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Le processus d’institutionnalisation de l’AFBA par les élites argentines

3- Processus d’institutionnalisation de l’AFBA dans la capitale argentine capitale argentine capitale argentine

3.1. L’AFBA au cœur de jeux d’accords

3.1.3 Les liens de l’AFBA avec le Gouvernement argentin argentin

3.1.3.2. Le processus d’institutionnalisation de l’AFBA par les élites argentines

Le processus d’institutionnalisation de l’AFBA passe par deux voies convergentes qui correspondent au périmètre de son action éducative : les examens et les cours. Il s’agira pour l’AFBA de maintenir et d’amplifier la renommée de ces sessions d’examens, tout en bataillant auprès du Conseil National de l’Éducation pour un droit de cité de ses classes au

161 Le Lenguas Vivas est une école de formation des enseignants de langues adossée à une école pratique.

162 Les cours s’ouvrent en 1904 avec 384 élèves-enseignants souhaitant entrer dans des carrières de professorat

de français et d’anglais, tandis que le professorat propose en 1904 le programme suivant : Histoire argentine, espagnol et sa littérature, langues étrangères et leurs littératures, histoire du peuple étudié, pédagogie infantile, pédagogie spéciale, deuxième année : morale et logique. À ce programme s’ajoutent des mises en pratique dans les cours avec trois types de cours différents, un cours de langue étrangère pour 6-12 ans, un cours pour les 12-20 ans, un cours du soir pour adultes. Les cours a et c sont exclusivement donnés en méthodologie directe, alors que le cours b est donné en mixte directe et indirecte selon les besoins. Les enseignements de géographie et d’histoire se réalisent dans la langue enseignée (Moure, 1982).

177 sein des écoles nationales. On assiste donc à un double processus d’institutionnalisation : issu de la société mondaine et légal.

- La reconnaissance mondaine des activités d’enseignement-apprentissage du français de l’AFBA

En août 1914, l’AFBA examine les conséquences potentielles de la guerre sur la bonne marche de l’institution et envisage la suppression des remises de prix pour décembre 1914.

Cependant, le Comité de Direction renonce rapidement à ce projet, sur les conseils du Ministre de France, car une telle suppression serait dommageable pour l’AFBA à court terme : baisse d’inscriptions aux examens et perte de renommée de l’association. Afin de pouvoir continuer à financer des remises de prix en l’absence de subvention du Gouvernement français, le Comité de Buenos Aires décide uniquement de réduire l’ampleur de la réception de remise de prix, jusqu’en 1916.

On mesure l’importance d’une telle cérémonie sur la vie de l’AFBA : les examens sont la carte de visite de l’association et la toute première action d’enseignement-apprentissage du français entreprise sur le territoire argentin. En l’absence d’un local propre, c’est le seul espace de large visibilité dont dispose l’AFBA. Cet espace de visibilité s’amplifie à partir de 1916 car l’association reçoit le concours des autorités argentines pour l’organisation de l’événement163. Cette officialisation se traduit par l’implication de membres du Gouvernement dans ces cérémonies164, on note à ce titre la participation de Paul Groussac (pour les « examens supérieurs165 »), personnage universitaire incontournable de la première moitié du XXe siècle, qui termine sa carrière à la tête de la Bibliothèque Nationale166 et Enrique Rodriguez Larreta (ex-Ministre de l’Argentine en France). Il est intéressant de

163 En effet en décembre 1916, le Comité de Buenos Aires demande l’autorisation officielle de jouer l’hymne argentin à la Préfecture de police, qui prête sa fanfare pour l’occasion, tandis que le directeur des parcs et jardins publics est chargé de décorer la salle. Les examens de 1916 sont aussi l’occasion pour le Comité de Buenos Aires d’officialiser en termes administratifs les résultats des examens en créant un registre de notes sur les conseils de Louis Ardit.

164 Alors qu’en 1916, le Comité de Buenos Aires frappe lui-même pour la première fois les médailles de prix, afin de pallier l’absence d’envoi de la part de l’AF de Paris, pour la remise de prix de 1917, l’AFBA demande au Président de la République de faire don d’une médaille pour le premier prix et Leopoldo Herrera, ex-directeur de l’École Normale de Paraná, est l’invité d’honneur de la cérémonie. De plus, la fanfare de la marine prête son concours à l’organisation de l’événement.

165 Nous reviendrons sur la déclinaison des examens dans la troisième partie de ce chapitre (cf. infra, p.186).

166 Pour une biographie de Paul Groussac voir : Bruno, P. (2005), Paul Groussac. Un estratega intelectual, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires 262p.

178 constater que le processus d’institutionnalisation des examens de l’AFBA se réalise en partie par la nécessité de trouver des financements et des soutiens matériels argentins ou franco-argentins au cours de la Première Guerre mondiale167. Ce processus d’institutionnalisation aboutit à la fin de la guerre, et l'AFBA, devenue acteur incontournable de la capitale, multiplie les liens politiques168.

Cette notoriété publique se répercute au sein de la communauté française et les diplômes de l’AFBA, s’ils font office de titre élégant pour l’élite argentine, servent également à l’insertion professionnelle. Au sein de la communauté française, pendant la Ière GM, le diplôme de l’AFBA favorise l’embauche, notamment dans les entreprises françaises et plus particulièrement dans les maisons de commerce. Dans ce sens, un groupe d’anciens élèves soumet au Comité de Direction, en avril 1918, un projet d’association des anciens élèves de l’AFBA Cette association se fixe comme objectif de soutenir les actions du Comité de Buenos Aires et d’entretenir un réseau d’élèves, utile pour une insertion professionnelle169. - La reconnaissance légale des activités d’enseignement-apprentissage du français en Argentine

L’AFBA étend l’ouverture de classes de français, financées par le Comité de 1908 à 1917 dans les collèges privés et publics de la Capitale, ainsi que dans certaines associations d’éducations privées170. Le statu quo pour l’ouverture de cours du soir dans les écoles publiques est rompu par le Conseil de l’Éducation en mars 1917 et se conclut par l’autorisation officielle d’ouverture de classes de français pour l’AFBA, à la demande des établissements171. Les arguments que le Conseil National de l’Éducation et l’AFBA

167 À ce titre on note une donation, en mai 1918, d’un particulier, Angel Velay pour un montant de 250 piastres.

168 On peut citer, à titre d’exemple, le rapport de réunion du 29 août 1918, indiquant que des candidats aux élections municipales sollicitent le soutien public du Comité de Buenos Aires.

169 À ce titre, la reconnaissance officielle des diplômes dans la province de Santa-Fe donnent une indication

importante sur l’état d’institutionnalisation de l’AF. Le Conseil d’Éducation accorde le statut de titre officiel aux diplômes pour toute la province, tandis que la faculté de philosophie et de lettres de Buenos Aires accorde, en mai 1918, à une étudiante de l’AFBA, l’accès à la carrière étudiante sur présentation du diplôme supérieur des examens. La reconnaissance officielle des diplômes, point stratégique du développement de l’association est l’objet de longs débats entre l’AFBA et le Conseil National de l’Éducation de 1915 jusqu’au milieu du XXe siècle.

170 L’AFBA finance des cours du soir à partir de 1894, mais ce n’est véritablement qu’à partir de la résolution de 1908 que les cours s’étendent dans la ville.

171 Jusqu’en 1917, les directeurs des collèges nationaux sollicités acceptent l’ouverture de cours du soir dans

une sorte de régime de statu quo avec le Conseil National de l’Éducation, qui sans accorder son autorisation formelle à cette situation n’en empêche pas, pour autant, le déroulement. Au demeurant, on note quelques exceptions, telles que le Conseil Scolaire du secteur N°8, qui demande à l’AFBA d’ouvrir des cours du soir dans ses écoles, en décembre 1915. Cependant, en mars 1917, les directeurs des cinq écoles nationales concernés par les cours du soir indiquent que pour pouvoir ouvrir les cours du soir de français dans les écoles, l’autorisation du Conseil National de l’Éducation est requise. Cette rupture marque le début de longues démarches entre l’AFBA et le Conseil National de l’Éducation, visant l’insertion des actions d’enseignement-apprentissage de l’association dans un cadre public et légal, qui n’aboutit qu’en 1918. Le Comité de Buenos

179 s’opposent sont révélateurs d’idéologies linguistiques contradictoires. En effet, suite au refus du Conseil National de l’Éducation 1917, justifié par la nécessité pour le système éducatif argentin de favoriser avant tout l’apprentissage de l’espagnol et l’arithmétique (Annexes, Section 3, Document N°26, p.38), l’AFBA tente de défendre ses intérêts. Les arguments alors avancés reposent sur l’impossibilité de mise en concurrence de l’espagnol et du français, grâce à la loi de 1896, indiquant que tous les apprentissages doivent se réaliser en espagnol172. Pour le Comité de direction, l’espagnol est un apprentissage préalable au français, il n’y a donc pas d’interférence possible. À l’inverse, les arguments du Conseil National de l’Éducation renvoient au processus d’argentinisation, tandis que l’AFBA tend à souligner la complémentarité entre les deux langues173.

L’AFBA, de 1914 à 1918, est au centre d’intérêts patriotiques contradictoires, qui influent sur son évolution. Les liens entretenus par l’AFBA avec la communauté française, le Gouvernement français et le Gouvernement argentin, produisent des solutions inédites pour le développement de l’association. L’AFBA devient clairement une référence concernant les problématiques d’enseignement-apprentissage du français pour la communauté française, comme pour le Gouvernement français, tandis que le Gouvernement argentin lui reconnaît un champ d’action au sein même de son système éducatif. Ce positionnement lui permet de faire office d’interface entre le niveau individuel et le niveau institutionnel, et d’avancer vers une institutionnalisation de ses actions d’enseignement-apprentissage du français.

- Synthèse analytique : l’AFBA au cœur des jeux d’accords

Le développement de l’AFBA correspond donc à un moment stratégique traversant les échelles. Face à la Ière GM, les communautés s’organisent et trouvent dans l’engagement militaire des intérêts économiques immédiats, qui répondent aux intérêts économiques à l’œuvre pour les puissances de la guerre 1914-1918. Face à la neutralité du Gouvernement

Aires entreprend des démarches, dès le mois de mars 1917, auprès du Conseil National de l’Éducation qui reste sans réponse dans un premier temps. L’AFBA décide de faire appel à l’ambassade afin que le Ministre de France use de son influence pour maintenir le statu quo. Le Comité de Direction obtient une réponse négative de la part de M. Salinas en avril 1917.

172 C’est suite à ces débats, à la rentrée 2018, que l’AFBA ouvre des cours du soir sous son patronage dans les

écoles nationales, à la demande de certains établissements scolaires, ratifiées officiellement par les Conseils d’Éducations de secteur (l’École Normale N°4, le Conseil Scolaire N°15, le Conseil Scolaire N°17). On remarque notamment qu’en mars 1918, l’École Normale N°4 accorde l’ouverture de cours du soir dans son établissement contre le financement des frais d’éclairages qui doivent rester à la charge de l’AFBA.

173 Le recours auprès du Ministre de France échoue également et le Comité de Buenos Aires abandonne les démarches, trouvant une solution de relogement pour tous les cours du soir. L’autorisation officielle d’utiliser les locaux des collèges nationaux est finalement accordée en juin 1917 et sera utilisée dès la rentrée 1918 à la demande des Conseils Scolaires de secteur.

180 argentin, l’opinion publique est partagée entre ces factions qui tentent de développer le ralliement de l’ensemble de la société à leur cause. C’est dans ce cadre que l’AFBA prospère, car la langue devient une des frontières depuis laquelle distinguer l’ennemi de l’ami.

S’impose alors le paradigme linguistique comme outil de rassemblement et les thèses linguistiques du Siège central rencontrent un enjeu glocal à Buenos Aires. À ces enjeux glocaux répondent les circulations linguistiques, permises par le contact entre la France et l’Argentine. L’AFBA renforce ainsi le lien avec le Gouvernement français, tout en cherchant une plus grande visibilité auprès des élites argentines, comme auprès du Gouvernement argentin. L’enseignement-apprentissage des langues concurrentes devient alors l’une des facettes de l’effort de guerre dans un espace plurilingue et le Comité de Buenos Aires saisit bien l’enjeu, en mêlant de manière constante ses actions d’enseignement avec ses actions de propagande au service du programme du Comité patriotique. Ce positionnement de l’institution au cœur d’accords supranationaux et locaux détermine les circulations linguistiques, et par conséquent les idéologies d’enseignement-apprentissage du français.

3.2. La circulation du français dans l’effort

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