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Les désavantages de faire affaires avec une tierce partie

travail et satisfaction des jeunes salariés par rapport à l’emploi 1 LES PRATIQUES DE RECRUTEMENT : TECHNIQUES D’ÉVALUATION ET CRITÈRES DE

SÉLECTION DES CANDIDATS À UN EMPLOI D’AGENCE

2. LES INCONVÉNIENTS DU RECOURS À UNE AGENCE

2.2 Les désavantages de faire affaires avec une tierce partie

Être travailleur d'agence signifie devoir composer avec deux entités corporatives, l'agence et l'entreprise cliente, qui cherchent à prendre en charge, selon les cas, certaines des fonctions de l'employeur. Cette relation à trois risque d'entrainer des problèmes de communication de différentes natures : quelques fois, l'information transmise par l'agence au travailleur au sujet des tâches à effectuer au cours de son mandat est déficiente alors que d'autres fois, c'est la possibilité

109 même de discuter de son dossier avec les personnes responsables à l'agence qui pose problème. De plus, la façon dont l'argent déboursé par l'entreprise-cliente est partagé entre l'agence et la personne ayant effectué le travail soulève parfois des questionnements, parfois la désapprobation des travailleurs.

En effet, certains travailleurs notent un décalage entre les tâches telles que décrites par l’agence au moment où elle leur propose le mandat et les tâches qu’ils auront par la suite à effectuer dans l’entreprise.

« Parce que j’ai trouvé que, parfois, entre ce qui était… Pas tellement pour le dernier, hein. Mais pour ce qui est de peut-être, écrit, annoncé et ce vers quoi on se trouve en réalité, il y a peut-être un décalage en fait. […] Disons qu’on a toujours des surprises en fait […] » (F3U34)

« […] Le fait que […] la définition de tâches qui m’avait été proposée dans les deux postes ne correspondent pas à ce que j’effectuais comme travail sur place, puis [qu’il y avait] quand même une bonne différence salariale… Quand même une fois, par la suite, rendu dans l’entreprise, quand j’ai dit : “ Je ne fais pas les tâches qui sont marquées dans […] Je ne fais pas les tâches qui sont par rapport à mon contrat ”. […] Ils ont dit : “ Non, on ne changera pas, on ne te changera pas de salaire. ” Ça fait que ça, ça m’a créé vraiment une mauvaise expérience avec les agences de placement. » (H3U26)

Ce dernier travailleur émet l’hypothèse que cette inadéquation entre les tâches annoncées et les tâches réelles, et parfois, les problèmes de « fit » entre l’entreprise et le candidat, pourraient être dus au fait que l’agence est une tierce partie et qu’elle n’en connaît pas assez sur le poste à combler et sur l’entreprise dans lequel il s’insère :

« Un autre point négatif, c’est l’impression que les agences de placement ne vont pas nécessairement connaître très bien les exigences du poste en termes… pour les tâches à réaliser. […] Donc, ils ne vont pas nécessairement savoir qu’est-ce qu’ils sont en train d’offrir comme poste. Puis, j’ai également, je vois également comme défaut, je me demandais, comment est-ce que l’agence de placement peut choisir un candidat pour une entreprise […] si le candidat doit s’intégrer dans la culture de l’entreprise dans l’équipe de gestion de l’entreprise. J’ai de la difficulté à comprendre comment est-ce qu’un acteur externe peut faire ça. » (H3U26)

Dans ce contexte, ce même travailleur hésite à faire affaires à nouveau avec une agence de location de personnel en raison du peu d’informations qu’elles sont en mesure de fournir sur l’entreprise et le poste à combler :

« J’ai des réserves. J’ai une retenue avant de, d’appliquer pour des postes, avant de regarder pour les agences de placement […] et je regarde ça vraiment d’un œil méfiant. Et […] quand que je consulte les offres, je trouve ça toujours … je ne

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trouve pas ça agréable de chercher des emplois par une agence de placement, parce qu’on connaît pas l’employeur. […] Ils ne déclarent pas c’est qui l’entreprise cliente. Donc c’est jamais une bonne idée, c’est quoi vraiment la vraie nature de l’emploi, c’est quoi l’environnement de travail, c’est quoi les tâches plus précises qui sont à accomplir. » (H3U26)

Quelques travailleurs indiquent que le fait de ne jamais pouvoir se retrouver dans les mêmes lieux physiques que les représentants de l’agence complexifie davantage la situation lorsqu’ils avaient des questions à poser ou des problèmes à régler (F1U16, F1U39, H2S31, H3U22).

« Négatifs, encore là, pour les paies, si j’avais des questions ou quoi que ce soit il fallait que je les appelle et des fois je tombais sur des boîtes vocales. Pour ça, si ça avait été quelqu’un dans le bureau, j’aurais pu aller le voir, tandis que là, vu que ça n’était pas dans la même bâtisse, bien c’était un peu plus “ tannant ” pour ça, mais pour le reste j’ai trouvé que ça ne changeait pas grand-chose que si c’était la compagnie. » (F1U16)

« R : Bien, c’est des gens qui nous aiguillent vers un secteur qu’on veut aller travailler. Puis, qui font les démarches pour nous finalement. C’est seulement ça. Parce qu’après ça, tu leur demandes des trucs, puis : “ Non, demande à ton employeur. ” Puis, […] ils ont comme une petite job au début, puis ben c’est ça. Q : Après ça tu ne les vois plus vraiment ?

R : Non.

Q : Tu n’es plus en contact avec eux ? R : Non. » (H3U22)

Des répondants font également état des difficultés et de la confusion découlant de la relation tripartite. D’une part, devoir se référer à deux entités (l’agence et l’entreprise cliente) au lieu d’une seule risque de créer un vide dans lequel ni l’une ni l’autre des deux entités corporatives n’agit comme responsable des travailleurs d’agence :

« Bien, en fait, on était pris comme dans un entre-deux. Justement, quand on avait des demandes, là on n’était pas vraiment épaulé d’un bord ni de l’autre. On était comme laissé à nous autres même. » (H3U22)

D’autre part, la relation tripartite crée chez certains un inconfort ou un malaise qui tient au fait qu’elle crée deux groupes distincts de travailleurs, les travailleurs d’agence et ceux engagés par l’entreprise cliente, qui ne bénéficient pas des mêmes conditions.

« Tu sais, moi j’étais un peu inconfortable en fait à m’associer à [telle agence] parce que je trouvais vraiment que la relation entre l’employeur et l’agence de placement était moins claire parce qu’en fait, c’est eux qu’il fallait que tu appelles si jamais un

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matin tu ne pouvais pas entrer. Ce n’était pas à ton employeur. C’est eux qui faisaient ta rémunération. On aurait dit que ça me rendait vraiment inconfortable, tout d’abord parce je trouvais ça mêlant psychologiquement à savoir c’est qui mon employeur, et deuxièmement parce que tu peux travailler avec des personnes qui sont permanentes dans l’entreprise qui elles n’ont vraiment pas les mêmes conditions de travail, je suis assez certaine, et je trouve ça un peu choquant. Je ne trouve pas ça agréable comme pensée. C’est toujours en train de comparer. » (F2U12)

Finalement, un grand nombre de jeunes intérimaires identifient le fait que les agences prélèvent une cote sur leur salaire comme étant un inconvénient de l'industrie de la location de personnel (F5C35, F1C08, F1U01, F1U17, F5C06, H1C25, H1S26, H1U11, H1U40, H3U03, H3U22).

Certains, même s'ils perçoivent cela comme étant un désavantage, reconnaissent qu’il s’agit d’une pratique légitime puisque l’agence doit être rémunérée pour ses services :

« […] peut-être le petit facteur négatif, qui est un peu normal par exemple, c’est qu’ils retirent un certain montant sur ta paye, qui est pas nécessairement gros, mais qu’on est capable d’aller chercher, qu’on est capable de gagner en allant chercher un autre emploi ailleurs. Sans nécessairement […] comment je pourrais dire […], mais c’est pas un gros point négatif. Parce que veut, veut pas, il faut qu’à un moment donné eux autres de leur bord gagnent quelque chose pour les services qu’ils nous offrent. Mais c’est peut-être pas mal le seul. » (H1C25)

« Pour moi, en tout cas, [travailler pour une agence], ça m’a rien enlevé, ça m’a rien donné. Bien oui, ça m’a enlevé de l’argent, mais ça m’a rien vraiment donné. […] Pis négatif, ben l’aspect pécunier est … il est moindre. Parce qu’on se fait prendre. Pis là, c’est normal aussi, ils font le travail de te trouver un. Mais, là, c’est ça. »

D’autres voient plutôt d’un mauvais œil le fait que l’agence prélève un certain montant d'argent sur ce que lui verse l’entreprise cliente, principalement parce qu’ils jugent que les travailleurs ne retirent pas assez de bénéfices de ce ménage à trois :

« négatifs, bien, je trouve qu’ils font…Tu sais, le but d’une agence de placement c’est quand même de faire de l’argent. C’est une “ business ” comme une autre, mais je trouve qu’ils font de l’argent sur le dos de personnes qui ont besoin des agences pour faire leur expérience, personnellement. Ça fait que je trouve que ça ne nous donne pas beaucoup de possibilités. » (F1U17)

« Là, tu te demandes : “ Bon, si eux se permettent de te payer un tel salaire, combien est-ce qu’ils font de l’heure sur moi qui a travaillé là ? ” Il y avait ça qui était un peu… Quand j’étais ressorti de là, c’était un peu ça que j’avais en tête. » (H1U40)

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« L’agence est vraiment juste là pour se prendre une cote. […] Bah, parce que ce gars là, comme je te dis, sa job dans la vie, c’est de prendre une cote sur nos payes. » (H1U11)

« R : Ce que je trouve plate, c’est que je trouve qu’ils se font un peu d’argent sur notre dos.

Q : OK.

R : Ils sont payé mettons […] 18 de l’heure, puis ils nous donnent... C’est sûr qu’ils ont de la gérance à faire, les payes, toute, mais je trouve que...

Q : Ça justifie pas ?

R : Ça ne justifie pas vraiment. » (H1S26)

Quelques-uns ne semblaient pas être au courant que l’entreprise cliente versait un montant plus élevé à l’agence que ce que cette dernière remettait aux travailleurs et s’en étonnaient. Ils ont souvent entendu parler de cette façon de faire par d’autres personnes (par des rumeurs) et ne l'accueillent pas très positivement :

« Bien, en fait, j’ai toujours eu comme un petit doute… On passe par l’agence… Est-ce qu’ils ont une cote sur mon salaire ? Il y a des rumeurs, des fois on entend ça, ou si c’est vraiment l’entreprise qui paye et une fois que tu es à l’emploi si c’est réglé. Je ne sais pas. » (F5C06)

« R : Avant d’avoir eu cette expérience-là, j’aurais été un peu frileuse à l’idée d’approcher une agence.

Q : Tu avais comme un préjugé négatif ?

R : Oui. Peut-être par des trucs que j’avais entendus. Q : OK.

R : Comme de quoi qu’ils gardaient des sous sur ton salaire, des trucs comme ça. » (F1C08)

3. CONCLUSION

Les jeunes travailleurs d’agence interrogés perçoivent à la fois des avantages et des inconvénients à travailler pour une agence de location de personnel.

Sans grande surprise, un des plus importants avantages qu’ils y voient est le rôle d’intermédiation de l’agence, qui met en contact le chercheur et le demandeur d’emploi : il s’agit d’ailleurs là de la

113 raison d’être même de l’industrie de la location de personnel. En effet, en s’y engageant, ils arrivent à trouver un emploi plus facilement et plus rapidement que s’ils en avaient fait la recherche par leurs propres moyens, en plus d’être parfois placés dans des emplois qu’il leur aurait été impossible de dénicher par eux-mêmes. Fait intéressant : alors que l’acquisition de nouvelles compétences ou expériences de travail figurent souvent parmi les motifs énoncés pour se tourner vers l’industrie de la location de personnel3, les travailleurs ne l’ont pas nommé comme un des

avantages perçus du recours aux agences, laissant sous-entendre que cette attente a peut-être été déçue. Au contraire, les répondants mentionnent surtout des avantages ayant trait à la découverte de soi et à l’acquisition d’aptitudes relationnelles. Tout comme d’autres travailleurs d’agence du Québec4 ou d’autres juridictions5, ils citent également la flexibilité des horaires de

travail qui leur permet de mieux concilier leur gagne-pain et leur vie personnelle (ex : sports, loisirs, études, amis, conjoint-e) comme un avantage majeur.

Quant à eux, les inconvénients nommés ont trait principalement aux incertitudes qui découlent du travail en agence : l’incertitude économique (liée à de faibles et variables salaires et avantages sociaux), l’incertitude reliée aux heures de travail (liée à l’impossibilité de prévoir l’horaire de travail et la durée du mandat) et l’incertitude reliée aux lieux de travail (liée à la variabilité des lieux de travail et la distance parfois éloignée du lieu de résidence). Ces zones d’incertitude se renforcent les unes les autres pour créer des aires de vulnérabilité accrues pour les travailleurs d’agence : l’incertitude du nombre d’heures de travail, du salaire, des avantages sociaux renforcent la difficulté de planifier leur vie personnelle et leurs finances, ce qui augmente la difficulté de se projeter dans le futur et, d’autant, les risques d’être plongés dans une situation de précarité.

Dans ce contexte, notons que la cote prélevée par l’agence sur la facture payée par l’entreprise cliente suscite des réactions fort variées, mais souvent négatives : alors que certains voient cette cote comme la rémunération de l’agence pour les services rendus à la fois aux entreprises clientes et aux travailleurs, elle en rend d’autres plutôt inconfortables. Ces derniers n’ont pas l’impression que les gains sont répartis équitablement dans cette relation à trois et ils ne jugent pas recevoir leur juste part du gâteau. De plus, certains sont mal à l’aise avec l’idée d’effectuer le même travail que leurs collègues embauchés directement par l’entreprise cliente tout en recevant un traitement

3 Voir notamment J. Bernier, M.-J. Dupuis, L. L. Fontaine et M. Vultur. Les salariés d’agence de travail temporaire :

conditions de travail et pratiques des agences, Cahiers de l’Alliance de recherche universités-communautés

(ARUC) Cahier de transfert CT-2014-001, Québec, 24 mars 2014, 180 pages, aux pages 56 à 58.

4 Ibidem.

5 Confédération internationale des agences privées de placement (CEITT), The agency work industry around the

114 inférieur (en termes de salaire, avantages sociaux, conditions de travail, reconnaissance, stabilité, etc.)6.

Finalement, notons que les jeunes travailleurs d’agences interrogés dans le cours de cette recherche semblent plus optimistes en ce qui concerne les bénéfices du recours à une agence que d’autres intérimaires québécois et canadiens sondés dans de récentes études7. Cette différence

pourrait être due au fait que les répondants sont de jeunes travailleurs qui ont une expérience de travail relativement limitée et un parcours scolaire et professionnel sinueux : ainsi, il est possible qu’ils aient peu de comparatifs ou encore qu'ils soient parfois habitués à (et même, dans certains cas, qu’ils recherchent) l’aspect temporaire, toujours changeant et en apparence précaire du travail en agence. Il nous apparaît plausible qu'ils aient une perception différente de leur emploi et de leur statut puisque le travail en agence occupe une place différente dans leur vie que dans celle d’une personne qui y aurait recours, par exemple, dans le but d’acquérir des nouvelles compétences et expériences afin de finalement sécuriser sa trajectoire sur le marché du travail. Le positionnement relativement plus « optimiste » des jeunes face au recours aux agences de travail temporaire peut également relever d’un individualisme plus accentué et d’une adhésion plus marquée de cette classe d’âge aux normes du modèle productif post-fordiste et notamment à la norme de la flexibilité et à la responsabilité individuelle en matière d’employabilité, que certaines recherches faites au Québec ont mis en évidence8.

6 Voir aussi le chapitre 1 du présent rapport.

7 J. Bernier et. al., op. cit. ; M. Vultur et J. Bernier (dir.), Les agences de travail temporaire : leur rôle et leur

fonctionnement comme intermédiaires du marché du travail, Québec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2014,

282 pages ; É. Bourguignon, « Le travail temporaire en agence, une forme particulière d’emploi » dans Jean Bernier, Ysabel Provencher et François Vincent (dir), Cahiers de l’Alliance de recherche universités- communautés Innovations, emploi et travail, Cahier de transfert CT-2009-006, 2010, 40 pages ; D. Van Arsdale et M. Mandarino, « The proliferation and consequences of temporary help work : a cross-border comparison » 2009 14 automne Just Labour : A Canadian Journal of Work and Society 1-12.

8 D. Mercure et M. Vultur, La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec,

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Troisième partie

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