligner qu’un lien peut être établi entre les technologies de l’imprimé et l’organisation de la vie démocratique à partir du XVIIIe siècle.

Le passage annoncé, voire prophétisé, d’une « galaxie Gutemberg » (McLuhan, 1977) à une « galaxie internet » (Castells, 2001) aiguise de ce point de vue les questionnements sur les conséquences politiques de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. A quoi pourrait ressembler une politique mise en forme par les nouveaux outils de publication et d’échange qui émergent ? Et surtout, comment étudier et concevoir d’éventuels changements ?

La question des effets politiques des techniques de l’imprimé a été travaillée par une série de travaux historiques. R. Darnton a par exemple présenté le livre comme un instrument de sédition 34, dont la circulation au XVIIIe siècle aurait progressivement sapé l’autorité de la

monarchie absolue. Son enquête l’a de plus conduit à ne pas focaliser toute son attention sur

34 « La sédition couve. Elle s’installe dans les esprits. Nous ne pouvons clairement mesurer ses effets sur l’action ni substituer l’alchimie hasardeuse qui transmue la sédition en Révolution, mais pouvons en suivre les traces, et nous savons de science certaine qu’elle se communique par un instrument formidable : le livre. » Darnton, R. (1991). Edition et sédition: l'univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle. Paris: Gallimard. p. 178.

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les sources officielles, au risque de n’identifier, et donc de n’étudier, qu’un corpus sévèrement tronqué par la censure ; à la différence d’autres historiens ayant abordé le même sujet (Mornet, 1967), il a par conséquent intégré aux sources officielles les archives des éditeurs étrangers. Parmi les expériences à étudier, il apparaît donc particulièrement important de ne pas focaliser l’ensemble de l’attention sur des scènes officielles, mais également de porter le regard sur celles qui s’ouvrent en marge.

De deux positions respectivement structurées autour des travaux souvent opposés de R. Darnton et D. Mornet, on peut, comme le fait P. Chambat, tirer la conclusion que « l’analyse de la constitution de l’espace public exige donc d’associer la question de la médiation technique à une sociologie des pratiques de communication sans laquelle il n’y a pas d’appropriation sociale non pas tant de la technique (l’imprimerie) que de l’objet technique (le livre) 35. »

Cette recherche sur les netroots porte sur la constitution, l’organisation et les projets politiques portés par ces derniers, tout en se donnant pour objectif d’accorder attention et donner un statut aux formes matérielles qui les lient et qui en permet l’action. Les leçons de l’enquête historique invite sur ce point à se garder de « poser la technique comme un donné extérieur à la politique, en oubliant que l’identité des machines à communiquer fait l’objet d’une construction sociale, c’est-à-dire aussi discursive 36 ».

Le deuxième point invite à poser la question générale de la manière de concevoir les rapports entre technique et société (Akrich, 1994). L’introduction et la diffusion d’une technologie de communication, quelle qu’elle soit, peut-elle être la cause d’un foisonnement de pratiques qui démultiplient l’expression publique ? Dans le cas étudié par Darnton, peut-on, pour illustrer une telle idée, établir une causalité entre édition et sédition, qui finit par saper les fondements de l’Ancien Régime ? Il a été reproché aux travaux de l’historien de Yale de considérer l’ébranlement de l’ordre ancien comme le résultat de la circulation d’une littérature séditieuse, alors qu’il ne pourrait s’agir que d’une condition de cette circulation. On peut faire la preuve de la justesse d’une telle critique en mettant en évidence que des

35Chambat, P. (1995). "Espace public, espace privé: le rôle de la médiation technique". In I. Pailliart (Ed.), L'Espace public et l'Emprise de la communication (pp. 65-98). Grenoble: ELLUG. p. 73

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modes d’expression qui ne passent pas par l’écrit et qui contribuent eux aussi à remettre en cause l’autorité royale émergent de manière concomitante. C’est précisément ce que démontre A. Farge, en enrichissant l’opinion publique du XVIIIe siècle d’une composante

populaire (Farge, 1992). Dans Dire et mal dire, l’auteure montre en effet que ce qui était jusque-là considéré comme du « mauvais discours » témoigne en fait d’un « droit de savoir et de juger » qui émerge et s’affirme. Dépourvu d’accès aux technologies de l’imprimé du fait de son « infirmité littéraire », le peuple de Paris de la période pré-révolutionnaire déploie une multitude de pratiques pour constituer une information qui peut circuler et être discutée publiquement. A. Farge dépeint cette curiosité pour la chose publique non comme un trait de

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