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Outils du formateur et dispositifs de formation prévus

4.2. Le genre du texte : un mégaoutil

4.2.1. Modèles et séquences didactiques des genres oraux retenus pour la formation formation

4.2.1.1. Modèle didactique du débat régulé

Lieu de construction interactive, le débat met en jeu des capacités linguistiques, cognitives et sociales. Jouant un rôle important dans notre société, ce genre oral constitue, pour Dolz et Schneuwly (1998), un « moteur du développement collectif et démocratique» (p. 29). Ces didacticiens le définissent comme une discussion sur une question controversée, entre plusieurs partenaires qui essaient de modifier les opinions ou les attitudes d’un individu ou d’un groupe en vue, idéalement, de trouver une position commune ou du moins étayée par des arguments jugés raisonnables. Dans les sociétés démocratiques, le débat représente l’une des formes de délibération des affaires publiques ; des débats ont lieu autant à la radio et à la télévision que dans les tribunes et les assemblées publiques. Dolz et Schneuwly, nous l’avons vu, en proposent toutefois une variante moins belliqueuse que celle qui a cours dans les médias de masse. Pour eux, le débat devrait permettre d’opérer chez l’élève le passage de la parole réactive à la parole réflexive. Dans cette optique, le travail scolaire du débat porte sur les modes de mise en jeu de sa propre position sous la forme d’un développement d’arguments et de modalisation d’énoncés ; sur la possibilité pour chacun, à travers le fonctionnement du débat, d’intervenir librement quand il le souhaite ; sur la capacité de centrage sur les thèmes en jeu et de rebondissement sur des nouveaux ; sur le respect de la parole des autres et sur son intégration dans son propre discours (Dolz et Schneuwly, 1998).

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Toute intervention dans un débat se caractérise par la présence d’un argument qui soutient une position pour ou contre la question controversée de départ, son statut vis-à-vis de ce qui vient d’être dit et la manière dont elle lie l’argument à la thèse. Elle implique connaissances, opinions, actions et valeurs. Le débat fait appel à des capacités linguistiques telles que la maitrise des phénomènes de reprises du discours, de reformulation, de concession, de réfutation et d'intégration de discours rapportés. Il requiert des capacités cognitives faisant appel à des stratégies argumentatives telles que la réfutation, mécanisme-clé du débat. Il stimule l’esprit critique et amène l’élève à prendre position. Enfin, il demande des capacités sociales : en plus de développer l’esprit civique, il force l’analyse des conditions sociales de production et de réception du discours. Le débat peut être régulé par un modérateur ; ce dernier sert alors à ouvrir et à clore le débat ainsi qu’à reformuler, résumer et relancer les interventions. La figure 4.3 est la représentation graphique du modèle didactique du débat régulé. Six dimensions composent le modèle : la Représentation de la situation de communication, la Planification, les Contenus thématiques, la Textualisation, la Voix et les Ressources paraverbales. Si les quatre premières dimensions correspondent à des opérations de la production textuelle (se représenter la situation de communication, planifier, développer des contenus thématiques, utiliser les ressources de la langue), les deux dernières sont spécifiques au code oral. La Voix réfère à la gestion des phénomènes sonores et des phénomènes prosodiques ; les Ressources paraverbales, à celle de la gestuelle, des mimiques et de l’espace.

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Figure 4.3 : Modèle didactique du débat régulé

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Nous reprenons chacune des dimensions du modèle didactique du débat régulé de manière à les détailler un peu plus.

La dimension portant sur la Représentation de la situation de communication demande à l’élève de se faire une image aussi exacte que possible du statut de l’argumentateur, du destinataire, du but visé et du mode d’interaction qui structure les échanges. Le statut de l’argumentateur dépend de son rôle social dans l’interaction en cours. La situation d’interaction se caractérise par la présence d’un double destinataire : celui des partenaires de l’échange et celui constitué par le public. La prise en compte de ce double destinataire vise à mieux accomplir le but ciblé par le genre : intégrer et transformer le point de vue de l’autre. Le mode d’interaction du débat se caractérise par la présence de deux groupes de débatteurs défendant une position contraire sur un même sujet et d’un modérateur qui agit comme régulateur des échanges. La représentation de la situation de communication comprend aussi la fidélité du genre scolaire aux pratiques sociales de référence.

Par Planification, nous renvoyons d’abord à la planification qui précède le débat ; elle se fait au moment du travail de documentation des contenus thématiques. Le fait d’élaborer avec les élèves le contenu sur lequel portera la production langagière vise à une certaine égalisation de la connaissance du sujet à traiter et rend possible le restant du travail portant sur les aspects pragmatiques et linguistiques. Ensuite, nous considérons la planification faite en simultané au cours du débat. Cette dimension a trait à la structure des contenus thématiques, laquelle comporte deux aspects. Il y a, d’un côté, la mise en relation des contenus et leur intégration dans un tout. Cette cohérence est assurée par l’argumentateur à l’intérieur même de son intervention ou par le modérateur qui assure l’articulation des échanges. De l’autre côté, la structure des contenus se rapporte à leur segmentation en unités repérables. Nous incluons dans cette catégorie les mouvements et les circuits argumentatifs caractéristiques du débat. Il existe de multiples possibilités de mises en relation des arguments d’un débat, on peut recourir à des procédés d’enchainement, de relance et d’interpellation (Chartrand, 2001). Les schèmes suivants illustrent des structures possibles d’enchainements :

a) reprise et reformulation de la parole de l’autre → adhésion à l’argument ou à la position présentée → approfondissement de la position suscitant l’adhésion ;

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b) reprise et reformulation de la parole de l’autre → objection à l’argument ou à la position présentée → présentation et étayage de la position défendue.

Discussion sur une question controversée, le débat régulé convoque des Contenus thématiques potentiellement polémiques. Le travail du genre amène nécessairement la sélection d’un thème de débat, lequel, selon Dolz et Schneuwly (1998) doit répondre à quatre critères :

1. le thème doit être didactique : il est susceptible de favoriser les apprentissages ; 2. il comporte un pan psychologique, c’est-à-dire qu’il tient compte des motivations et

des intérêts des élèves ;

3. par sa dimension cognitive, il considère l’état des connaissances des élèves ;

4. il sous-tend un enjeu social par ses potentialités polémiques, ses aspects éthiques ainsi que sa présence, son écho dans le quotidien des élèves et de la communauté.

Le thème doit correspondre à des débats réels dans la société, à des enjeux réels pour des élèves et laisser présager des débats « viables » en raison de la clarté des opinions qui peuvent être exprimées.

La dimension Textualisation comprend toutes les unités linguistiques nécessaires à la mise en texte du débat. Il s’agit d’abord des marques de modalisation ou de prise en charge énonciative qui servent à mettre en doute, soutenir, certifier, nier un argument ou une position. Ces marques se traduisent par l’emploi d’auxiliaires de modalité, des structures de phrases, des groupes prépositionnels ou adverbiaux exprimant une probabilité ou une appréciation, certains temps et modes verbaux (le conditionnel, le subjonctif, par exemple), certains verbes de perception ou d’opinion (Chartrand, 2001). Les reformulations sont rendues visibles par l’insertion de discours rapportés et les phénomènes de reprises de l’information. Les marques de connexion sont assurées par les organisateurs textuels. Par phraséologie, nous nous référons aux formules linguistiques employées pour marquer l’adhésion ou le désaccord vis-à-vis des prises de position, pour introduire des arguments de plusieurs types (un exemple, une anecdote, une comparaison, une référence à une figure d’autorité, une conséquence). La mise en texte inclut le travail sur le lexique et le

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vocabulaire7. Enfin, cette dimension requiert aussi que l’élève puisse adopter un niveau de langue en adéquation avec son rôle social. Le code oral possède ses normes propres et, nous l’avons dit, il y a à éviter que ces registres de langue soient déterminés et évalués à l’aune de l’écrit. Par ailleurs, il s’agit de faire en sorte que l’élève maitrise la parole publique (Érard &

Schneuwly, 2005) et parvienne à habiller cette parole en fonction de sa posture d’argumentateur et de la prise en compte de ses destinataires.

La dimension Voix regroupe la qualité et le volume de la voix, la diction et l’articulation, la prosodie, l’intonation et les marques de l’oralité. La prosodie concerne la mélodie, les accents, le rythme, les pauses, les respirations et soupirs. Dans le cas de l’intonation, nous pouvons dégager des variations de l’intonation qui ont une fonction argumentative. Dans les marques de l’oralité, nous incluons des phénomènes linguistiques tels que l’emploi de phatèmes8, de procédés de mise en relief, l’usage de déictiques, les simplifications, les répétitions, hésitations, scories (Riegel, Pellat & Rioul, 1994/1996). Ces marques caractéristiques de l’oral se retrouvent dans tous les genres ; certaines peuvent être employées pour donner plus de poids à une intervention.

Les moyens non linguistiques ou Ressources paraverbales incluent à la fois le langage et les signes non verbaux. Pour ce qui est des dimensions enseignables en lien au langage du corps, nous considérons la production de gestes, de mimiques et l’adoption d’une posture de la part de l’argumentateur au cours d’une intervention, mais aussi la prise en compte des gestes, mimiques et postures du destinataire au moment de la production et de la réception.

Parmi les gestes, les mimiques et les postures, nous distinguons ceux qui ont une fonction spécifiquement argumentative (Colletta, 2004). La proxémique, l’utilisation de l’espace et des lieux, fait partie des signes non verbaux de cette dimension. Pour le débat, l’espace est occupé par une table, un public, des cartons permettant l’identification fictive ou réelle des participants aux débats, un modérateur qui prend place au centre de la table, de même qu’une caméra vidéo, des microphones ou un magnétophone selon les moyens à disposition.

7 Pour plus de clarté, le vocabulaire correspond à l’ensemble de mots dont dispose une personne alors que le lexique correspond au recueil des termes employés dans une science, une technique particulière, un domaine spécialisé. Ces définitions sont tirées du Trésor de la langue française informatisé.

8 Procédés qu’utilise le locuteur en vue de faire appel à son interlocuteur au moyen de la fonction phatique.

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Nous aurions pu ajouter une septième dimension autour des supports employés au moment de la production du débat. L’utilisation d’un support (écrit, visuel ou autre) influence la production de la parole. Nous n’en avons pas fait toutefois une dimension essentielle du modèle didactique dans notre séquence de formation.