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Recherche et formation des enseignants : Situation de l’objet de recherche

1.2. Essai de délimitation de configurations de recherches sur la formation des enseignants de 1960 à aujourd’hui formation des enseignants de 1960 à aujourd’hui

1.2.1. Premier temps : élaboration et validation de modèles d’enseignement

Représentations générales de l'enseignement, les modèles permettent de sélectionner et de structurer les orientations, méthodes et techniques d'enseignement ainsi que les activités des élèves. Entre 1960 et 1990, les recherches conduites visent à dégager le modèle de l’enseignement le plus adéquat à la situation scolaire. Si au départ, ces recherches se font dans une visée d’optimisation de l’efficacité pédagogique, elles prendront par la suite une orientation sociologique ou anthropologique, analysant la classe comme le reflet de la société.

Première configuration : les recherches sur l’efficacité pédagogique

Référée à la notion d’efficacité et à ses implications, la recherche sur l’enseignement vise l’optimisation scientifiquement argumentée des procédures de sélection, de formation, d’évaluation et de promotion des enseignants. Ce courant de recherche polarise le débat scientifique autour de deux thèmes majeurs :

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1. l’idée d’appuyer la politique éducative sur des recherches de qualité et non sur l’idéologie ;

2. le lien nécessaire entre les caractéristiques des enseignants (ce qui inclut la formation) et l’apprentissage des élèves (Lessard, 2006).

Le modèle de recherche processus-produit qui s’est développé dans le monde anglo-saxon autour des années cinquante et soixante constitue l’axe principal des recherches sur l’efficacité pédagogique. Calqué sur la rationalité technique, il caractérise la formation comme la transmission d’un savoir produit par la sphère scientifique. Ce modèle s’élabore progressivement à partir du questionnement suivant : Quelles caractéristiques de l’enseignant influencent-elles le plus l’apprentissage des élèves? Comment distinguer l’effet-maitre, de l’effet-établissement et de l’effet-classe (Altet, 2002) ? Si les recherches issues du paradigme processus-produit visent d’abord à analyser l’enseignement, leur visée devient rapidement, dans une volonté réformatrice, la fabrication ou la description de l’enseignant efficace (Crahay, 2006c).

Figure importante de ce courant en Amérique, Gage (1963) associe l’enseignement à toute forme d’influence interpersonnelle ayant pour but de modifier les comportements d’autres personnes. Il s’intéresse principalement à ce que fait l’enseignant à partir de sa personnalité et de ses comportements observables. L’idée de Gage et des tenants de cette approche est de voir dans quelle mesure les variables présomptives – parmi lesquelles on retrouve les attitudes, les intérêts, la personnalité, mais aussi la maitrise de la matière à enseigner et la durée de la formation initiale – vont de pair avec une augmentation du rendement des élèves ou avec une meilleure appréciation des enseignants par leur directeur ou inspecteur (Crahay, op.cit., p. 15). Par conséquent, les modèles de formation des enseignants doivent définir les comportements fondamentaux et les habilités de base caractéristiques du bon enseignant. Dans la même lignée, on procède également à la comparaison de méthodes d’enseignement. Or, la trop grande variabilité des paramètres permettant de décrire le fonctionnement des classes fait en sorte que les tentatives de comparaison échouent. Afin de dépasser ces limites, les chercheurs se tournent alors vers les recherches corrélatives. Le canevas des recherches processus-produit suppose alors, d’une part, des mesures ciblées sur les pratiques des enseignants (et éventuellement sur le comportement des élèves) pendant

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les activités en classe (processus) et, d’autre part, des mesures de résultat chez l’élève, rendements de tests cognitifs et éventuellement de tests d’attitude (produit) (Crahay, 2006c, p. 25). Dans le monde francophone, c’est au tournant des années 90 que surgissent des travaux axés sur l’efficacité des enseignants ou sur « l’effet maitre » (Durand, 1998).

Avec les recherches corrélatives, d’autres problèmes méthodologiques se posent, le principal étant qu’une corrélation n’est pas une relation de cause à effet. Est-ce, par exemple, la compétence de l’enseignant qui influe sur les conduites des élèves ou sont-ce les compétences des élèves qui transforment les conduites du maitre ? Est-il possible de parler d’enseignant efficace ? Un « effet maitre » ne semble concevable que dans la mesure où l’on y intègre l’ « effet-classe » (Bressoux, 1994).

Les critiques négatives envers ce paradigme de recherche sont nombreuses. Vanhulle et Lenoir (2005) en formulent deux. Selon eux, il a contribué à réduire la formation enseignante à la transmission d’un savoir produit de manière hétéronome aux milieux de la pratique. De plus, il a dévalué, sinon ignoré les savoirs d’expérience produits par les praticiens, en plus d’écarter ceux-ci de la production d’un savoir qui les concernait, sauf pour ce qui relevait de l’applicationnisme. Portugais (1992) qualifie la position épistémologique derrière ce paradigme de « naïve » et de « présomptueuse » :

Elle est naïve parce qu’elle suppose que l’action sur une ou quelques variables des systèmes de formation va permettre, sans travail d’analyse du fonctionnement de cette formation et des phénomènes qui lui sont propres, d’obtenir un effet en termes de rendement académique chez les élèves *…+ elle est présomptueuse car elle relève d’une conception éminemment empiriste de la formation des maitres, elle renvoie à des modèles de formation de type « boite noire » (p. 28).

Pour Bru, Altet et Blanchard-Laville (2004), trois boites noires subsistent lorsque l’on évalue les effets de l’enseignement à l’aune des progrès des élèves en fonction d’un paradigme processus-produit :

1. la première a trait aux processus générateurs et organisateurs des pratiques d’enseignement effectives qui « ne sont réductibles ni à la réalisation exclusive d’un plan, ni aux déclarations des enseignants, ni à leur délibération souveraine, ni aux prescriptions des autorités administrativo-pédagogiques ou aux conseils des formateurs » (p. 79) ;

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2. la seconde concerne l’apprentissage des élèves. Par quels processus les élèves s’engagent-ils dans la tâche, apprennent-ils et accomplissent-ils des progrès ?

3. la troisième boite est liée aux processus interactifs entre l’enseignement et l’apprentissage. « Par quels processus sont reliées au temps « t » et dans la durée les conditions (matérielles, temporelles, relationnelles, cognitives, affectives, sociales…) créées par l’enseignant et les activités d’apprentissages effectives des élèves ?» (p.

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Pour notre part, nous soutenons qu’une évaluation de la compétence de l’enseignant fondée sur la mesure des changements observés chez les élèves ne peut se faire sans une définition nette des objectifs à atteindre, ni l’utilisation d’instruments de mesure pour déterminer l’atteinte de ces objectifs. Il y a en effet à théoriser l’influence du contexte en considérant des dimensions telles que l’objet d’enseignement, les caractéristiques des élèves ou le cadre institutionnel. Pour comprendre les effets des pratiques enseignantes, il faut connaitre les processus par lesquels les élèves entrent en activité grâce ou malgré les conditions créées par l’enseignant. Les modalités du dispositif sont la résultante des buts poursuivis par l’enseignant : l’ordre, le contrôle de la classe, la participation effective des élèves, le lien de l’activité en rapport au travail en cours. Par ailleurs, de telles mesures demeurent toujours difficiles, étant donné qu’on ne peut avoir accès à tous les facteurs d’influence (les performances des élèves en classe peuvent être attribuables à des apprentissages extrascolaires) (Bru, Altet & Blanchard-Laville, 2004).

Deuxième configuration : les recherches en sciences sociales sur l’éducation

La recherche en formation connait des changements très marqués en réaction au paradigme dit de « processus-produit » (Portugais, 1995 ; Vanhulle & Lenoir, 2005). Le rejet de ce paradigme amène ses détracteurs à penser la formation en ne considérant pas uniquement le système d’enseignement, mais en l’analysant elle-même comme système. Les années 1980 voient se développer un nouveau courant de recherches sur l’enseignement produit par les sciences sociales. Son intérêt principal consiste à observer comment les fonctionnements scolaires et les rituels pédagogiques participent à la socialisation des individus. Doyle (1978/1986, cité par Bayer & Ducrey, 2001) développe le paradigme des

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processus médiateurs et celui de l’écologie de la classe (Bayer & Ducrey, 2001). Le premier modèle conçoit les liens entre enseignement et apprentissage non plus comme une relation directe de cause à effet, mais selon une dynamique qui tient compte des actions et des réactions de l’élève aux situations proposées par l’enseignant. Le second analyse les effets sur la conduite de classe d’interactions complexes entre les variables du contexte et les variables psycho-socio-pédagogiques. Il décrit des événements qui se produisent dans une classe, sans toutefois traiter les raisons derrière ces modes de fonctionnement.

La sociologie traite la question de l’échec scolaire, elle s’intéresse entre autres à la reproduction par l’école des inégalités sociales. L’anthropologie et l’ethnographie de l’éducation observent comment l’école s’adapte à la société et comment les fonctionnements scolaires et les rituels pédagogiques participent à la scolarisation des individus. Une des découvertes importante de ces travaux est la mise au jour d’un curriculum latent plus déterminant que le curriculum formel (Bayer & Ducrey, 2001).

L’ethnométhodologie est la discipline des sciences sociales la plus directement orientée vers l’étude des pratiques de classe. Elle montre comment l’organisation de la classe est la résultante du travail d’interaction entre les enseignants et les élèves : les travaux de Sirota (1998), par exemple, montrent comment le fonctionnement de la communication pédagogique est influencée par l’appartenance sociale des élèves.

Les lectures de la classe et du monde scolaire effectuées dans les recherches en sciences sociales enrichissent la connaissance du fonctionnement de la classe comme un système, lui-même partie d’un système social. Se substituant aux recherches sur l’efficacité pédagogique, leur principal apport est de relativiser l’importance des notions d’efficience et d’efficacité pour analyser les relations entre formation, enseignement et apprentissage.