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rôle de l’agence dans l’accès au marché du travail

6. JEUNES DÉCROCHEURS : L’AGENCE COMME FORME DE PROTECTION CONTRE L’EXCLUSION SOCIALE

6.3 Profil type (Alexis)

À l’âge de 16 ans, Alexis abandonne ses études et s’enrôle dans l’armée canadienne. Il effectue d’abord son service dans la réserve puis intègre la force régulière à sa majorité. À 22 ans, il se voit malheureusement dans l’obligation de mettre fin à son service militaire suite à un accident de voiture. Il touche, pendant près de huit mois, des prestations d’assurance-emploi. Alexis enchaine alors les emplois dans les épiceries et les restaurants, et ce, avant de s’inscrire dans les agences.

Par l’intermédiaire d’une première agence, il décroche une dizaine de contrats. Il obtient entre autres un emploi de quatre mois dans l’industrie des services alimentaires, et un emploi de trois mois dans le commerce de détail. Par l’intermédiaire d’une deuxième, il décroche plusieurs autres contrats, dont un emploi de six mois dans une usine de transformation alimentaire. S’il rencontre des difficultés avec la première agence, notamment en ce qui a trait à la paie, son expérience avec la deuxième est positive sur toute la ligne. Il voit l’arrivée de celle-ci dans son parcours comme le « coup de pied au derrière » dont il avait besoin pour continuer à avancer. Alors sans emploi et sans abri, les responsables de l’agence procurent à Alexis réconfort et soutien.

« Ça a été comme un coup de pied au derrière, dans le fond, parce que je perdais tout le temps mes « jobs »… J’étais tout le temps à temps partiel ou sur appel. J’étais en train de tomber en déprime totale, au point où je me suis retrouvé dans la rue. J’ai perdu mon loyer, vraiment là […] donc ça m’a comme donné un coup de pied pour me remettre sur le droit chemin […] Ils [les responsables de l’agence] étaient là pour moi. À mettons que j’étais déprimé, que je ne « feelais » vraiment pas, je pouvais les appeler puis ils me remontaient le moral. Parce que des fois, tu peux être déprimé parce que tu fais des recherches et que t’en trouves pas ou t’es tanné d’une « job » tout simplement. Eux, ils t’aident à mieux comprendre pourquoi tu n’aimes pas la « job », qu’est-ce que tu peux faire pour que la « job » soit… » (H2S31)

Alexis signe avec eux un contrat comparable, selon lui, à la protection offerte aux salariés syndiqués en matière d’emploi. Par ce contrat, l’agence s’engage à lui fournir 700 heures de travail dans une même entreprise ou dans plusieurs au besoin. À ses yeux, c’est ce qui rend le travail en agence particulièrement avantageux : il permet aux individus de se mettre à l’abri du chômage et d’autres risques liés à la perte d’un emploi. C’est d’ailleurs pour continuer à bénéficier de cette « protection » qu’il refuse un emploi que lui offre une entreprise cliente.

« Comme de fait, quand j’ai perdu la « job » chez X parce que l’usine a fermé, j’ai appelé l’agence tout de suite. Le lendemain matin, j’avais déjà une nouvelle « job »

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[…] Il n’y a aucune place où tu vas perdre ta « job » et que le lendemain t’en as une autre ailleurs. » (H2S31)

Lors de l’entrevue, Alexis recevait de l’aide financière du gouvernement, car il avait cessé de travailler pour reprendre les études. Il venait d’obtenir son diplôme d’études secondaires aux adultes et s’apprêtait à commencer une technique collégiale en gestion et exploitation d’entreprise agricole ; son rêve était de démarrer un jour sa propre ferme laitière. À la recherche d’un emploi à temps partiel, il envisageait de rappeler l’agence.

69 Tableau 19 : Typologie des trajectoires et des rôles de l’agence, synthèse

Type Caractéristiques du groupe Expérience de travail en agence Répondants

Étudiants universitaires

Études en cours (niveau universitaire)

Aucune interruption des études, ou interruption de courte durée (six mois à un an) ; le retour aux études est prévu. Sans changement de domaine d’études, voire un seul Travail à temps partiel pendant l’année scolaire, à temps plein pendant l’été

Emplois étudiants, sans lien avec le domaine d’études

L’agence comme source de revenus d’appoint…

Inscription fortuite via Emploi-Québec et autres sites de recherche d’emploi

Accès à des emplois étudiants

Rôle de l’agence : fournir du travail aux jeunes pendant la durée de leurs études.

F1U02, H3U03, F1U05, F2U10, F2U12, F1U15, F1U16, F2U21, H6U23, H2U30, F1U36, F1C37, H1U11 (Vincent)

Diplômés en voie d’insertion professionnelle

Études complétées (niveau universitaire)

Aucune interruption des études, ou interruption de courte durée (six mois à un an) ; le retour aux études est prévu. Sans changement de domaine d’études, voire un seul Travail à temps partiel pendant l’année scolaire, à temps plein pendant l’été

Emplois étudiants et stages d’études

L’agence comme tremplin…

Inscription délibérée auprès des agences à la fin des études

Accès à des emplois lié à la carrière

Rôle de l’agence : permettre aux jeunes d’accéder à une première expérience professionnelle liée à leur

formation.

H1U14, F1U17 (Audrey)

Jeunes en transition

Études complétées (niveaux variables) Acquisition d’un premier diplôme

Interruption des études (plus d’un an) pour travailler ; le retour aux études est prévu, mais non planifié. Changement d’orientation scolaire

Pendant les études : travail à temps partiel et à temps plein l’été (emplois étudiants)

Pendant l’interruption des études : travail à temps plein (emplois divers)

À la fin des études : travail à temps plein (emplois d’attente, sans lien avec le diplôme)

L’agence comme point de passage…

Inscription fortuite via Emploi-Québec et autres sites de recherche d’emploi

Emplois à temps plein, sans lien avec le diplôme Rôle de l’agence : permettre aux jeunes de travailler pendant une période de transition des études vers le marché du travail.

H1U04, F5C06, H1U07, H1S26, H2S32, H1U40, H1C25 (Martin)

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Type Caractéristiques du groupe Expérience de travail en agence Répondants

Jeunes « explorateurs »

Études complétées (secondaire, parfois collégial), d’autres inachevées

Parcours marqué par de nombreux allers-retours : alternance entre périodes d’études, périodes d’emploi, et projets personnels (voyages, loisirs)

Nombreux changements de domaines d’études Objectifs professionnels imprécis

Incapables de se projeter dans le long terme, vivent dans le court terme.

L’agence comme moyen de concilier études, travail et projets personnels…

Première inscription fortuite via Emploi-Québec et autres sites de recherche d’emploi, recours subséquents délibérés

Accès à des emplois temporaires (temps partiel/temps plein)

Rôle de l’agence : permettre aux jeunes de concilier études, travail et projets personnels.

F1C08, F4U13, H3U22, F5C35, H1S18 (David)

Jeunes immigrants

Études en cours (niveau universitaire)

Aucune interruption des études, ou interruption de courte durée (six mois à un an) ; le retour aux études est prévu. Sans changement de domaine d’études, voire un seul Travail à temps partiel pendant l’année scolaire, à temps plein l’été

Emplois étudiants

Stages d’études (étudiants étrangers)

Mise à niveau scolaire à l’arrivée au Québec (jeunes

immigrants réfugiés)

L’agence comme voie d’intégration au marché du travail québécois…

Inscription délibérée, suite à un conseil d’ami ou à une expérience en agence à l’étranger

Accès à des emplois étudiants

Rôle de l’agence : faciliter l’intégration des jeunes au marché du travail québécois ; les agences étant réputées pour leur ouverture aux immigrants.

H3U01, H1S09, H3U20, F5U24, H3U29, F1U33, F3U34, H1U38, H1U39, H2U27 (Ibra)

Jeunes décrocheurs

Jeunes sans diplôme d’études secondaires

Alternance entre périodes d’emplois (d’agences ou non), périodes de chômage et de recours à l’aide sociale Entretiennent tous le désir d’améliorer leur situation (retour aux études).

L’agence comme forme de protection contre l’exclusion sociale…

Première inscription fortuite (Emploi-Québec), inscriptions subséquentes délibérées

Accès à des emplois peu qualifiés, en raison de leur faible niveau de formation

Rôle de l’agence : procurer à ces jeunes un abri contre le chômage.

H5S19, F4S28, H2S31 (Alexis)

71 En somme, les jeunes qui recourent aux services des agences de placement présentent des profils variés tant sur le plan scolaire que professionnel. Sur le plan scolaire, ils se distinguent selon leur niveau d’études et les interruptions ou les changements d’orientation qui marquent leur parcours. Sur le plan professionnel, les emplois qu’ils occupent reflètent leurs différentes situations sur le marché du travail. Aux études, en voie d’insertion ou en réflexion quant à leur avenir professionnel, ils se tournent vers les agences avec des besoins en emploi divers. L’organisation des résultats sous forme de typologie permet non seulement de rendre compte de cette diversité, mais également de découvrir les rôles que sont appelées à jouer les agences dans les trajectoires des jeunes. C’est à travers leurs perceptions sur leur expérience de travail en agence ainsi que l’analyse de leurs profils scolaire et professionnel qu’il a été possible de regrouper les jeunes en six groupes. Le premier groupe est celui des étudiants universitaires (1). Le rôle des agences est de leur procurer une source de revenus d’appoint pendant la durée de leurs études. Pour un deuxième groupe, celui des diplômés en voie d’insertion sur le marché du travail, les agences constituent un tremplin en leur permettant d’accéder à une première expérience professionnelle liée à leur formation (2). Pour les jeunes du troisième groupe, les agences sont un employeur de transition (3). Elles leur permettent de travailler en attendant qu’ils se placent dans leur domaine ou en attendant d’arrêter leur choix de carrière et de retourner aux études. Les jeunes « explorateurs » du quatrième groupe, quant à eux, se tournent vers les agences, car elles leur permettent de concilier études, travail et projets personnels (4). L’ouverture des agences aux étrangers permet de faciliter l’intégration au marché du travail québécois des jeunes immigrants du cinquième groupe (5). Le dernier groupe, celui des jeunes décrocheurs, voit le travail en agence comme une forme de protection contre l’exclusion sociale (6). Il leur permet de trouver facilement du travail et d’enchainer les contrats, les mettant ainsi à l’abri des risques liés à la perte d’un emploi. Au final, la typologie met en évidence la forte mobilité des jeunes sur le marché du travail. Ils alternent périodes d’études et périodes d’emploi, changent d’orientation scolaire et passent d’un emploi à un autre selon leurs besoins. Force est de constater que les agences accompagnent les jeunes dans leurs nombreuses transitions sur le marché du travail et répondent à une grande variété de besoins.

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Deuxième partie

Pratiques de recrutement, conditions de travail et recours aux

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