• Aucun résultat trouvé

3.2. La didactique : l’enseignement de l’argumentation orale

3.2.3. L’enseignement de l’argumentation en français

Lorsque l’on vise des enjeux relatifs à l’apprentissage en français, l’oral argumentatif conduit à une observation réfléchie de la langue, de l’expression et du discours grâce à des situations qui la rendent nécessaire (Douaire & Hubert, 2004). L’objectivation de la langue est rendue possible par l’intermédiaire d’une réflexion métalinguistique et métalangagière. Nonnon (2005) considère trois dimensions dans un travail sur les tâches de langage à l’oral:

4 S’il est prouvé que certains OGM présentent des risques vis-à-vis de la santé ou de l’environnement, certains autres ne seraient pas dangereux. En plus de la question problématique du risque, l’acceptation du terme OGM pose également problème.

105

1. Celle des attitudes sociales, du positionnement de soi face à autrui et de la prise en compte des autres participants à l’échange ;

2. Celle de l’élaboration des significations à travers les opérations discursives de référenciation et de mise en relation ;

3. Celle des ressources linguistiques et des formes discursives mobilisées (p. 177).

Comme « préalable nécessaire à la construction d’une didactique de l’argumentation » (1993b, p. 679), Chartrand élabore un modèle théorique des dimensions structurelles et fonctionnelles du discours argumentatif écrit qui le schématise comme un faisceau d’interactions entre divers composants (1993a, 1993b ; 1995). Les composants structurels comprennent les composants situationnels, à savoir l’auteur et le lecteur empiriques, le contexte spatiotemporel, le lieu social de production-réception (Bronckart, Bain, Schneuwly, Davaud & Pasquier, 1985) et le but, ainsi que les composants textuels relevant de l’instance textuelle, soit l’auteur modèle (Eco, 1985) et l’orchestration polyphonique, le lecteur modèle, l’intention du texte et le thème du discours. Les composants superstructurels, correspondant aux éléments constitutifs de la superstructure argumentative, sont la conclusion, l’argument et le présupposé doxologique. Enfin, pour les composants argumentatifs ou rhétoriques, il s’agit de l’enthymème5, du procédé argumentatif, du couple notionnel antithétique et de la figure. Pour Chartrand, l’enseignement du discours argumentatif écrit en classe de français nécessite de faire travailler le dit et le dire, de saisir le texte à différents moments de sa réalisation (1993a).

L’équipe de didactique des langues de l’université de Genève, inspirée des travaux de Bakhtine, aborde les textes en tant qu’exemplaires de genres. Ces genres s’enracinent dans des situations sociolinguistiques qui leur sont propres et, ainsi, tiennent autant de la matière linguistique que de l’idéologie historiquement construite de la société (Bronckart, 1996; Dolz

& Schneuwly, 1997; Schneuwly, 2002). Ces chercheurs ont conduit une série de recherches à partir du travail sur des genres argumentatifs oraux et écrits en classe de français (cf. Dolz, Rosat, Schneuwly, 1991; Dolz, 1995 ; Dolz & Schneuwly, 1998 ; Dolz, Noverraz & Schneuwly, 2001a ; 2001b; Dolz, Rey & Surian, 2004). Sous forme de séquences didactiques couvrant

5 Raisonnement épousant le mode déductif, appelé aussi syllogisme rhétorique (Chartrand, 1993b).

106

toute la scolarité obligatoire, ils traitent la lettre de demande, la réponse au courrier des lecteurs, le débat régulé, la présentation d’un roman, la pétition, la note critique de lecture et le point de vue. Dolz et Schneuwly (1998) répertorient les capacités langagières des élèves selon trois ordres : les capacités d’action, les capacités discursives et les capacités linguistico-discursives. Les capacités d’action permettent d’adapter sa production langagière aux contraintes des cadres d’interaction et aux caractéristiques des contenus référentiels mobilisés. Les capacités discursives touchent à la gestion de l’infrastructure générale du texte, au choix et à l’élaboration du contenu. Les capacités linguisto-discursives se rapportent aux opérations impliquées dans la production textuelle : la textualisation, la prise en charge énonciative, la construction des énoncés, le choix des items lexicaux.

Plantin, prenant appui sur le modèle de Toulmin, essaie de définir le noyau minimal, le schéma organique de l’épisode argumentatif dans les usages ordinaires de l’argumentation (Plantin, 1996a). Il pose le problème des circonstances d’apparition de l’argumentation dans l’interaction. Il propose de faire apprendre la langue de l’argumentation et du discours argumenté par l’analyse de la dynamique de l’argumentation circulant autour de cinq pôles : le vocabulaire pour critiquer ou construire des arguments, les visées argumentatives, le jeu de langage, le discours polémique et le dialogue intériorisé (Plantin, 1996a). Nonnon (1996), de son côté, traite des interactions argumentatives et des fonctions de la parole de l’enseignant. Construites à partir de représentations divergentes ou convergentes chez les participants, les interactions argumentatives sont potentiellement génératrices de connaissances nouvelles ; c’est sur l’interprétation des opérations amorcées par les élèves pour déployer, complexifier, problématiser les objets de discours dans l’échange que se fondent les régulations mises en œuvre par l’enseignant (Nonnon, 1996). Dans l’idée également d’interpréter le travail sur l’argumentation dans les interactions, Garcia-Debanc (1996; 1996/1997; 2004 (avec Laurent, Margotin, Grandaty & Sanz-Lecina)) s’applique notamment à définir des indicateurs afin d’évaluer les performances d’élèves en argumentation orale. Parmi ces chercheurs, plusieurs se sont consacrés à la recherche en lien avec le texte argumentatif oral, délaissant pour un temps le volet écrit de l’argumentation.

107

En somme, il apparait que les aspects rhétoriques de l’argumentation, vue comme l’étude des moyens verbaux propres à persuader – la fabrication du vraisemblable –, relèvent davantage du français et que les aspects heuristiques – le travail du vrai – relèvent davantage de disciplines comme l’histoire ou l’éducation à la citoyenneté. Cela dit, le travail de documentation des contenus, l’organisation et la mise en forme du discours sont interdépendants, mais le traitement de ces deux derniers éléments sont propres au français.

Certains aspects traversent toutes les disciplines : les aspects interpersonnels (la prise en compte des arguments des autres, le respect des tours de paroles, l’écoute), les aspects éthiques de l’argumentation et l’aménagement des contrats didactiques.

Étant donné que notre recherche se trouve au croisement de deux domaines d’enseignement, la culture générale et la didactique du français, l’analyse de pratiques de formation et de classe nous servira à vérifier la validité de ces hypothèses quant aux colorations disciplinaires des deux genres argumentatifs oraux. Nous observerons les différences de traitement de l’objet en fonction du contexte, à savoir le traitement de l’argumentation orale dans la formation et dans la classe.

Dans la prochaine partie de ce chapitre, nous présentons nos choix quant aux contenus et aux démarches à enseigner en argumentation orale. Ces choix guident l’élaboration de notre dispositif de formation.

3.3. Nos choix des savoirs à enseigner pour l’argumentation orale

Il s’agit maintenant d’établir nos choix des contenus et démarches d’enseignement pour l’argumentation orale. Nous le faisons en accord avec trois critères de validité didactique6 : - l’enseignabilité des contenus choisis,

- leur solidarité et leur cohérence d’ensemble

- leur pertinence par rapport aux capacités initiales des élèves, au milieu et aux curriculums et plan d’études.

Le choix de l’approche par genres oraux publics formels se lie au critère d’enseignabilité des contenus : les régularités propres au genre clarifient les activités langagières données pour

6 Le terme « validité didactique » est emprunté à Bain & Schneuwly (1993) ; nous avons toutefois adapté à l’objet de formation les critères utilisés pour la caractériser.

108

enseignement, en plus de les doter d’un cadre didactique fondé théoriquement et socialement. Le critère de cohérence requiert la prise en compte de la progression de l’enseignement puisque «[t]out ne peut être appris en même temps et que certains apprentissages doivent en précéder d’autres » (Chartrand, 2008). Le critère de pertinence implique une réflexion sur les indicateurs adéquats pour évaluer les progrès des apprentissages.