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Synthèse du chapitre 1 :

Chapitre 2 : l’analyse didactique glocale et sa méthodologie glocale et sa méthodologie

2.2. Le paradigme indiciaire, méthodologie de l’analyse didactique globale de l’analyse didactique globale

2.2.1. Le paradigme indiciaire et la mémoire

2.2.1.1. La définition du paradigme indiciaire

« En toute étude historique le choix des documents implique, consciemment ou non, une perspective particulière sur le sujet traité et détermine l’orientation de la recherche.

Commençons par donc par établir une classification des sources disponibles ».

(Wachtel, 1971 : p. 26) Le changement de perspective théorique décrit par Nathan Wachtel s’appuie sur un choix méthodologique : la sélection des documents de travail. Ainsi, afin de travailler une histoire de la conquête des espaces américains par les Espagnols, Nathan Wachtel privilégie les sources incas et aztèques en les classifiant par point de vue sur l’événement et la nature des récits. Ce choix méthodologique renvoie, dans le cadre particulier de la circulation culturelle, à la proposition de Michel Espagne (1999), qui recommande aux chercheurs de concentrer leur attention sur les lieux de la circulation culturelle ou les acteurs de la circulation eux-mêmes, les migrants et les enseignants, afin de comprendre les phénomènes de transfert culturel. Dans les deux cas, il s’agit de fonder un changement de perspective sur une orientation méthodologique lors du recueil de documents historiques. Choisissant de se saisir de cette orientation théorique et méthodologique, l’étude ne peut faire l’économie d’une définition de la notion de trace et de ses incidences sur la recherche.

98 La « trace » est une notion appartenant au paradigme indiciaire défini par Carlo Ginzburg dans ses travaux et particulièrement théorisé dans les deux ouvrages que sont le fil et la trace (2010) et le juge et l’historien (1997). Selon Carlo Ginzburg, la mise en œuvre du paradigme indiciaire conduit le chercheur à relever, dans des documents d’archives sur la vie quotidienne, les traces laissées par des événements nationaux ou supranationaux. Il s’agit donc, dans notre cas, d’étudier les traces laissées par les gestes quotidiens d’enseignement-apprentissage. Ces traces sont alors comprises comme des révélateurs, des indices du déroulement local d’événements nationaux et supranationaux pour reconstituer le fil de l’histoire de l’enseignement-apprentissage glocal au regard des contacts avec les évolutions des idéologies linguistiques nationales et internationales.

« Dans les trois cas, des traces même infinitésimales permettent de saisir une réalité plus profonde, impossible à atteindre autrement. Des traces : plus précisément, des symptômes (dans le cas de Freud), des indices (dans le cas de Sherlock Holmes), des signes picturaux (dans le cas de Morelli). »

(Ginzburg, 1989 : p. 147) Par conséquent, la recherche grâce au paradigme indiciaire est une démarche méthodologique, poussant le chercheur à effectuer des allers-retours entre les individus et les mouvements supra-sociétaux. Ainsi, dans son ouvrage le fil et la trace, Carlo Ginzburg étudie les enjeux sociétaux et supra-sociétaux présents dans des parcours de vie individuels.

« […] mais ce qui me poussait à ce type de récit (et de manière plus générale ce qui me poussait à m’occuper d’histoire) me venait de plus loin : de Guerre et Paix, de la conviction exprimée par Tolstoï qu’un phénomène historique ne peut devenir compréhensible qu’à travers la reconstruction de l’activité de toutes les personnes qui y ont participé »

(Ginzburg, 2010 : pp. 385-386) La trace, dans le cadre de cette démarche, est donc la plus petite unité historique retenue pour la recherche et c’est en cela que la micro-histoire permet de dépasser le comparatisme.

Tout d’abord le paradigme indiciaire lie naturellement le niveau macro-sociétal et micro- sociétal, en posant la perméabilité des enjeux macro-sociétaux au niveau micro- sociétal. Les influences d’échelles posées par une telle théorie rejoignent la définition de la circulation linguistique esquissée au premier chapitre (cf. supra, p.60). De plus, cette trace historique est un indice de la tension entre les intentions de réception et les intentions de diffusion linguistique, elle est le produit de la négociation entre deux intentions pour un espace. Il s’agit donc d’analyser des tensions incarnées entre réception et diffusion des

99 processus de circulation de la langue française, afin d’effectuer une topographie62 de ces tensions. La trace est alors l’incarnation, le produit d’une tension de circulation, ainsi on comprendra la production de manuels comme une trace résultant de cette tension. La trace, au sens particulier où nous l’entendrons dorénavant dans cette recherche est donc la plus petite unité du paradigme indiciaire stratégique, concernant la circulation du français. Le paradigme indiciaire stratégique, est constitué quant à lui, de tous les éléments de décisions concrètes qui ont conduit à la circulation effective du français sur le territoire argentin.

Si cette étude se concentre sur les traces de l’AFBA, c’est que ces traces permettent de révéler tout à la fois les intentions de diffusion du français, comme les intentions de réception. La constitution d’un corpus de traces pour l’étude de ces tensions doit donc se centrer sur les archives de l’AFBA. C’est au sein de ces archives que cette étude sélectionnera le matériel pour la constitution d’un corpus primaire. Ce corpus primaire devra alors être éclairé par la constitution de deux autres corpus secondaires. Les corpus secondaires serviront de point de repère pour une histoire connectée de la circulation linguistique en France et en Argentine. Cette histoire connectée nous permettra d’éclairer les indices du corpus primaire micro- historique, et de comprendre les modalités de perméabilité des échelles.

Le paradigme de la trace, dans ces espaces traversés par des temporalités différentes, nous invite à repérer les connexions historiques internationales, leurs resémantisations et les tensions qu’elles engendrent. Carlo Ginzburg pose le travail de l’historien comme un travail de détective qui chercherait en quoi les mouvements internationaux toucheraient et modifieraient des trajectoires au niveau micro-historique (au niveau des individus).

« Le refus de l’ethnocentrisme ne m’avait pas conduit à l’histoire sérielle mais bien à son contraire : à l’analyse rapprochée d’une documentation circonscrite, liée à un individu inconnu par ailleurs. »

(Ginzburg, 2010 : p. 382) Cette démarche permet un constant aller-retour entre des temporalités et offre la possibilité d’étudier la manière dont elles dialoguent et s’influencent entre elles. En effet, l’institutionnalisation de la pratique sociale d’enseignement-apprentissage du français est liée, comme on a pu le voir précédemment (cf. supra, p.90) à la mémoire de la communauté de migration française, comprise dans le travail d’une mémoire nationale, au service de la

62 Une représentation graphique et tangible des tensions aboutissant à la réalisation des produits didactiques.

100 construction d’un imaginaire national. Collecter les traces du processus d’élaboration du matériel didactique dans ce cadre, c’est chercher à comprendre l’influence de cette mémoire sur l’enseignement-apprentissage du français.

2.2.1.2. Les traces et la mémoire

Nous avons défini (cf. supra, p. 83) le lien entre la formation d’une mémoire individuelle et la formation d’une mémoire collective dans un continuum, mettant en évidence les éléments de la mémoire individuelle qui sont construits ou reconstruits via la mémoire collective63. La division en moments chronologiques, alignés sur des temporalisations historiques est un procédé de relecture du passé qui met en jeu, selon nous, un certain rapport à la temporalité pour les individus. La mémoire est donc le travail profondément individuel et profondément collectif de positionnement des événements dans un paysage imaginaire, via une lecture du passé. Or dans le cas de l’AF et plus particulièrement de l’AFBA, ce qui est intéressant c’est que ce travail sur la mémoire est incarné. Il est matérialisé dans deux objets distincts : les récits rapportés de son histoire (discours, rapports de réunion) et les construits architecturaux. Au sein de ces mémoires, se surimposent plusieurs niveaux de lecture, selon les groupes l’incorporant dans leur mémoire collective : il peut ainsi être incorporé à une mémoire locale à Buenos Aires et à une mémoire de la diffusion du français. Il devient donc impossible de tracer une nette séparation entre ce double investissement de l’AF dans les mémoires, car une stricte lecture chronologique nous entraîne à choisir des événements et donc à choisir entre une formation mémorielle ou une autre.

Le point d’articulation entre ces deux formations mémorielles réside dans la mémoire de la réception, de l’interprétation, du détournement de cette politique de diffusion. En conséquence, il est nécessaire de voir comment la diffusion du français est intégrée de manière dynamique dans les mémoires locales et comment cette intégration est à son tour interprétée dans la mémoire de la diffusion. Il s’agit là d’un point de contact particulièrement intéressant d’un événement qui présente deux faces interprétables et incorporables dans des mémoires collectives distinctes. Ces mêmes mémoires collectives s’inscrivent, selon la théorie de François Hartog, dans des régimes d’historicité différents et sont donc tendues par des perspectives d’avenir différentes. En somme, on peut avancer que l’AFBA est

63 Halbwachs réserve un espace particulier à l’incorporation historique dans la mémoire individuelle, c’est pour lui, une relecture. « Nous verrons bien que les amorces ou les éléments de ces souvenirs personnels, qui semblent n'appartenir à personne qu'à nous, se peuvent bien trouver dans des milieux sociaux définis et s’y conserver, et que les membres de ces groupes (dont nous ne cessons pas nous-mêmes de faire partie) sauraient les y découvrir et nous les montrer, si nous les interrogions comme il faudrait. » (Halbwachs, 1950 : p. 32).

101 convoquée pour des raisons différentes dans les mémoires collectives ce qui fait du bâtiment de l’AFBA un lieu de mémoire investi de plusieurs imaginaires nationaux et communautaires. Il est donc important de considérer que l’analyse didactique glocale, en incorporant l’analyse d’un phénomène de circulation linguistique sous l’angle du régime d’historicité, nous conduit à envisager l’intégration de l’enseignement-apprentissage dans deux systèmes distincts de mémoire. Dès lors, la périodisation de l’étude fait partie de l’analyse, il s’agit de détecter les moments historiques dans lesquels ces négociations mémorielles sont les plus visibles. Nous désignerons dorénavant ces moments de concentration des enjeux sous le terme de « concentration temporelle » et chercherons à délimiter la définition de la concentration temporelle d’une part, et définir les spécificités des quatre concentrations temporelles retenues pour l’étude, d’autre part.

2.2.2 La périodisation des traces pour l’analyse

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