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PROCESSU UNIVERSITATIS A PRIMA CAUSA

QUARTUS , LIBER I)

B. Le De Hebdomadibus de Boèce

1. L’émanation des Intelligences

La création, chez Avicenne, est pensée en termes d’effusion ou d’émanation (fayd en arabe, fluxus en latin)63. C’est dans le Livre IX de la

63 Sur les lexiques arabo-latin et latino-arabe d’Avicenne, voir Avicenna Latinus. – Liber

de philosophia prima sive scientia divina I-X, lexiques par S. VAN RIET, Peeters, Louvain – Brill, Leiden, 1983, notamment pour fluxus (inbicāth, fayadā, ifāda), fluens (fā’id), esse

fluens (fāda), fluit (munbacith, fā’id, mustafid), fluere (inbacatha, sarā, sanaha, fāda, fayd, fayadān), p.225. Maïmonide utilise aussi le terme fayd traduisible par fluxus lorsqu’il traite

de l’épanchement divin, voir MAÏMONIDE, Le Guide des égarés, trad. S. MUNK, préface CL. BIRMAN, Deuxième partie, § 12, « Les dix paroles », Verdier, Paris, 1979, p. 274-276 : « Il est donc clair que l’action que les corps (élémentaires), en vertu de leurs formes (particulières), exercent les uns sur les autres a pour résultat de disposer les (différentes) matières à recevoir l’action de ce qui est incorporel, c’est-à-dire les actions qui sont les formes. Or, comme les impressions de l’intelligence séparée sont manifestes et évidentes dans ce monde, -je veux parler de toutes ces nouveautés (de la nature) qui ne naissent pas du seul mélange en lui-même, —on reconnaîtra nécessairement que cet efficient n’agit pas par contact, ni à une distance déterminée, puisqu’il est incorporel. Cette action de l’intelligence séparée est toujours désigne par le mot « épanchement » (féidh), par comparaison avec la source d’eau qui s’épanche de tous côtés et qui n’a pas de côtés déterminés, ni d’où elle proflue, ni par où elle se répand ailleurs, mais qui jaillit de partout et qui arrose continuellement tous les côtés (à l’entour), ce qui est près et ce qui est loin. Car il en est de même de cette intelligence : aucune force ne lui arrive d’un certain côté ni d’une certaine distance, et sa force n’arrive pas non plus dans un temps plutôt que dans un autre temps ; au contraire, son action est perpétuelle, et toues les fois qu’une chose a été disposée, elle reçoit cette action toujours existante qu’on a désignée par le mot « épanchement ». De même encore, comme on a démontré l’incorporalité du Créateur et établi que l’univers est son œuvre et qu’il en est, lui, la cause efficiente, —ainsi que nous l’avons exposé et que nous l’exposerons encore, —on a dit que le monde vient de l’épanchement de Dieu et que Dieu a épanché sur lui tout ce qui y survient. De même encore on a dit que Dieu a épanché sa science sur les prophètes. Tout cela signifie que ces actions sont l’œuvre d’un être incorporel ; et c’est l’action d’un tel être qu’on appelle « épanchement ». La langue hébraïque aussi a employé ce mot, je veux dire (le mot) « épanchement », en parlant de Dieu par comparaison avec la source d’eau qui s’épanche, ainsi que nous l’avons dit. En effet, on n’aurait pu trouver d’expression meilleure que celle-là, je veux dire féidh (épanchement), pour désigner par comparaison l’action de l’être séparé ; car nous ne saurions trouver un mot réellement correspondant à la véritable idée, la conception de l’action de l’être séparé étant chose très difficile, aussi difficile que la conception de l’existence même de l’être séparé. De même que

Métaphysique du Shifâ’, c’est-à-dire dans le Tractatus IX du Liber de philosophia prima sive scientia divina de l’Avicenna Latinus, qu’est

exposée la cosmologie d’Avicenne, en tant qu’émanation d’Intelligences : la notion de flux y occupe une place prépondérante. L’émanation n’est pas autre chose que la pensée divine, en acte, se pensant elle-même, produisant par cette auto-réflexion une hypostase distincte. C’est là un topos commun de l’aristotélisme : le Premier moteur, ou l’être divin, est un acte pur64. La cosmologie d’Avicenne reste, néanmoins, tout autant teintée d’aristotélisme

l’imagination ne saurait concevoir un être que comme corps ou comme force dans un corps, de même elle ne ne saurait concevoir qu’une action puisse s’exercer autrement que par le contact d’un agent, ou du moins à une certaine distance (limitée) et d’un côté déterminé. Or, comme pour certains hommes, même du vulgaire, c’est une chose établie que Dieu est incorporel, ou même qu’il n’approche pas de la chose qu’il fait, ils se sont imaginé qu’il donne ses ordres aux anges et que ceux-ci exécutent les actions par contact et par un approche corporel, comme nous agissons nous-mêmes sur ce que nous faisons ; ils se sont donc imaginé que les anges aussi sont des corps. Il y en a qui croient que Dieu ordonne la chose en parlant comme nous parlons, je veux dire par les lettres et des sons, et qu’alors la chose se fait. Tout cela, c’est suivre l’imagination, qui est aussi, en réalité, le yetcer har-ra’ (la fantaisie mauvaise) ; car tout vice rationnel ou moral es l’œuvre de l’imagination ou la conséquence de son action. Mais ce n’est pas là le but de ce chapitre. Nous avons plutôt l’intention de faire comprendre ce qu’on entend par l’épanchement, en parlant soit de Dieu, soit des Intelligences ou des anges, qui sont incorporels. On dit aussi des forces des sphères célestes qu’elles s’épanchent sur le (bas) monde, et on dit : « l’épanchement de la sphère céleste », quoique les effets produits par celle-ci viennent d’un corps et qu’à cause de cela les astres agissent à une distance déterminée, je veux dire suivant qu’ils sont prêts ou loin du centre (du monde) et selon leur rapport mutuel. C’est ici le premier point de départ de l’Astrologie.

Quant à ce que nous avons dit que les prophètes aussi on t présenté métaphoriquement l’action de Dieu par l’idée de l’épanchement, c’est par exemple, dans ce passage : « Ils m’ont abandonné, moi source d’eau vive »(Jér. 2 : 13), ce qui signifie « épanchement de la vie « , c’est-à-dire de l’existence, qui, indubitablement, est la vie. De même on a dit : « Car auprès de toi est la source de la vie » (Ps. 36 : 10), ce qui veut dire l’épanchement de l’existence » ; et c’est encore la même idée qui est exprimée à la fin de ce passage par le mots : « dans ta lumière nous voyons la lumière » (ce qui veut dire) que, grâce à l’épanchement de l’intellect (actif) qui est émané de toi, nous pensons, et par là nous sommes dirigés et guidés et nous percevons l’intellect (actif). Il faut te bien pénétrer de cela ».

64 Cf. A

RISTOTE, Métaphysique, Λ, 7, 1072b 14-30, trad. et notes J. TRICOT, Vrin, Paris, 1991, p. 174-175.

que de néoplatonisme : c’est là une originalité à laquelle n’échappera pas à Albert le Grand. Cette procession des Intelligences se définit comme un ordre hiérarchique des réalités au premier rang duquel viennent la perfection et la disponibilité des Intelligences séparées, puis l’imperfection et les limites des êtres sublunaires, enfin l’opacité et l’informité de la matière première. La procession sera alors conçue comme une chute —casus— des entités les plus nobles, les Intelligences séparées, aux entités les moins nobles, c’est-à-dire les plus matérielles. Cette procession sera fondée sur une dialectique entre le nécessaire et le possible qui aura tout son espace: chaque triade (Intelligence, âme céleste, corps céleste) se situera sur l’échelle de l’être en fonction de son partage entre nécessité et possibilité ; plus une triade est proche de la pensée divine —l’Être nécessaire par excellence— plus sa part ontologique sera nécessaire et noble ; plus une triade sera éloignée de la pensée divine, plus sa part de contingence sera prédominante. Autrement dit, au fur et à mesure de l’éloignement de la pensée divine, le nécessaire se trouve être limité par le possible : ce dernier est comme une frontière que le nécessaire ne peut dépasser. La possibilité est conçue comme une ombre ou une ténèbre qui résiste à la lumière de l’Un : plus cette ombre est grande, plus la matière y est dense et épaisse. Le monde terrestre apparaît alors comme l’élément le plus contingent, le plus opaque, le plus matériel qui soit et par conséquent le plus éloigné de l’Un. Le possible est comme une limite que le flux divin nécessaire ne peut franchir.

Dieu, étant absolument simple et nécessaire, ne peut produire une multiplicité65 : l’Un ne peut, selon un adage qui allait devenir célèbre chez

65 Cf. A

VICENNE, in Avicenna Latinus. – Liber de philosophia prima sive scientia divina, éd. crit. Par S. VAN RIET, intro. par G. VERBEKE, Peeters, Louvain — Brill, Leiden, liv. V- X, 1980, tr. IX, c. 4, p. 479, l. 92-94 : ea quae primo sunt ab eo —et haec sunt creata—,

les Latins, que produire l’un, ex uno non fit nisi unum. Dieu ne pourra donc produire qu’une unité. De l’acte de la pensée divine se pensant elle-même procède la Première Intelligence appelée aussi Intellect universel : énergie créatrice de Dieu, elle est le garant du passage de l’Un au Multiple. À partir de cet Intellect universel, procèdera toute une série d’Intelligences. En pensant son principe, à savoir, l’Être nécessaire dont elle provient, la Première Intelligence émane la deuxième Intelligence. Se pensant elle- même, ainsi que le principe nécessaire duquel elle tient sa propre existence, la Première Intelligence émane la première âme céleste. Enfin, en se pensant telle qu’elle est, par soi, c’est-à-dire en pensant sa propre essence — autrement dit en se pensant comme un possible de soi—, la Première Intelligence émane la matière du premier ciel enveloppant laquelle est mue par la première âme céleste66. Cette dialectique de pensée67 (le nécessaire et la possible, la pensée de soi par le nécessaire et la pensée de soi par le

non possunt esse multa nec numero nec divisione in materiam et formam, quoniam id quod sequitur ex eo, est ab eius essentia, non ab alio aliquo.

66 Ibid., p. 483, l. 85-p. 484, l. 1 : Igitur ex prima intelligentia, inquantum intelligit

primum, sequitur esse alterius intelligentiae inferioris ea, et inquantum intelligit seipsam, sequiture ex ea forma caeli ultimi et eius perfectio et heac est anima, et propter naturam essendi possibile quae est ei et quae est retenta inquantum intelligit seipsam, est esse corporeitatis caeli ultimi quae est contenta in totalitate caeli ultimi. Unde ipsa et id quod est commune virtuti sunt sic quod ex ipsa sequitur intelligentia, et ex eo quod est commune virtuti, inquantum appropriatur sibi ipsi secundum modum suum, sequitur sphaera prima cum suis partibus duabus, scilicet materia et forma ; materia autem est mediante forma et consortio eius, sicut possibilitas essendi trahit ad effectum id quod est apud eam, scilicet formam caeli.

67 Ibid., p. 481, l. 56-60 : Tu scis autem quod hic sunt intelligentiae et animae separatae

multae. Unde esse eorum non potest esse acquisitum ab aliquo mediante quod non sit separatum. Item nosti quod, in universitate eorum quae sunt a primo, sunt corpora, et nosti quod omne corpus est possibilie esse quantum in se, et quod necessarium est per aliud a se, et nosti non esse illis viam essendi a primo absque mediante aliquo : sunt igitur ex ipso, sed mediante aliquo, et nosti quod medium non est unitas pura ; nosti etiam quod ex uno, secundum quod est unum, non est nisi unum. […]. Sed necesitas sui esse est secundum quod est intelligentia, et intelligit seipsum et intelligt primum necessario. Unde oportet ut sit in eo multitudo ex hoc quod intelligit se quod est possibile esse quantum in se, et ex hoc quod intelligit necessitatem sui esse a primo quod est intellectum per se.

possible) se reproduit d’Intelligence en Intelligence jusqu’à la dixième et dernière Intelligence appelée également Intellect agent68 (‘aql fa’’âl,

intellectus agens). Cette dernière Intelligence est si éloignée du Premier que

sa vertu émanatrice s’amenuise au point de ne pouvoir émaner une autre Intelligence et, par conséquent une autre triade (Intelligence, âme, et corps célestes). Dès lors, la procession subit une dispersion : le multiple surgit ainsi sans médiation. L’Intellect agent rayonne les formes spécifiques que sont les âmes végétales, animales et humaines. Ces âmes s’emparent de la matière sublunaire disposée à les recevoir69 : ainsi sont engendrées les différentes réalités du monde terrestre. En ce sens, cette dixième Intelligence ou Intellect agent sera aussi désigné comme le « donateur de formes »70 (dator formarum).

La désignation de la dixième et dernière Intelligence comme Intellect agent fait évidemment écho au noûs poietikôn d’Aristote au Livre

III de son De anima. L’Intellect agent fait passer l’intelligence humaine de

la puissance à l’acte, « produisant toutes choses » (noûs poietikôn), là où l’Intellect passif —ou patient— (noûs pathetikôn) est une disposition « recevant toutes choses » :

68 Ibid., p. 483, l. 83-85 : Igitur sub omni intelligentia sunt tria in esse ; unde oportet ut

possibilitas essendi haec tria sit ab illa intelligentia prima in creatione propter trinitatem quae est nominata in ea, et nobile sequitur ex nobiliore multis modis ; p. 484, 97-99 : Similiter est dispositio in intelligentia et intelligentia, et in caelo et caelo, quousque pervenitur ad intelligentiam agentem quae gubernat nostras animas.

69 Ibid. c. 5, p. 489, l. 28 : ab hoc separato fluet forma propria et describetur in illa

materia.

70 Ibid., p.492, l. 91-p. 493, l. 97 : Nam a corporibus caelestibus, scilicet vel a quattuor

corporibus ex illis, vel a numero contento in quattuor collectionibus, ex unoquoque eorum, fluit in hanc materiam quae fit propter communicationem, aptitudo ad formam corporis simplicis ; quae, cum sit apta, recipit illas formas a datore formarum, vel ut hoc totum fluat ab uno corpore, sed sint ibi comparationes quae faciunt debere esse diversitates a causis occultis in eam.

« Et c’est ainsi qu’il y a, d’un côté, l’intelligence caractérisée par le fait qu’elle devient toutes choses, et de l’autre, celle qui se caractérise par le fait qu’elle produit toutes choses, comme une sorte d’état comparable à la lumière. Car, d’une certaine façon, la lumière aussi fait que les couleurs potentielles soit des couleurs effectives. Et cette intelligence est séparée, sans mélange et impassible, puisqu’elle est substantiellement activité. Toujours, en effet, ce qui produit surpasse en dignité ce qui subit et le principe surpasse la matière. […]. Or il est exclu que l’intelligence tantôt opère, tantôt non. Une fois séparée d’ailleurs, elle se réduit à son essence, et il n’y a que cela d’immortel et d’éternel. Nous avons d’autre part, des défauts de mémoire parce que, si cette essence est impassible, l’intelligence propre à subir les impressions est, elle, corruptible et que, sans elle, on ne pense rien »71.

La position d’Aristote est énigmatique : l’Intellect agent s’identifie- t-il au Premier moteur, à la Cause première ? Est-il numériquement un pour tous les hommes ou particulier à chaque homme ? Est-il consubstantiel à l’âme humaine où en est-il séparé ? Autant de questions qui seront autant de chemins de croix pour les exégètes médiévaux du De anima. Pour Avicenne, l’Intellect agent sera une substance séparée. Bien qu’il ne soit pas agent en un sens absolu —Dieu seul agit absolument—, l’Intellect agent agit sur les êtres sublunaires comme étant le principe de toute connaissance et de

71 A

RISTOTE, De l’âme, III,5, 430a 10 sqq, in ARISTOTE, De l’âme, trad. et présentation, R. BODEÜS, Paris, GF Flammarion, pp. 228-231.

toute révélation, c’est-à-dire comme étant le principe de tout prophétisme : en ce sens, l’Intellect agent sera, in fine, identifié à l’ange qui délivre son message de révélation au Prophète72. La cosmologie avicennienne se dévoile alors comme angélologie.

Dix intelligences, neuf âmes célestes et neuf orbes célestes (le premier ciel enveloppant, le ciel des fixes, Saturne, Jupiter, le Soleil, Mars, Vénus, Mercure et la Lune) : tel est l’héritage aristotélicien, teinté de néoplatonisme, d’Avicenne.

L’héritage avicennien en matière de cosmologie est considérable chez Albert le Grand, en particulier dans le De fluxu causatorum a causa

prima et causarum ordine. Est-ce à dire, pour autant, qu’Albert reprendra

intégralement la cosmologie d’Avicenne, dans laquelle est véhiculée la

72 A

VICENNE, ibid., tr. 10, c. 1, p. 522, l.7-p.523, l. 34 : Postquam autem esse coepit a

primo, tunc quidquid consequitur aliud est inferius in ordine suo priore nec cessat descendere per gradus. In hoc autem primus gradus est angelorum spiritalium spoliatorum qui vocantur intelligentiae. Post haec est ordo angelorum spiritalium qui vocantur animae, et hi sunt angeli administratores. Postea est ordo corporum caelestium, ex quibus aliud est nobilius alio sic usque quo perveniatur ad ultimum eorum.

Post hoc autem incipit esse materiae recipientis formas generatas corruptibiles, quae primo investitur formis elementorum, et deinde gradatim informatur formis aliorum. Primum igitur esse quod est inter illa est id quod vilius et inferius est eo quod sequitur ; quod autem est vilius inter ea est materia, postea elementa, deinde composita congelata, postea vegetabilia, deinde animalia bruta, postea homo. Ex his autem nobilius est homo, et postea animalia, deine vegetabilia. Sed ex hominibus ille est nobilior cuius anima fit intelligentia in effectu et acquirit mores qui sunt honestates praticae ; ex his autem ille excellentior est qui est aptus ad ordinem prophetiae, et hic est ille in cuius viribus animalibus sunt hae tres proprietates, scilicet ut audiat verbum Dei, et videat angelos transfiguratos coram se in forma qua possint videri ; iam autem ostendimus qualiter fiat hoc, et ostendimus quod, ante eum cui fit haec revelatio, transformantur angeli ; et fit in eius auribus vox quam ipse audit, quae est ex parte Dei et angelorum, et audit eam quamvis non sit verbum hominum nec animalis terreni, et hic est cui datur spiritus prophetiae. Et sicut id quod primum fit a principio usque ad gradum materiae fuit intelligentia, deinde anima, postea corpus caeleste, sic hic esse incepit esse a corporibus, postea ad animas, deinde ad intelligentias. Illa autem forma non fluit omnino nisi ab illis principiis.

notion de flux, sans la critiquer ? Non. S’il fera siennes, en effet certaines thématiques avicenniennes qui sont au cœur de la thématique du flux, telles que la distance des réalités par rapport au Premier73, la chute de la lumière intelligible du Premier dans les réalités74, la simplicité du flux de l’Intellect agent75, ou encore un système analogue d’émanation des Intelligences76. Mais Albert critiquera également Avicenne. Il convient de signaler au moins trois de ces critiques qui seront d’une importance cruciale pour l’élaboration proprement albertinienne du fluxus.

Au premier rang de ces critiques vient la position qu’Avienne adopte au sujet de la volonté du Premier. En réalité le Premier, selon Avicenne, ne peut être volontaire dans la mesure où la volonté est un appétit signifiant une déficience ontologique d’un être : en voulant quelque chose, l’être manifeste son insuffisance. Or, il est de la définition même du Premier que de n’avoir précisément aucune déficience ontologique et, a fortiori, aucun appétit : le Premier n’a, en effet, besoin de rien ; il est un acte pur ontologiquement auto-suffisant. Donc, la volonté est incompatible avec le Premier. Ce serait, en définitive, un anthropomorphisme que de vouloir appliquer la volonté, appartenant aux êtres divers et imparfaits, au Premier, Un et parfait. Face à de tels arguments, Albert objecte77 que les choses qui ne sont pas volontaires ne sont pas louables (illaudabiles). Si donc le Premier n’agit pas par volonté, alors toutes ses actions ne seront pas louables : que le Premier ne soit pas louable à travers ses actions, voilà une profonde inconvenance (quod penitus inconveniens est). Aussi, lorsqu’on dit

73 A

LBERTLE GRAND, De causis et processu universitatis a prima causa, l. 1, tr. 4, c. 5, éd. Col., t. XVII, 2, p. 48-49.

74 Ibid., c. 2, p. 44-45 ; c. 6, p. 49-52. 75 Ibid., c. 1, p. 42-44.

76 Ibid., c. 8, p. 55-58.

que le Premier est volontaire, ou encore connaissant et libre, cela ne désigne ni un mode de diversité ontico-ontologique (ce qui ruinerait l’unicité du