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Synthèse du chapitre 1 :

Chapitre 2 : l’analyse didactique glocale et sa méthodologie glocale et sa méthodologie

2.3. La constitution d’un corpus stratifié et rhizomatique rhizomatique

2.3.2 Les dialogues du corpus

Nous pourrions schématiser ainsi la constitution du corpus : Première Guerre

116 Figure 8. Constitution du corpus

117 Comment, dès lors que le corpus central se concentre sur l’AFBA analyser les tensions contextuelles ? Suite à la constitution des corpus, le problème réside dans les modalités de dialogue à opérer entre ces corpus et au sein de ces corpus. En effet, une première modalité de dialogue doit s’établir entre le corpus central et les corpus parallèle, mais la recherche doit également gérer l’hétérogénéité matérielle constitutive du corpus central comme celle des corpus parallèles et articuler les éléments de décision stratégique en didactique, les relevés de décisions, les programmes et les manuels, avec les éléments propagandistiques, les discours.

2.3.2.1. Le dialogue entre pratique et propagande

Cette recherche s’articule autour de matériaux d’archives composites, en effet, le corpus central d’archives est constitué de matériaux différents : d’éléments de décision stratégique en didactique et d’éléments propagandistes et cette altérité pose différents problèmes.

Comment saisir la circulation entre les éléments culturels présents dans ces matériaux ? Quel statut accorder à la nature des matériaux même comment les inclure dans l’analyse ? Comment traiter le discours véhiculant les idéologies linguistiques ?

Michel de Certeau (1975) détaille les lieux de fabrique de l’histoire et pose alors le travail de l’historien aux prises avec une tension fondamentale : les deux types de discours qui le constituent. En effet, pour l’auteur, la recherche en histoire est fondamentalement tendue entre le discours organisant les faits du passé : l’histoire et l’événement, produits du travail de compréhension de l’historien, et les catégories du discours organisant le discours historique lui-même, prises dans le présent.

« Les usages du langage n’étant pas les mêmes, peut-on traiter tout le langage selon des procédures identiques, à savoir les nôtres, historiques ou sociologiques, qui s’inscrivent dans la ligne du “chiffre” ? De quoi nos méthodes interprétatives rendent-elles compte lorsqu’elles s’appliquent à des “expressions” qui fonctionnent autrement que nos

“productions” ? Question fondamentale en histoire des mentalités ou en sociologie culturelle. Au XVIIIème siècle, s’est effectué un travail de dissuasion entre deux cultures dont l'une, élitaire, savante, “bourgeoise”, se différencie de l'autre,

“traditionnelle”, dont elle fait à la fois l'objet et le terme de son action. »

(De Certeau, 1975 : p. 199) Le travail historique s’accompagne donc de la production de lieux discursifs, non seulement en relation avec leur rapport à l’objet historique étudié, mais aussi avec les catégories de l’analyse historique, elles-mêmes déterminées par le rapport de l’historien au présent et donc aux idéologies contemporaines du chercheur. Le positionnement subjectif consisterait alors en un certain rapport du chercheur aux idéologies contemporaines. Comment ce

118 positionnement subjectif se retrouve-t-il dans le travail de recherche historique ? Comme l’avance Michel de Certeau, sous l’angle du rapport au discours, à son propre discours et aux discours travaillés. En effet, la caractéristique de cette écriture historique est de faire dialoguer les voix, les discours, pour les organiser dans un récit cohérent. Michel de Certeau précise à ce propos que :

« Le récit de cette relation d'exclusion et de fascination, de domination ou de communication avec l’autre (poste rempli tour à tour par un voisinage ou un futur) permet à notre société de se raconter elle-même grâce à l’histoire. Il fonctionne comme le faisaient, ou le font encore en des civilisations étrangères, les récits de luttes cosmogoniques confrontant un présent à une origine. »

(De Certeau, 1975 : p. 58) L’écriture historique se fonde sur un discours à la troisième personne, permettant la mise en lien du monde des vivants avec celui des morts. Dans ce discours, la voix des morts est mise au service des temps présents pour un dialogue entre vivants. La plurivocité des archives est donc travaillée au sein du discours historique au profit d’une forme de cohérence, servant l’analyse présente d’un temps passé. Or cette cohérence s’effectue, selon Michel de Certeau au prix de la mise sous silence d’une partie des événements qu’il nomme les « résistances»

(de Certeau, 1975 : p. 10).

Cette analyse du travail historique est particulièrement intéressante en ce qui concerne notre étude car il s’agit de savoir quel statut accorder à chacun des matériaux composant le corpus, puis la manière dont ces matériaux reconstruisent une voix. Les matériaux doivent-ils être pris et analysés dans une recherche de cohérence ? Comment comprendre les aspérités entre les différents types de matériaux : entre le contenu des manuels et la surface des discours ? On mesure l’importance, dans le cadre méthodologique, d’arriver à une définition de la valeur du matériel et de l’articulation des types de matériaux au sein d’un même espace.

On considérera dans cette recherche que le matériel de décision est la face immergée des tensions contextuelles, celle qui les met en chantier, les négocie sans les figer. On constate que ce matériel traduit de nombreux va-et-vient entre les tensions sans prise de position ferme et définitive. En ce sens, le matériel de décision est entendu comme une sorte de praxis de l’association tandis qu’à l’opposé, les manuels et les discours seront entendus comme la face montrée de l’institution, fixant pour un temps T les tensions dans un espace. Les matériaux de décision didactique, à l’inverse, ayant valeur d’orientation pour le développement de l’AFBA seront entendus du point de vue des traces de chantiers. Selon nous, ils révèlent l’échafaudage permettant l’institutionnalisation de l’AFBA et constituent

119 les traces des débats et des justifications concernant l’orientation de l’association. C’est un type de matériel particulièrement intéressant car c’est dans ces traces du chantier associatif que l’on peut déceler les tensions à l’œuvre dans la prise de décision. À l’inverse, nous prendrons les discours et les manuels comme la face révélée de l’association, résultat des tensions dans un espace, au sens où ils fixent dans un instant T l’état des tensions, sans pour autant en bloquer les pratiques.

La relation entre les deux types de matériaux n’est donc pas une relation de causalité, dans laquelle les discours entraîneraient les décisions qui elles-mêmes entraîneraient l’élaboration des manuels ou inversement. Il s’agit d’une relation entre le mouvement et la fixité au sein des tensions pour un espace. Les différents matériaux sont en effet à corréler avec des formes d’expression du développement de l’AFBA, ayant des fonctions différentes. La fonction de décision prend en charge les tensions et les discute, tandis que la fonction de représentation fixe momentanément les tensions afin d’en délivrer une image. Il s’agit donc de deux processus de production concomitants à visée divergente.

2.3.2.2. Le dialogue entre corpus central et corpus parallèles À la valeur composite du matériau s’ajoute la constitution de plusieurs corpus : un corpus central pour deux corpus parallèles. Or les tensions dans la prise de décision appartiennent, dans le cas de l’AFBA, à plusieurs espaces géographiques : la France et l’Argentine a minima, mais aussi, puisque Buenos Aires est un terrain marqué par de nombreuses communautés européennes, par tous les pays en présence produisant des politiques de diffusion de leur langue nationale en Argentine (au premier titre desquels l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis).

La perspective principale se centre donc sur les matériaux présents dans le corpus de Buenos Aires compris comme le cœur des tensions et donc de la circulation linguistique. La technique de dialogue est toujours la même : la séparation des traces dans le corpus central et la recherche de traces correspondantes dans les corpus parallèles. C’est pourquoi les corpus parallèles se sont constitués au fur et à mesure de l’analyse du contenu du corpus central, sur le mode que nous avons indiqué plus haut pour l’exemple de Raymond Ronze (cf. supra, p.106). Le dialogue et la recherche par trace est le propre du paradigme indiciaire qui nous a semblé le plus juste pour l’établissement du dialogue des voix que Michel de Certeau (1975) évoque.

120 La définition du paradigme indiciaire de la micro-histoire semble ouvrir la possibilité à la remise en voix de ces oubliés de l’histoire. En d’autres termes, la voie tracée par Ginzburg s’empare non seulement de zones d’ombre de l’histoire, mais la méthode même employée permet de redonner du sens à une voix historique. Il ne s’agit alors plus de faire rentrer toutes ces voix dans un système, mais de considérer comment ces voix s’articulent avec des événements ayant lieu à plus large échelle. Les corpus multiples permettent donc de considérer la manière dont les individus sont impactés par des événements nationaux et internationaux, mais également de considérer la manière dont les individus sont en mesure d’influer sur ces mêmes événements. L’établissement des deux types de dialogue vise donc les symptômes, afin de comprendre le passé, comme l’affirme Carlo Ginzburg :

« Même si l’historien ne peut se comparer au médecin qui utilise les cadres nosographiques pour analyser la maladie spécifique du malade particulier. Comme celle du médecin, la connaissance historique est indirecte, indiciaire et conjecturale. »

(Ginzburg, 1989 : p. 154) Nous avons tenté de mettre en œuvre l’ensemble de ces principes méthodologiques lors du traitement du corpus, que nous souhaitons exposer à la clôture de ce chapitre afin d’éclairer les analyses des chapitres suivants.

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