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Recherche et formation des enseignants : Situation de l’objet de recherche

1.1. Éléments du contexte actuel

1.1.3. Un professionnel du métier

L’actuel courant de professionnalisation du métier d’enseignant, lié aux propositions de réformes des années 1980, vient donner une dimension internationale à la question de la teneur et des finalités de la formation des enseignants. La professionnalisation recouvre une réalité complexe : elle signifie autant la transformation structurelle du métier que la mise en œuvre de stratégies orientées par des objectifs et une éthique à la place de règles d’action préétablies. Pour l’enseignant, elle implique le développement d’une attitude réflexive et autonome (Altet, 2000). Derrière le terme de professionnalisation se cache le vœu pieu d’élévation du statut du métier (Criblez, Hofstetter & Périsset Bagnoud, 2000). Si l’on admet qu’une formation est nécessaire pour apprendre un métier, comment l’apprend-on de façon à devenir un professionnel du métier ? Qu’est-ce qu’une formation professionnelle des maitres ? Le courant de professionnalisation interroge la nature des savoirs en jeu ainsi que les liens qui préexistent entre les instances impliquées (Bourdoncle, 1993).

Professionnalité et professionnisme

Deux acceptions sont données au terme de « professionnalisation ». Pour Lang (1999), reprenant Bourdoncle (1991), il renvoie en premier lieu « aux processus de construction et d’approfondissement de compétences et de savoirs nécessaires à la pratique d’un métier » (p. 26), c’est-à-dire au développement professionnel. Cinq affirmations viennent étayer cette première acception, nous les reprenons :

1. L’exercice d’une profession repose sur des savoirs et savoir-faire spécifiques.

2. Les acteurs de la profession possèdent des compétences liées à l’expérience et développent progressivement une expertise.

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3. Les objectifs de la professionnalisation sont l’efficacité des acteurs en termes de résultats3 et l’efficience en termes d’économie des moyens.

4. L’expertise ne peut être simplement individuelle, elle doit se répercuter sur l’ensemble du groupe professionnel.

5. La professionnalisation ne peut être effective que si elle se base sur des savoirs transmissibles, des « savoirs de la pratique, objectivés » (Lang, 1999 ; Vanhulle &

Lenoir, 2005).

Il s’agit là d’une conception de la professionnalisation qui correspond à la tendance nord-américaine orientée vers la standardisation du métier d’enseignant. Dans une logique instrumentale, ce courant présuppose que la professionnalisation conduit à la professionnalité.

La deuxième acception du terme « professionnalisation », que Lang nomme le

« professionnisme », renvoie à la place du groupe professionnel dans la division du travail et aux stratégies mises en place par ce groupe pour valoriser socialement ce qui fait sa spécificité. Ce dernier pan de la professionnalisation, cette culture commune au groupe professionnel, se réalise plus difficilement dans le domaine de l’enseignement étant donné la difficile liaison entre le milieu pratique et l’institution universitaire. « Comment l’université peut-elle contribuer à l’essor social d’un groupe professionnel qu’elle-même ne représente pas ? » (Vanhulle & Lenoir, 2005, p. 38).

Des freins à la professionnalisation

Parmi les obstacles à la professionnalisation du métier d’enseignant, relevons l’insistance sur la formation de personnes et non de collectifs ainsi que la persistance d’idées reçues autour du métier d’enseignant.

Au regard du professionnisme, Chevallard (1999b, 2003) critique l’emphase mise dans la formation sur l’accroissement de la qualification personnelle. Il associe cet état des choses à la vision traditionnelle du métier de professeur. Cette vision, d’après lui, « ne permet guère de situer (…) la formation des professeurs parmi l’ensemble des conditions qui concourent

3 Lessard reformule cette idée ainsi : « produire des enseignants plus performants » (1997, p. 264).

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au développement du système scolaire ou en inhibent les potentialités » (1999b, p. 1). En insistant sur la seule formation des personnes, on oublie le rôle joué par la recherche et par le système dans la formation des maitres.

L’oubli de ces réalités historiques que sont la recherche et le système va de pair, en règle générale, avec une logique lourdement individualiste et platement positiviste de la formation, qui suggère de s’adresser à chaque professeur pris dans son

« irréductible singularité » en vue de compléter ses connaissances, selon une logique purement cumulative calée sur les seuls manques (supposés) du « formé » *…+ Ce qu’on oublie alors, c’est que les « individus » dont il s’agirait de combler les manques sont des personnes, nées de complexes d’assujettissements à une foule d’institutions qui, généralement, tirent chacune leurs sujets dans une direction propre, sans concertation particulière (Chevallard, 1999b, p. 2).

Pour Chevallard, il est possible de dépasser cette singularité personnelle en agissant sur les normes du collectif dont l’individu fait partie, car elles se manifestent en premier dans les faits et les gestes de l’enseignant. Celui-ci est à la fois soumis aux normes de l’institution en même temps qu’il est le dépositaire de la normativité institutionnelle. Le didacticien voit d’ailleurs la recherche comme une source cruciale de normativité. Une « coopération organique » entre chercheurs et praticiens passe, selon lui, par une corporation où maitres et formateurs sont reconnus comme des professionnels4. Suivant ces arguments, les lieux de formation des enseignants devraient être identifiés comme des hauts lieux de savoirs. Pour répondre aux besoins praxéologiques du système scolaire, ses acteurs doivent faire preuve de capacités délibératives, de capacités à intégrer des normes en fonction des finalités éducatives.

Le second frein au processus de professionnalisation est la persistance de certaines idées reçues : citons notamment celle qui prétend qu’il ne faut qu’une bonne connaissance de la matière, qu’un peu de talent, de charme, de bon sens, d’intuition et d’expérience pour enseigner. Certains chercheurs qualifient l’enseignement de « semi-profession » (Etzioni,

4 Le penseur Ivan Illich tenait en regard des professions la position inverse, leur reprochant d’être incapacitantes ou mutilantes, c’est-à-dire de rendre les gens dépendants, incapables de se prendre en main eux-mêmes et de développer les talents nécessaires par eux-mêmes (Illich, 1977, cité par Bourdoncle, 1993).

Nous n’entrerons pas en détail dans ce débat sociologique, mais notons toutefois les écarts dans les prises de position, liés probablement aux conjonctures du moment.

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1969) ou de « not quite profession » (Goodlad, 1990). Ils appuient ce présupposé sur trois arguments :

1. le statut incertain des savoirs nécessaires au métier d’enseignant, celui-ci ne reposant pas sur un corpus de connaissances théoriques fermes ;

2. l’administration et les hiérarchies qui encadrent fortement l’exercice du métier ; 3. le fait que certaines caractéristiques du métier, sa contingence et son imbrication

dans un réseau de relations, ne permettent pas sa professionnalisation complète.

Le statut de semi-profession, en plus d’être à l’origine de dissensions sur la nécessité ou non d’élever la qualification du métier d’enseignant, empêche la coconstruction de questions et de réponses par le « monde savant » et le « monde enseignant » (Chevallard, 2003, p. 12).

«Métier sans savoirs, savoirs sans métier : telle est la contradiction majeure qui peut opposer l’enseignement comme pratique et la recherche sur l’enseignement » (Vanhulle &

Lenoir, 2005, p. 46).

Les implications d’une formation professionnalisante

Le dépassement de ces obstacles réside dans une meilleure connaissance des conditions qui déterminent la formation pratique (Tardif & Ziarko, 1997). Il implique aussi l’apprentissage du partenariat en éducation (Lessard, 1997, p. 258). Afin de faire dialoguer professionnalité et professionnisme et permettre de substituer un modèle professionnel au modèle applicationniste préexistant, Vanhulle et Lenoir (2005) soutiennent que la formation devrait intégrer les trois dimensions suivantes: délibérative, opérationnelle et sociopolitique. Ces dimensions requièrent des capacités réflexives, des capacités à intégrer les normes en fonction de finalités éducatives, des capacités pédagogiques et didactiques et « la volonté et

*…+ la capacité d’influencer l’environnement scolaire de manière congruente entre la réalité et les idéaux visés (p. 64). Pour sa part, Paquay et al. (1996/2001) prônent l’intégration des 6 modèles de professionnalité qu’il détaille ainsi :

- un maitre instruit transmetteur de savoir, applicateur de principes ; - un praticien artisan doté d’un savoir pratique ;

- un praticien réflexif au savoir d’expérience ;

- une personne en relation avec les autres et elle-même ;

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- un acteur social, partenaire engagé et analyste lucide ;

- un technicien, applicateur de techniques et organisateur d’apprentissages.

Coen et Leutenegger (2006), quant à eux, résument ainsi les qualités de l’enseignant professionnel : un praticien réflexif, capable d’adopter une démarche méthodique, régulière, instrumentée, sereine et porteuse d’effets sur sa propre action.

À nos yeux, l’idée d’une formation professionnelle vient renforcer les dimensions majeures de l’enseignement, car elle donne une vision concrète et réaliste du métier d’enseignant. La professionnalisation met de l’avant une culture commune et contribue ainsi à ce que l’ingénierie de l’enseignant ne soit pas réduite à une quelconque disposition naturelle et qu’elle soit plutôt comprise comme «un ensemble dynamique de dispositions que les institutions scolaires et de formation tendent à forger et à maintenir » (Bourdoncle &

Lessard, 2003, p. 162). Elle renvoie à l’idée d’une expertise technique et spécialisée de

« haut niveau ». Cette expertise ne s’acquiert pas par imitation ou compagnonnage, à partir d’un corpus de règles stables ou à des cas de figure connus. Au contraire, elle met en jeu des conduites adaptatives complexes, qui convoquent des données multiples, des choix, des décisions à plusieurs niveaux, qui font appel à la créativité, à l’éthique et à la responsabilité (Perrenoud, 1994). Pour la recherche, la diffusion de l’idée de professionnalisation passe notamment par la formalisation de l’occupation, c’est-à-dire par la poursuite de recherches dont les résultats peuvent être réinvestis dans la pratique (Holmes Group, 1986, cité par MEQ, 2001). C’est d’ailleurs l’une des ambitions de la présente recherche.

Dans un contexte marqué par des exigences croissantes de productivité, d’accumulation de compétences variées, la recherche en sciences de l’éducation se doit d’être utile, réinvestie directement dans la pratique. En matière de formation, ces demandes sociales se traduisent par une articulation plus grande entre la formation et le marché du travail. S’ensuit un nouveau modèle de formation professionnelle à l’enseignement qui fait une large place à la pratique. Ces bouleversements amènent un changement et une réorganisation des savoirs impliqués dans la formation des enseignants.

Des enjeux actuels autour de la recherche sur la formation des enseignants, nous passons maintenant aux courants de recherche passés et actuels sur la formation des enseignants.

Par la présentation de ce bref panorama, nous souhaitons situer notre travail.

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1.2. Essai de délimitation de configurations de recherches sur la