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La périodisation des traces pour l’analyse didactique glocale didactique glocale

Synthèse du chapitre 1 :

Chapitre 2 : l’analyse didactique glocale et sa méthodologie glocale et sa méthodologie

2.2. Le paradigme indiciaire, méthodologie de l’analyse didactique globale de l’analyse didactique globale

2.2.2 La périodisation des traces pour l’analyse didactique glocale didactique glocale

2.2.2.1. Une périodisation en concentration temporelle

Nous avons vu que s’il y a articulation de différents régimes d’historicité dans l’espace argentin au XXe siècle, c’est que la mémoire de la communauté sert d’interface à ces régimes. On pourrait donc poser, à l’instar de François Hartog, un second outil d’analyse historique : le régime d’historicité des contacts. Cet outil théorique définit des manières de mettre en récit l’expérience de la circulation en relation avec l’horizon d’attente de ces circulations. Le régime d’historicité des contacts est donc le produit des négociations mémorielles entre la communauté et les espaces nationaux avec lesquels elle dialogue. Ce sont précisément ces types de régimes d’historicité, que nous désignons sous le terme de

« concentration temporelle ».

Ainsi la concentration temporelle permet d’observer le télescopage des régimes d’historicité grâce à l’analyse des enjeux multiples et parfois contradictoires pour un seul phénomène historique. La publication de l’Armistice de la Première Guerre mondiale, par exemple, est un phénomène historique commun à tous les espaces impliqués, mais qui dispose d’enjeux interprétatifs différents selon les espaces de réception. Par conséquent, la concentration temporelle pourrait être définie de la manière suivante : c’est la concentration de régimes d’historicités différents, traduisant des enjeux historiques différents, faisant l’objet d’une négociation mémorielle au sein d’un groupe ou d’une collectivité.

102 Nous avons choisi de développer ce concept car il nous semblait fondamental de procéder à un découpage permettant d’observer la concentration des rapports aux temps et donc des enjeux, afin d’envisager les matériaux didactiques comme les produits d’une négociation entre ces enjeux. Ainsi, il s’agissait d’éviter la domination du temps d’un espace sur un autre, comme l’avancent Jean Le Bihan et Florian Mazel dans leur l’étude sur la périodisation canonique en histoire64. Cette critique de la périodisation est par ailleurs relevée par Sanjai Subrahmanyam, l’un des concepteurs de l’histoire connectée65, car pour lui les découpages historiques nationaux ne permettent pas de comprendre véritablement les phénomènes historiques. Il plaide alors pour un découpage permettant de saisir les connections entre les espaces :

« Nationalism has blinded us to the possibility of connection, and historical ethnography, whether in one of its western variants of high Orientalism, or whether practised in the East, has aided and abetted this unfortunate process. The thrust of such ethnography has always been to emphasize difference, and more usually the positional superiority of the observer over the observed (save in particular situations where the 'colonized' observer had internalized someone else's values, and found himself and his own society wanting by those measure. » 66

(Subrahmanyam, 1997 : p.761) Il s’agit donc de saisir des découpages temporels faisant œuvre de polarisation temporelle entre des espaces, sans en aplanir les enjeux. C’est-à-dire que les enjeux de différents espaces se rejoignent sans se confondre : un même objet temporel commun connecte les espaces,

64 « Le processus se renforce dans la seconde moitié du XXe siècle sous l’effet de trois principaux facteurs. En premier lieu, l’après-guerre voit apparaître de nouvelles institutions vouées à la gestion des carrières des enseignants-chercheurs et chercheurs, en particulier le Comité consultatif des universités, futur CNU, et le Comité national du CNRS. Ces deux instances ont fini par procéder à des regroupements entre les quatre périodes canoniques, généralement en associant l’Antiquité et le Moyen Âge d’un côté, les époques moderne et contemporaine de l’autre ; il n’empêche : en ce qui concerne la discipline historique, l’une et l’autre adossent explicitement leur activité à la quadripartition canonique. » (Le Bihan, Mazel, 2016 : p.800)

65 Les démarches et généalogies de l’histoire connectée sont résumés par Caroline Douki et Philippe Minard dans leur article de 2007 : « La démarche est globale en ce sens qu’elle entend s’émanciper des découpages dictés par les frontières étatiques pour saisir les relations, passages, influences, transferts, parentés voire continuités longtemps ignorés ou minimisés. Sanjai Subrahmanyam qualifie cette approche d’“histoire connectée”, l’historien jouant en quelque sorte le rôle de l’électricien rétablissant les connexions continentales et intercontinentales que les historiographies nationales ont escamotées en imperméabilisant leurs frontières » (Douki, Minard, 2007 : p. 19)

66 « Le nationalisme nous a rendu aveugle à l’existence des connections, et l’histoire ethnographique, tant dans l’une de ses variantes du haut-orientalisme, que dans sa pratique à l’Est, a renforcé et encouragé ce malheureux processus. La force d'une telle ethnographie a toujours été de mettre l’accent sur la difference, et plus généralement la position de supériorité de l’observeur sur celui qui est observé (sauf dans des cas particuliers où l’observeur colonisé a internalisé les valeurs d'autrui, et s’est trouvé, ainsi que sa propre société, démuni par ces mesures. » (Notre traduction).

103 mais ces derniers conservent leur régime d’historicité face à cet objet temporel. Comment alors reconnaître une concentration temporelle ?

Les concentrations temporelles sont caractérisées par le fait qu’elles contiennent des moments de crise particulièrement aigues. On pourrait ainsi dénombrer trois grands types de crises : les processus d’appropriation des territoires via la colonisation ou les indépendances, les guerres massives et mondialisées, engageant plusieurs espaces et enfin les questions écologiques au XXIe siècle. Ces crises provoquent des « concentrations temporelles » au sens où elles mettent tous les espaces face à un même événement, tout en présentant des enjeux divers pour les espaces ainsi connectés. Les moments de crises internationales sont donc des temporalités privilégiées pour l’étude du contact et de la circulation linguistique car elles permettent de réunir les espaces sans pour autant lisser les rapports des sociétés à la crise. Les concentrations temporelles permettent au chercheur de sortir du comparativisme en concentrant son attention non pas sur les ressemblances et les différences, mais sur le mouvement à l’intérieur d’une même temporalité, pour reprendre le débat introduit par Michel Espagne. Cette étude se focalisera donc sur des temporalités mixtes, en privilégiant les concentrations temporelles. Il s’agira de ne pas prendre le temps dans sa linéarité pour un espace mais de questionner les découpages pour réfléchir la manière dont les crises bousculent cette linéarité.

2.2.2.2 Les périodes retenues pour l’étude

Le découpage temporel de cette étude se focalise donc sur des moments de crises nationales et internationales, qui font l’objet d’une forme de circulation linguistique. Les deux grandes concentrations temporelles de cette étude sont la Première Guerre mondiale et la Deuxième Guerre mondiale. Ces périodes de concentrations temporelles seront complétées par deux autres périodes l’une appartenant en propre au découpage traditionnel de l’histoire européenne : l’entre-deux guerres et une autre appartenant en propre au découpage traditionnel de l’histoire argentine : la dernière période de dictature des années 70.

Tableau 6. Périodisation de l’étude

Concentrations temporelles Découpages traditionnels des aires géographiques à l’étude Première Guerre mondiale (1914-1918)

Seconde Guerre mondiale (1939-1945)

Entre-deux guerres (1919-1938) Dictature militaire (1976-1983)

Il y a donc deux choix autour de l’hybridité du découpage temporel, un premier lié aux concentrations temporelles, sous le régime desquelles les espaces se rejoignent, et un second

104 qui consiste à choisir, à parts égales, des périodes appartenant en propre à chacun des deux espaces de l’étude (l’Europe et l’Amérique latine). Dans le premier cas, il s’agit de choisir des moments de jonction des espaces autour d’une crise affectant les deux espaces, dans laquelle la France et l’Argentine tiennent un rôle. Dans le second cas, il s’agit de faire référence, à parts égales, à deux lieux historiographiques très construits de l’espace producteur des intentions de diffusion et de l’espace producteur des intentions de réception, pour explorer la manière particulière avec laquelle ces historiographies, aux espaces temporels quadrillés, laissent libre cours à l’inscription de régimes d’historicité distincts.

La Première Guerre mondiale (dorénavant 1ère GM) est une période de concentration temporelle car elle impacte les différents espaces de cette étude. La France est un acteur belligérant dans le conflit et l’AF de Paris prend part à l’effort de guerre par la diffusion de son bulletin. Entre 1914 et 1919, le Comité central de l’AF de Paris interrompt la publication de son bulletin sous sa première forme, pour le remplacer par un bulletin de guerre. Cette publication vise une diffusion extérieure au territoire français, qui répand la légitimation de la position française dans le conflit. L’implication d’acteurs non européens renforce la dimension mondiale du conflit. Les belligérants européens étant dans un processus d’expansion coloniale, une grande partie du monde se trouve enrôlée dans ce conflit de force, car sous domination de l’une ou de l’autre des parties67. De plus, les territoires échappant à la domination coloniale, mais sous le feu d’influences croisées sont sommés de se positionner dans le conflit, au premier titre desquels les partenaires commerciaux (Smith, Mollan & Tennent, 2017). Or l’Argentine est un partenaire commercial de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne au cours de la 1ère GM (Compagnon, 2013). Ainsi la 1ère GM a des conséquences sur les communautés de peuplement européens en Argentine, Hernan Otero (2009-b) analyse la mise en place d’une guerre au sein des communautés qui se livrent une bataille économique dans la ville et participent à l’effort de guerre comme nous pourrons le voir lors du troisième chapitre (cf. infra, p.147). L’AFBA y contribue de deux manières : en participant au Comité Patriotique, fondé en 1914, ayant pour objectif

67 « La internacionalización de la guerra y la inesperada duración del conflicto convirtieron a los países neutrales en objetivos diplomáticos de primer orden. Los países beligerantes comprendieron muy pronto que el éxito de la guerra dependía en buena medida del abastecimiento de los bienes que no podían producir y de la capacidad para destruir o neutralizar mediante la guerra económica el comercia y las finanzas del enemigo » (Otero; 2009-b, emplacement 392). « L’internationalisation de la guerre et l’allongement imprévu de la durée du conflit transforment les pays neutres en objectifs diplomatiques de premier ordre. Les pays belligérants comprennent très rapidement que la victoire dépend en bonne partie de l’approvisionnement de biens qu’ils ne peuvent produire et de la capacité à détruire ou neutraliser, via la guerre économique et le commerce, les finances de l’ennemi. » (Notre traduction).

105 d’organiser le support matériel de la communauté française en Argentine à la 1ère GM, par l’envoi d’hommes et de biens. Le Comité de Buenos Aires engage des frais pour les bons de la dette française et organise du soutien matériel jusque dans les cours. La 1ère GM est donc un grand moment de concentration temporelle au sens où elle engage tous les acteurs des espaces de l’étude avec des enjeux différents et des rapports différents à la crise.

La Seconde Guerre mondiale (dorénavant 2sd GM) est également une période de concentration temporelle, mais de manière différente. Si l’Argentine déclare sa neutralité lors de l’éclatement du conflit, comme de nombreux autres pays, l’exacerbation des impérialismes et la continuation du conflit sur d’autres territoires, par d’autres moyens, entraîne des conséquences sur de nombreux territoires tels que l’Argentine (Weinmann, 1994). Le taux de migration est bien inférieur à celui de la 1ère GM et les enjeux communautaires français en sont nécessairement modifiés. Cette baisse du taux de migration ne signifie pas la fin de l’organisation en communautés, mais leur stabilisation et leur sédentarisation au sein de la vie politique argentine (Novick, 2008). Cette sédentarisation engage encore plus avant les acteurs de la communauté française dans des enjeux proprement locaux. Au demeurant, les jeux internationaux poussent cette communauté à se positionner.

Lors de la 2sd GM, l’AF cesse son activité à Paris (Bruézière, 1983). Les AF prennent le relais depuis Londres dans un réseau auquel se joignent de nombreuses AF dans le monde.

En Amérique latine en particulier, l’engagement des AF au côté de celle de Londres accompagnent l’engagement des Comités De Gaulle pour la libération (Vaïsse, 2014). Ces comités contribuent à la bataille des influences de chacun des impérialismes en Amérique latine sur les terrains économiques et politiques, en engageant les pouvoirs publics, comme les populations, à prendre parti. De plus, cette influence est renforcée par la diaspora universitaire qui s’établit hors des frontières françaises (Felgine, 2014). Il s’agit donc d’un moment de concentration temporelle au sens où les espaces se rejoignent physiquement par l’installation des enjeux militaires, sur les territoires non engagés dans le conflit.

Nous compléterons l’étude de ces moments de concentration temporelle par une périodisation issue des deux espaces. Une première périodisation est issue de l’espace français : l’entre-deux guerres.

L’entre-deux guerres est intéressant pour l’exploration du corpus car il s’agit d’un moment de reconfiguration de la communauté française à l’issue de la 1ère GM autour du paradigme linguistique, alors que les migrations françaises sur le territoire sont déclinantes. De plus,

106 cette période est marquée par une augmentation constante des références au sein des bulletins de l’AF de Paris au territoire argentin, d’une part, et d’autre part par le développement très important de l’AF en Argentine (cf. infra, p.132).

Enfin la quatrième périodisation est, quant à elle, propre au territoire argentin, il s’agit de compléter l’étude avec un moment de crise argentin, à l’issue du processus d’institutionnalisation de l’AF à Buenos Aires. Ce moment de crise est d’autant plus intéressant qu’il est consécutif à l’essor de la linguistique en Argentine (à partir de 1958) ainsi qu’à l’essor du champ français du français langue étrangère. Il s’agit donc, dans ces deux dernières périodes, d’étudier la circulation linguistique grâce à des découpages hybrides appartenant en propre à la France comme à l’Argentine.

L’ensemble de cette périodisation a été définie a posteriori du recueil et de la première analyse de données, elle est le produit de cette première analyse. La périodisation ne s’est opérée qu’après la première analyse du corpus, c’est pourquoi le corpus d’archive périodisé, analysé et présenté pour cette étude ne représente qu’un quart des données totales recueillies et traitées. Ce premier traitement a été déterminant pour l’ensemble de la périodisation, nous offrant une vision globale de l’évolution de l’AFBA, non existante avant notre étude. Nous tâcherons donc à présent de décrire les opérations de recueil du corpus et d’en préciser la circonscription.

2.3. La constitution d’un corpus stratifié et

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