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En 1995, Gilles Emery publiait une étude comparative concernant la théologie trinitaire d’Albert le Grand, de Bonaventure et de Thomas d’Aquin : La Trinité créatrice, Trinité et création dans les Commentaires

aux Sentences de Thomas d’Aquin et de ses précurseurs Albert le Grand et

52 D

RIEDODE TURNHOUT, De captivitate et redemptione generis humani, pars III, tract. II, cap. 2, art 5, Louvain, 1572, p. 50. Texte repris par B. DE MEDINA, In IIIam Partem, qu. XIX, art. 4, controv. II, l’action du Christ sur nous est connaturalis (it., NACLANTUS, In

Eph., IV), et cela en vertu d’un amour naturel pour ses membres, selon la formule

d’ALEXANDRE DE HALES : « Troisièmement, le Christ influe en nous à la manière d’une tête ; car il y a un certain amour et appétit naturel de la tête pour les membres ; la tête, en effet, par un certain amour naturel, aime les membres, ce qui fait que les esprits animaux qui sont dans la tête, à cause de cet amour, s’écoulent de la tête dans les membres… De cette façon , il faut dire que l’Esprit incréé, par lequel nous est donnée la communion avec toute la Trinité et qui est l’Esprit Saint, se trouve en abondance dans notre chef qui est le Christ. Or, il y a, dans le Christ et dans son âme bienheureuse, le désir que nous participions à son Esprit. L’Esprit remplit ce désir que le Christ a envers nous, à cause de l’amour qu’il a pour nous. » Univ. theol. Summa, IIIa pars, qu. XII, membrum 2, § 3, Cologne, 1622, p. 72.

53 Cf. É. M

ERSCH, Le corps mystique du Christ. Études de théologie historique, t. II, Museum Lessianum, Section théologique n° 29, Edition universelle, Bruxelles, Desclée de Brouwer, Paris, 1951, p. 183-185. Les notes de bas de page du texte sont de l’auteur.

Bonaventure. Gilles Emery voit en la théorie albertinienne du flux, non

seulement une théorie métaphysique, mais aussi un concept clé qui permettra à Albert le Grand de mieux approcher les notions de procession et de création : la création du monde résulte de la procession des personnes au sein de la Trinité.

« La procession (ou le flux) de la créature permet au théologien de préciser les concepts engagés par l’existence d’un flux en Dieu, enseigné par l’Ecriture, par lequel le Fils et l’Esprit découlent du Père. Cette doctrine repose sur une métaphysique de la participation et sur la théorie générale des noms divins (Trinité comme cause). Sur cette base, le flux trinitaire sera étudié selon des divers éléments qui sont exigés par la nature divine et par la distinction des personnes.

Il faut souligner à cet égard l’intérêt de la notion de

fluxus, qui joue ici un rôle central. Ce concept

s’applique d’une part à la Trinité (« flux » des personnes), et d’autre part à la création (« flux » des créatures) : le Fils et le Saint-Esprit « fluent » du Père, et les créatures « fluent » des personnes. Albert l’explique longuement en divisant cette première section en trois sous-parties qui développent ce qui est requis pour la distinction des personnes, à savoir : 1) le flux trinitaire, c’est-à-dire « le mode et l’acte par lequel une personne découle d’une autre, du fait qu’il y a une personne de qui provient ce flux, et une personne qui en découle, et de plus le Fils découle du Père selon une raison de flux

distincte de celle selon laquelle le Saint-Esprit découle de l’un et de l’autre : ces modes du flux d’une personne à partir d’une autre sont déterminés dans la première partie » (dist. 4-18) ; 2) l’égalité des personnes et la « communicabilité » dans la nature (dist. 19-25) ; 3) les propriétés qui distinguent les personnes, et dont l’étude englobera également ce qui est approprié aux personnes, tant ab aeterno que ex tempore, ainsi que les notions (dist. 26-34). Ce concept de flux, avec la famille de mots qui s’y rapportent (fluens, effluens, etc.), constitue l’un des traits caractéristiques de la métaphysique d’Albert et de sa conception de la causalité et de la procession, marquée par la tradition dionysienne aussi bien que par le néoplatonisme juif et arabe. Le thème s’inscrit également dans l’héritage de Boèce et de sa conception du flux du bien. Guillaume d’Auvergne, en particulier, lui accorde une place tout à fait remarquable dans son De Trinitate54 : Dieu est la source première de laquelle toutes choses découlent par un flux universel ; les processions des personnes sont comprises dans la même perspective en termes d’émanation ou de flux à partir de la source, manifestant la perfection et la plénitude fontale du Père de qui tout découle. Le thème est également bien en place chez Guillaume d’Auxerre : le Père, étant la source (fons), est celui à qui il revient très

54 Cf. G

UILLAUME D’AUVERGNE, De Trinitate, c. 5-7 ;9 ; 11 ; 14, éd. B. SWITALSKI, « Studies et texts », 34, Toronto, 1976.

proprement d’être source du flux (unde ipse fluxit

propriissime)55 ; de la même manière le créateur est considéré comme la source de l’être (fons essendi) de qui tout découle (a quo fluunt omnia)56. L’usage de la notion de flux se trouve également, dans ce contexte, chez Alexandre de Halès57 : flux des personnes divines et flux des créatures »58.

Confronté aux Sentences, Albert le Grand va trouver en sa théorie du flux l’expression juste de la procession et de la création, la première étant la cause de la seconde. Mais ce n’est pas là le seul intérêt pour Albert le Grand. Le flux permettra également de soutenir simultanément la distinction des personnes, l’égalité des personnes et l’unité de substance de la Trinité.

V.

O

BJET ET METHODE DE LA RECHERCHE