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CAUSE PREMIERE

TRAITE 4

DU FLUX DES EFFETS ISSUS DE LA CAUSE

PREMIERE ET DE L’ORDRE DES CAUSES

C

HAPITRE

1

C

E QU

EST FLUER D

UNE CHOSE A UNE AUTRE CHOSE

Puisque nous avons l’intention d’expliquer comment le causé peut fluer de la cause, il nous importe de souligner tout d’abord, ce qu’est ce flux. Une chose, en effet, est la division de la cause, autre chose, la division 5

de ce qui flue du principe. Ne flue, en effet, que ce qui se trouve sous une même forme dans ce qui flue et dans ce à partir de quoi advient le flux. De même que la rivière est de la même forme que la source, par laquelle elle s’écoule, de même l’eau, dans l’une comme dans l’autre, est de la même espèce et de la même forme : ce qui n’est pas toujours le cas dans le causé et 10

dans la cause. La cause d’une chose en particulier est, en effet, cause équivoque. De même, fluer n’est pas la même chose que causer univoquement. La cause, en effet, et le causé, univoques, causent à un certain moment dans une autre chose. Or, de la source, à partir de laquelle advient le flux, ne flue qu’une forme simple sans que rien ne change dans le 15

sujet par un mouvement d’altération ou par quelque chose d’autre. Ainsi parlons nous de la forme de l’art1 à partir du fluer de l’art simple : la forme

1 L’exemple de l’art (ars) sera maintes fois repris dans ce traité : voir infra, ch. 2, p.146, l. 11s ; ch. 3, p. 157. l. 1s ; ch. 6, p. 170, l. 19s ; p. 178, l. 2s ; ch. 8, p. 195, l. 3s. En prenant ici cet exemple si cher à ARISTOTE (voir Physique II, 3), ALBERT LE GRAND tient à comparer les quatre causes aristotéliciennes, notamment la cause formelle et la cause matérielle, au flux afin de les distinguer : « fluer n’est pas la même chose que causer ». En outre, l’exemple de l’art sert également à expliquer le passage de la puissance à l’acte comme l’avait déjà fait ARISTOTE en Métaphysique, Θ, 7, 1049a 5-1049b 1 qu’a commenté MOÏSE MAÏMONIDE : « Car tout ce qui passe de la puissance à l’acte a nécessairement en dehors de lui quelque chose qui l’y fait passer. […]. En effet, le menuisier ne fait pas le coffre parce qu’il est artisan, mais parce qu’il a dans son esprit la forme du coffre ; et c’est la forme du coffre, dans l’esprit du menuisier, qui a fait passer à l’acte et survenir au bois la

de l’art, a le même rapport, qu’elle soit dans l’esprit [de l’artisan], lequel est son véhicule, que lorsqu’elle flue dans ses mains et dans ses outils et lorsqu’elle est traitée dans son œuvre même comme dans son origine. Or, si quelque chose transforme la matière, dans laquelle influe la forme qui s’y écoule, ceci n’est rien de l’essence du principe dont elle découle. Mais les 5

qualités de l’actif et du passif sont quelque chose d’autre que la cause instrumentale changeant le sujet. Ainsi, la hache et les instruments tranchants sont des artifices ajoutés corporellement à cause de la matière et non à cause de la forme de l’art qui déflue ou encore à cause de l’art qui est le principe de ce flux. C’est pourquoi, puisque la cause n’avance rien si ce 10

n’est ce qui est existant dans un sujet quelconque ; et que le flux ne dit rien de son rapport, excepté l’avancement de la forme à partir de son principe simple formel même. Il est bien évident que fluer n’est pas la même chose que causer2.

De plus [fluer] n’est pas la même chose que principier. Si, en effet, 15

une puissance advenait dans le principe, tout principe serait alors un quelque chose de la chose dont il est le principe. Et cela, son nom lui-même

forme objective du coffre » (Cf. Le Guide des égarés, trad. S. MUNK, préface CL. BIRMAN, Deuxième partie, § 4, « Les dix paroles », Verdier, Paris, 1979, p. 255).

2 Il s’agit de la première définition du flux par voie de négation qui sera relayée par deux autres négations : non seulement fluer n’est pas « causer », mais fluer n’est ni « principier » (ch. 1, p. 136, l. 15), ni même « constituer élémentalement » (ch. 1, p. 137, l. 9). On peut rapprocher ces trois négations à l’incipit de la Physique d’ARISTOTE : « Puisque connaître en possédant la science résulte, dans toutes les recherches dans lesquelles il y a des principes, des causes ou des éléments, du fait que l’on a un savoir de ces <principes, causes ou éléments> (en effet, nous pensons savoir chaque chose quand nous avons pris connaissance de ses causes premières, ses principes premiers et jusqu’aux éléments), il est évident que pour la science portant sur la nature aussi il faut s’efforcer de déterminer d’abord ce qui concerne les principes » (Cf. Physique, I, 1, 184a 10- 184a 15). Ces trois négations ont donc l’intérêt de montrer non seulement ce que le flux n’est pas, mais aussi que l’étude du flux, dans ce traité, ne se rattache pas à la physique.

l’indique : le principe, en effet, est le premier d’une chose3. Or, le flux est comme la source, dont nous avons parlé : il n’est pas toujours un quelque chose de la chose, parce que la première source n’est aucunement mélangeable et ne peut être la partie d’une chose qu’elle a constituée. Et à cause de cela, la source flue tant dans ce qui lui est immédiat que dans ce 5

qui lui est conjoint par un intermédiaire, se tenant d’une seule et même manière pour toutes choses, bien que toutes choses ne se tiennent pas d’une seule et même manière envers elle-même [scil. la source].

Il est clair que fluer n’est pas constituer à partir d’éléments. Est en effet constitué d’éléments, ce qui est composé à partir des premiers 10

constituants selon la forme. Or, le flux veut être quelque chose de simple qui, dans son être, ne possède rien de ce qui le compose élémentalement.

De cela, il apparaît que le flux est simplement une émanation de forme à partir de la première source, laquelle est source et origine de toutes

3 Albert le Grand semble se référer ici à l’exégèse du mot principium — αρχή formulée par les Pères, notamment ORIGENE, BASILE DE CESAREE, JEROME et le PSEUDO-DENYS L’AREOPAGITE. L’αρχή a le sens à la fois de premier, d’antérieur, de commencement et d’ordonnateur d’une chose et c’est parce qu’il est le premier d’une chose (primum rei) qu’il est quelque chose de cette chose (aliquid rei) (Cf. ARISTOTE, Métaphysique, Θ, 7, 1049a 12-1049b 1). En ce sens, le flux ne peut être un principe dans le sens où il n’est pas « mélangeable », c’est-à-dire qu’il ne peut pas être un aliquid rei, sinon la simplicité du flux viendrait à être corrompue. De cela, il découle que le flux ne peut être non plus un « composant élémental ». Sur l’exégèse du mot αρχή par ARISTOTE voir aussi ARISTOTE,

Métaphysique, ∆, 1, 1012b 33-24. Sur le caractère non-mélangeable et non composé voir

aussi PSEUDO-DENYS, Les noms divins, ch.2, §8, 645c sqq, in Œuvres complètes du

Pseudo-Denys l’Aréopagite, traduction, commentaires et notes par M. DE GANDILLAC, « Bibliothèque de philosophie », Aubier, Paris, 1943, p. 85 : « […] il n’est point d’exacte ressemblance entre les effets et les causes ; si les effets portent en eux quelque empreinte de la cause, celle-ci pourtant reste séparée de ses effets et elle les transcende en raison de sa nature même de principe » et ibid, §11, 649c sqq, pp.88-89 : « […] Celui qui est Principe du divin et Plus que divin n’en demeure pas moins de façon suressentielle Dieu unique, indivisible en tout ce qui reçoit division, unifié en lui-même, incapable de se composer avec la pluralité des êtres ni de se multiplier en eux ».

les formes. C’est pour cela que PLATON a appelé une telle origine

« Donateur de formes »4. Et s’il y avait quelque chose qui jaillissait5 juste après la première origine des formes, ce quelque chose ne se répandrait néanmoins qu’à partir de la puissance de la première source s’écoulant en elle. Ainsi, [ce quelque chose] ne se répandrait ni universellement, ni à 5

partir de ses propres trésors, mais des trésors empruntés à la première source. Il s’ensuit que, bien que la forme soit obtenue par éduction de la matière selon les PERIPATETICIENS6, elle n’est cependant pas dite, selon cette

voie, fluer, mais plutôt causer ou produire. Mais on peut dire qu’elle flue dans la mesure où elle est un acte venant d’un acte, « la maison, de la 10

maison et, la santé, de la santé » comme le dit ARISTOTE dans le livre VII de la Philosophie première7. Ce mode du flux, les PERIPATETICIENS les plus ANCIENS et PREMIERS8 l’appelaient « procession »9, car en lui, c’est en se

4 Ici, A

LBERT LE GRAND attribue la thèse du Dator formarum à PLATON, ailleurs il l’attribue à AVICENNE, notamment en Super Dionysium De divinis nominibus, c. 2, l. 35sqq : « Dicendum, quod de processione rerum a primo est duplex opinio, unius quarum

auctor fuit PLATO, alterius vero ARISTOTELES. PLATO quidem dixit formas omnes esse a datore, et hoc idem dixit AVICENNA, nominans intelligentiam id quod PLATO datorem formarum appellaverat » ; ibid., c. 1, p.15, l. 23sqq : « Dicendum, quod secundum AVICENNAM et ponentes datorem formarum forma uniuscuiusque nihil aliud est quam radius intelligentiae sive causae primae » ; ibid, De causis et processu universitatis a prima causa, éd. Col., t. XVII, 2, l. I, tr. I, c. 1, p. 8, l. 21-23 : « […] universitatis principium dixerunt [scil. Stoicis] esse datorem formarum, qui primum agens est secundum formam et qui de seipso largitur omnes formas ». ALBERT souligne ici l’incompatibilité de la thèse platonicienne du Donateur de formes et de la thèse aristotélicienne de l’éduction des formes.

5 Le verbe fundo, fudi, fusum, ere, regorge de significations. Il signifie à la fois se répandre, s’écouler, émettre, produire en abondance, couler de source, jaillir, faire naître.

6 A

RISTOTE, Métaphysique, Z, 8, 1034a 2-6. 7 Ibid, Z, 7, 1032b 8-12.

8 Infra, ch. 3, p. 150, l. 3.

9 Sur le terme de processio, voir A

LBERT LE GRAND, Super Dionysium De divinis

nominibus, éd. Col., t. XXXVII, 1, p. 70, l. 47sqq, p. 70, l. 66sqq, p. 96, l. 7sqq, p. 96, l.

57sqq ; De intellectu et intelligibili, l. 1, tr. 1, c. 4, éd. BORGNET, t. IX, p. 482b ; De fato, art. 2, éd. Col., t. XVII, 1, p. 69, l. 3-10 ; Metaphysica, l. 1, tr. 1, c. 2, éd. Col., t. XVI, 1, p. 4, l. 12-23.

communiquant elle-même que, la première origine de la forme simple émet la forme qui procède d’elle sans diminution. Comme le rayon procède de la lumière, dans ce sur quoi il tombe, il constitue la lumière, par sa diffusion, sa multiplication, et sa réflexion, semblablement à la source première de la lumière, pour autant que cela soit possible. Ainsi les PHILOSOPHES

5

enseignent-ils que les luminaires des étoiles sont constitués par la lumière du soleil10. C’est pour cela qu’OVIDE dit : « Pourquoi la lumière

empêcherait-elle l’élévation de la lumière ? Même en admettant que mille choses l’en empêchent, elle dépérira dans le néant »11.

Si l’on se demande, pourquoi la première source en vient à émettre 10

ce flux, alors qu’elle ne peut rien faire dans le Premier, il faut dire que c’est la communicabilité même du Premier, puisqu’elle est toujours en acte et surabonde toujours de l’abondance de bontés, qui produit l’émanation. Il n’est rien, en effet, qui soit hors d’elle-même, qui sache faire passer de la puissance à l’acte12 ou faire agir à partir d’un habitus. Si, en effet, le 15

10 A

RISTOTE, De caelo et mundo, II, 8, 290a 15-20,. 11 O

VIDE, Amores, éd. R. MERKEL, Lipsiae 1881, p. 3, v. 93.90 : « Quis vetet adposito

lumen de lumine sumi ? Mille licet sumant, deperit inde nihil ».

12 M

OÏSE MAÏMONIDE, Le Guide des égarés, trad. S. MUNK, préface CL. BIRMAN, Deuxième partie, « Les dix paroles », Verdier, Paris, 1979, p. 238 : « Toutes les fois que quelque chose passe de la puissance à l’acte, ce qui l’y fait passer est autre chose que lui, et nécessairement est en dehors de lui : car, si ce qui fait passer (à l’acte) était en lui, et qu’il n’y eût là aucun empêchement, il ne resterait pas un instant en puissance, mais serait toujours en acte. Que si, cependant, ce qui fait passer une chose (à l’acte) était en elle, mais qu’il y eût existé un empêchement qui eût été enlevé, il n’y a pas de doute que ce qui a fait cesser l’empêchement ne soit ce qui a fait passer cette puissance à l’acte ». ARISTOTE,

Métaphysique, Θ, 7, 1049a 5-12 : « Le passage de la puissance à l’entéléchie dans la

production artistique se définit : la volonté de l’artiste se réalisant sans rencontrer aucun obstacle extérieur et sans rencontrer aussi d’autre part, c’est-à-dire dans l’être qui est guéri, aucun obstacle venant de lui. De même aussi la maison sera en puissance si aucun obstacle dans le patient, c’est-à-dire dans la matière, ne s’oppose à ce qu’il devienne une maison, et, s’il n’y a rien qu’il faille y ajouter, y retrancher ou y changer ; ce sera la maison en puissance. Il en sera de même aussi pour tous les autres êtres qui ont en dehors d’eux-

Premier était en puissance, il serait imparfait et aurait ainsi besoin d’un autre plus noble, qui le conduirait de la puissance à l’acte. Mais s’il était en disposition, il serait comme endormi et lié13, et il faudrait alors qu’un autre ait la solution de son lien. Mais tout cela ne convient guère au Premier.

De là, il est clair que le flux est toujours en devenir, et quelque fois 5

dans le fait d’être. C’est pourquoi si on comprend que la source s’interrompt et cesse d’émettre, on considère que l’être ne retient aucune des formes. De même, il est expressément vu que le soleil caché par une éclipse, estompe toutes choses colorées gracieusement. Parmi tout ce qu’on nomme ou conçoit comme des principes, il y a, notamment, l’intellect agent qui flue, et 10

qui par sa lumière, qui est son essence même, fait émaner ainsi toujours de soi les formes qu’il constitue lorsqu’il agit.

Et si l’on se demande quel est le véhicule du fluant, on ne se demande rien. Car la forme est portée par un véhicule corporel, et dans l’esprit qui la transporte, elle a l’être corporel. Ceci est une émanation de la 15

première source intellectuelle et simple, tant selon l’essence que selon l’être.

mêmes le principe de leur génération ». Sur le passage de la puissance à l’acte voir aussi ARISTOTE, Métaphysique, Θ, 5, 1047b 31-1048a 24

13 Allusion à A

RISTOTE, Ethique à Nicomaque, I, 1098b 33- 1099a 3 : « Mais une différence qui n’est peut-être pas négligeable sépare nos conceptions du bien suprême : faut-il le placer dans une possession ou dans un comportement, dans un état ou dans un acte ? L’état, en effet, peut finalement ne rien donner de bon quand il existe, par exemple, chez le dormeur – ou même, d’une certaine façon, chez la personne éveillée si elle est incapable d’activité, car, pour être heureux, il lui faudrait nécessairement agir et agir avec succès » et à Métaphysique, Λ, 9, 1074b 15-20 : « La nature de l’Intelligence divine soulève quelques problèmes. L’Intelligence semble bien être la plus divine des choses qui apparaissent comme divines. Mais, pour présenter ce caractère, quel doit être son mode d’existence ? Il y a là quelques difficultés. —Ou bien elle ne pense rien : mais que devient alors sa dignité ? Elle est comme celui qui dort. —Ou bien elle pense, mais si sa pensée dépend d’un autre principe (car alors son essence n’est plus l’acte de la pensée, mais une simple puissance), elle n’est pas la substance suprême, car sa dignité consiste dans le penser ».

C’est pourquoi le véhicule n’a que sa communicabilité même. Le Premier, en effet, dont nous avons parlé, pénètre tout à cause de sa grande simplicité ; et rien n’est, à qui il manquerait l’existant partout et toujours. Par conséquent, en raison de la similitude de l’esprit du véhiculant dans les corps, qui véhicule les formes en ce en quoi elles procèdent, comme le dit 5

HERMES TRISMEGISTE dans le De la nature des dieux, puisque, comme tout

est plein de Dieu, ainsi soutient-il, tout est plein de l’esprit14, parce qu’il transporte les formes et les puissances des dieux à tous. À cause de cette communicabilité, PLATON a pensé les formes existantes dans la lumière du Donateur de formes. Comme les formes de l’intellect agent se tiennent dans 10

la lumière de l’intellect, ainsi sont-elles toujours distinctes. Ce qu’elles ne peuvent faire quand elles se reposent dans la matière du fait qu’alors, par l’être qu’elles ont dans la matière, leur communicabilité est interrompue. C’est en ce sens qu’on dit que le Premier Principe s’écoule sans interruption

14 Voire Asclepius in H

ERMES TRISMEGISTE, Corpus Hermeticum, t. II, Traités XIII-

XVIII, Asclepius, texte établi par A. D. NOCK, traduction de A.-J. FESTUGIERE, éd. « Les Belles Lettres », Paris, 1946, c. 6, p. 303, l. 5 : « spiritus, quo plena sunt omnia, permixtus

cunctis cuncta vivificat […] », « le souffle, qui remplit l’univers, se répand dans tous les

êtres animés et leur donne la vie […] ». Sur le titre De la nature des dieux (De natura

deorum) qu’Albert attribue ici au Trismégiste, mais ailleurs à Aristote, voir ALBERT LE

GRAND, De natura et origine animae, tr. 2, c. 14, éd. Col., t. XII, p. 41, l. 42 : Propter quod

Aristoteles in libro De natura deorum dicit […] ; De anima, l. 1, tr. 2, c. 6, éd. Col, t. VII,

p. 32, l. 31-33 : Sed de his nos diputabimus in scientia de natura deorum, quae

philosophiae primae pars quaedam est et ab Aristotele edita ; Summa theologiae, I, tr. 18,

q. 70, m. 1, éd. BORGNET, t. XXXI, p. 727a : Adhuc, Trismegistus in libro De natura

deorum dicit, quod « Deus deorum princeps in omni re est ». Le De natura deorum serait

un écrit métaphysique pseudo-aristotélicien ; il faut dire que le passage d’Aristote en son

De caelo et mundo 279 a 30 est mystérieux : « Et, par exemple, dans les travaux de

philosophie destinés au grand public portant sur les êtres divins, on déclare souvent, en s’appuyant sur des raisonnements, que tout être divin, étant premier et au-dessus des autres, est nécessairement immuable », (Cf. ARISTOTE, Traité du ciel, I, 9, 279 a 30, trad. C. DALIMIER et P. PELLERIN, GF Flammarion, Paris, 2004, p. 149), aussi Albert n’hésite-t-il pas à marquer son étonnement par rapport à ce passage : Iam autem diximus in libro De

natura deorum, quem vocamus philosophiam extraneam (Cf. ALBERT LE GRAND, De caelo

et que l’intellect agent, de manière universelle, émet des intelligences sans discontinuer.

C

HAPITRE

2

Q

U

EST

-

CE QU

INFLUER

?

Influer, c’est émettre un flux vers la puissance réceptrice. Cela arrive de quatre manières.

Premièrement, en raison de la forme fluante que le flux détient dans 5

le Premier Principe. Tout comme le Premier Principe et l’intellect universellement agent, [la forme fluante] influe dans l’intelligence : qu’elle influe en vue d’une constitution de l’intelligence que le Premier Principe constitue par le flux de sa lumière, ou qu’elle flue sur l’intelligence en vue d’une plus grande illumination de l’intelligence déjà constituée.

10

Quant à la deuxième manière, elle échoit d’après l’ombre de la lumière fluante, en ce que celle-ci est éloignée de la limpidité de la première source. Puisque [la lumière] flue en vue de la constitution de l’âme, et parce que [l’âme] est dépendante du corps, il est nécessaire que [la lumière] éprouve une ombration15par rapport à sa première limpidité et pureté.

15

15 A

LBERT LE GRAND s’inspire ici d’Isaac Israëli dont il reprend l’image du jeu de lumière et d’ombre pour expliquer les différents degrés de la procession et leur dépendance. La procession comme influx, apparaît ici comme une véritable théorie hiérarchique de la l’illumination par degrés successifs. L’influx ne concerne pas seulement le Premier Principe, mais aussi le réceptacle et son contenu ; la théorie de l’illumination concernant l’intelligence se doublera ainsi d’une théorie de l’ombration concernant la matière. Cf.