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Recherche et formation des enseignants : Situation de l’objet de recherche

1.2. Essai de délimitation de configurations de recherches sur la formation des enseignants de 1960 à aujourd’hui formation des enseignants de 1960 à aujourd’hui

1.2.2. Deuxième temps : activité et langage de l’enseignant

La recension des travaux plus récents autour de la formation des enseignants donne à voir un domaine mieux délimité : du champ plus vaste des sciences de l’éducation et des études sur l’enseignement, les nouveaux travaux ont directement pour objet d’étude la formation à l’enseignement. Ces recherches traitent deux grands ensembles de paramètres:

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1. Le premier ensemble concerne les spécificités du public à former : le profil, les représentations, la culture antérieure, le parcours de formation et le parcours professionnel, le rapport aux savoirs et à l’enseignement, le rapport à l’institution universitaire ainsi que le rapport à la formation pratique.

2. Le deuxième regroupe les paramètres en lien à la question des savoirs. Ce deuxième ensemble de paramètres s’avère imparfait et problématique, étant donné qu’il arrive que des savoirs nécessitent l’apport du milieu de la pratique pour trouver tout leur sens.

Or les travaux qui analysent ces ensembles de paramètres et leurs interactions partent de postulats théorico-méthodologiques divers, ce qui rend ardue la délimitation de regroupements homogènes des recherches sur la formation enseignante. Pour ne donner qu’un exemple, voici ce que disent Vanhulle, Merhan et Ronveaux (2007) à propos des présupposés épistémologiques et théoriques des travaux sur le thème de l’alternance formation/pratique :

Ainsi l’on navigue entre, d’une part, des références au learning by doing de Dewey, au praticien réflexif d’Argyris et Schön, ou à l’apprentissage expérientiel de Kolb et, d’autre part, l’épistémologie de la connaissance de Piaget *que l’on oppose à+ la dialectique du rapport entre pensée et action de Vygotski. Les courants de l’Éducation nouvelle (Claparède, Dewey, Freinet, Wallon, Chateau) sont volontiers convoqués. Il en va de même pour le paradigme de la complexité (Morin) et les sciences des systèmes et de la cognition (les modèles de l’autoformation selon Le Moigne, l’autopoïèse de l’autonomie5 se développant dans l’action selon Varela) (p.

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Tour à tour, l’alternance est caractérisée par les rapports qu’entretient un sujet avec le réel immédiat ou avec sa médiatisation. Ces rapports sont analysés comme des réactions biologiques complexes au système que le sujet intègre ou encore comme des interactions enchâssées dans des réalités socioculturelles. L’idée sous-jacente à l’étude de ces allers-retours consiste à développer une approche empirique du savoir. Cependant, la notion de savoir reste difficilement délimitable. Qui produit du savoir dans l’alternance ? Quelle est la

5 Le biologiste F. Varela utilise le concept d’autopoïèse de l’autonomie pour caractériser la particularité que possède tout être vivant de reconstruire en permanence sa structure en empruntant au milieu extérieur les éléments dont il a besoin.

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nature du savoir qui est produit ? Quels processus médiateurs sont à l’œuvre dans l’alternance ? Là aussi, les réponses varient. Vanhulle, Mehran et Ronveaux optent donc pour parler « d’alternances plurielles » (p. 16).

Devant cette pluralité d’objets et de points de vue, nous avons fait le choix de répertorier les travaux de recherche actuels sur la formation à l’enseignement en nous basant sur le matériau de base qu’ils analysent. Ce nouveau partage fait apparaitre deux configurations de recherches : les recherches sur l’activité enseignante et celles sur le langage au travail.

Troisième configuration : les recherches sur l’activité enseignante

L’activité enseignante est étudiée dans des perspectives diverses et à de multiples fins.

Postic, l’un des premiers à investiguer les pratiques, s’intéresse aux modes d’organisation de l’enseignement (Postic, 1977/2000). Puis, les recherches issues du courant cognitiviste mettent en évidence la nécessité d’étudier des situations réelles en adoptant une approche ergonomique de l’activité enseignante. Cette approche permet de pointer la grande variabilité des situations de travail et l’importance des dimensions subjectives (Bressoux, 2002). En lien avec la théorie de l’action située en psychologie cognitive (Suchman, 1987), les pratiques sont analysées pour mettre au jour la dynamique expert-novice (Borko &

Livingston, 1989 ; Tochon, 1993). En sociologie du travail, l’observation des pratiques donne à voir la structuration des espaces du travail enseignant : la classe, l’établissement, l’espace privé (Barrère, 2003). Altet et son équipe « rendent raison » des pratiques6 à l’aide d’un modèle interactionniste, voulant caractériser la pratique enseignante à partir d’une approche systémique (Altet, 1994). Ils adoptent une approche clinique, centrée sur le travail du sujet en situation professionnelle. Pensées de façon organisées, les pratiques serviraient la construction de compétences professionnelles. Quant à lui, Bru s’intéresse aux composantes des pratiques pour les identifier, en repérer les modalités possibles et tenter d’établir des relations entre ces modalités et la façon dont les élèves entrent en activité et apprennent (Bru, 2002). Ces repérages et ces balisages divers servent tous la recherche d’organisateurs de la pratique enseignante.

6 Le terme de pratiques renvoie ici à l’ensemble formé des actions, de l’activité, des actes et du travail de l’enseignant (Altet, 2006).

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Quatrième configuration : les travaux sur le langage au travail

Les recherches sur le langage au travail se distinguent en fonction des contextes. Il y a le

« langage sur le travail », le « langage dans le travail » et le « langage comme travail ».

Jorro (2004) analyse l’agir professionnel, le langage dans le travail, « dans ce qu’il donne à voir, à entendre, à dialoguer». Dans son modèle de l’agir enseignant, la chercheuse de l’université de Toulouse (2002) dégage des gestes professionnels de l’enseignant qu’elle définit comme un répertoire de routines et de gestes de métier situés dans un cadre épistémologique. Elle élabore une « matrice de l’activité langagière » autour de quatre gestes analyseurs : les gestes langagiers, les gestes de mise en scène du savoir, les gestes d’ajustement de l’action et les gestes éthiques traduisant le type de relation qui s’instaure entre le maitre et l’élève (Jorro, 2002 ; 2004). En situation, l’enseignant actualise de façon personnelle ces quatre dimensions de son activité ; Jorro parle ainsi d’une « configuration de gestes professionnels » (2004, p.5).

Un pan des recherches en formation des maitres s’inscrit dans une réflexion plus large ayant trait au rôle que peut jouer le langage dans la construction des savoirs. Les travaux sur la théorie de l’action portent une attention soutenue à la dimension explicite et réfléchie de l’action, aux justifications invoquées par les acteurs pour rendre compte de leur agir ou à la part d’interprétation qui traverse le faire et son dire (Baudoin & Friedrich, 2001). Les travaux de Clot (cf. 2001 ; 2008) se situent dans cette filiation ; sa démarche tient de la perspective clinique de l’activité, empruntant à la tradition ergonomique française. L’hypothèse méthodologique des travaux de Clot est de considérer le fonctionnement des échanges comme la phase actuelle et observable d’un processus traduisant le développement personnel. Il s’agit en quelque sorte d’arriver à découvrir la conscience de l’activité, définie par Vygotski comme « l’expérience vécue d’expériences vécues » (1925/1994, p. 42). Grâce à ses expériences en clinique de l’activité professionnelle, Clot a repris et développé la notion de geste telle que développée par Bruner, et celles de genre et de style, prises chez Bakhtine en vue de penser la transmission-évolution de l’expérience. Parmi les instruments théoriques développés par Clot, les genres d’activité, situés entre le prescrit et le réel, constituent des antécédents sociaux qui fixent des attendus. Clot et Faïta les caractérisent ainsi :

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[L]es antécédents ou des présupposés sociaux de l’activité en cours, une mémoire impersonnelle et collective qui donne sa contenance à l’activité personnelle en situation : manières de se tenir, manières de s’adresser, manières de commencer une activité et de la finir, manières de la conduire efficacement à son objet. Ces manières de prendre les choses et les gens dans un milieu de travail donné forment un répertoire des actes convenus ou déplacés que l’histoire de ce milieu a retenus. Cette histoire fixe les attendus du genre qui permettent de supporter – à tous les sens du terme – les inattendus du réel (Clot & Faïta, 2000, pp. 12-13).

Le style est la métamorphose du genre en cours d’action; il est ce que fait celui qui travaille pour ajuster, adapter, transformer en fonction des circonstances de la situation et de son histoire personnelle. L’action permet de révéler l’activité : le dialogue avec le chercheur ou le formateur vise à créer des rapports renouvelés de situation en situation entre le locuteur sujet et ses pairs, mais aussi entre le locuteur sujet et lui-même dans une situation précédente. L’espace verbal est le lieu et l’espace du développement :

L’objectif est de créer un espace-temps différent, où les conditions du développement, du mouvement dialogique ne se confondent pas, ou du moins puissent ne pas se confondre avec les autres cadres, ceux où s’appliquent habituellement les règles discriminant le vrai du non-vrai, le congru de l’incongru, le correct de l’incorrect, etc., cadres aussi où jouent les contraintes sociales immédiates, les effets des statuts sociaux des acteurs, les rapports hiérarchiques, les inhibitions liées à la situation (Clot & Faïta, 2000, p. 25).

Dans la situation de l’entretien d’autoconfrontation, le sujet, exposé à l’image de son propre travail, met en mots la découverte de son activité à l’usage du partenaire-spectateur. Le regard du formateur-expert, du chercheur ou du pair, dans le cas d’une autoconfrontation croisée, est susceptible de permettre une meilleure compréhension du travail et de fournir des bases pour des interventions.

Les travaux sur la réflexivité s’intéressent à la langue sur le travail. La réflexivité permet au praticien de prendre de la distance par rapport à ses activités d’enseignement. Il s’agit en fait d’un cas particulier d’analyse de sa propre pratique. Parmi les principaux outils de recherche ou de formation développés dans cette optique, notons l’autoconfrontation simple ou croisée (combinée à celle d’autrui) du sujet à son activité, l’entretien d’explicitation visant une prise de conscience chez le sujet (Vermesch, 1994) et l’instruction au sosie permettant la compréhension de sa propre pratique (Clot, 2001). Une attention

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particulière dans la formation est portée à l’insertion dans les dispositifs d’outils ou de méthodologies susceptibles de contribuer à l’émergence d’une attitude réflexive : portfolios de stage, journaux de bord, récit de vie.

Plusieurs recherches récentes7 soulignent l’intérêt de recours à l’écrit dans la démarche réflexive pour la formation (cf. notamment Vanhulle, 2002 ; Dufays & Thyrion, 2004 ; Desgagnés, Gervais & Larouche, 2001 ; Daunay, Delcambre, Dufays & Thyrion, 2007).

Vanhulle (2005) s’est intéressée, dans le cadre de la formation initiale des enseignants, aux outils langagiers tels que le portfolio, comme supports au développement de la professionnalité, de la réflexivité et de la pensée critique. Depuis 2006, en compagnie de ses collaborateurs, la didacticienne analyse des processus sociaux et cognitifs de construction des savoirs professionnels. Elle attache une attention particulière aux fondements épistémologiques, aux méthodes et aux outils de formation (portfolios, journaux de formation, démarches réflexives diverses), aux modes d’accompagnement et d’évaluation.

Elle traite des processus médiateurs, sociaux et réflexivo-langagiers qui interviennent dans l’élaboration de savoirs professionnels et les changements de représentations chez les formés au moment de l’alternance théorie-pratique. Daunay, Delcambre, Dufays & Thyrion (2007) observent la réflexivité dialogique, à savoir l’institution d’un rapport de soi à soi et de soi aux autres, dans un double mouvement de compréhension de son propre discours et d’appréhension du discours de l’autre (les pairs, les formateurs en présence, les discours théoriques). Ils posent la question suivante : comment se caractérise l’articulation des activités d’écriture et de lecture dans le contexte spécifique de la formation et quels effets sont attendus de la mise en œuvre de l’articulation du lire et de l’écrire dans la formation?

Dans les configurations de recherches présentées, c’est la part de l’expérience qui est le plus souvent théorisée, celle des savoirs à transmettre est secondaire. Que ce soit dans les travaux portant sur l’efficacité pédagogique, les travaux en sciences sociales, les travaux cognitivistes ou en psychologie située sur l’activité enseignante ou ceux sur la langue au

7 Plusieurs de ces recherches ont été effectuées par des didacticiens du français, nous aurions pu les citer dans la partie suivante qui porte précisément sur les travaux en didactique. Or, comme l’objet de ces recherches concerne davantage le rapport au langage dans la formation que les contenus de formation liés à l’enseignement du français, nous faisons le choix de les présenter ici.

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travail, les observations portent sur des composants identitaires ou sociaux (des capacités, des connaissances, des compétences, des aptitudes, des attitudes ou des professionnalités).

Ces composants identitaires réfèrent à ce que Barbier (1996) appelle des savoirs détenus.

Pour développer des concepts et méthodes adaptés à une entrée par les objets de savoir objectivés de la formation des enseignants, leurs conditions de transmission et leur acquisition, nous avons besoin du point de vue de la didactique.