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2. PROBLEMATISATION DE MON QUESTIONNEMENT

2.1 L’émergence d’un questionnement

Afin de favoriser leur insertion professionnelle, les personnes inscrites au chômage ou à l’HG peuvent se voir proposer une formation, ou plus précisément, une mesure du marché du travail (MMT), dont le dispositif EVE fait partie.

Lors de mon stage, mes observations ont amené à différents constats : d’une part, les candidats qui intègraient la mesure n’avaient que peu d’informations sur cette dernière.

Pour cette raison, ils s’en faisaient une représentation qui ne correspondait pas toujours à la réalité, à l’origine de malentendus susceptibles d’impacter sur l’engagement en formation.

D’autre part, les modalités pédagogiques confrontaient, dès le premier jour, le candidat au terrain. Le dispositif EVE vise à la familiarisation et la mise en pratique d’une méthode de recherche d’emploi (ici de stage) dénommée « P.I.E. » pour « Prise d’Informations en Entreprise »9. Elle comporte trois phases : Plaisir, Informations et Embauche, qui visent toutes au développement du réseau professionnel. Lors de la première phase « Plaisir », le candidat se familiarise à la méthode en interpellant des inconnus afin de leur poser des questions relatives à leur activité professionnelle. Lors de la seconde phase « Informations », il se rend dans les entreprises de son choix afin de s’entretenir avec des salariés qui exercent le métier qui l’intéresse. L’idée étant de recueillir le maximum d’informations concernant la profession et d’identifier si son profil actuel est (toujours) en adéquation avec les exigences du marché. En créant le lien avec son interlocuteur, ce dernier devrait dans l’idéal lui fournir le nom d’autres personnes exerçant le même métier, que le candidat pourra également rencontrer. Enfin, lors de la dernière étape « Embauche», il se rend à nouveau dans les entreprises de son choix (notamment celles visitées lors de la phase « Informations ») avec, cette fois, son CV et une attestation de la Fondation IPT10, qu’il tentera de remettre à ses interlocuteurs, dans l’optique d’obtenir un entretien en vue d’effectuer un stage.

9 Les informations concernant la « P.I.E » proviennent de la documentation interne à la Fondation IPT.

10 A noter que l’attestation fournie par la Fondation IPT fait en quelque sorte office de lettre de motivation.

12 Le candidat était ainsi immédiatement confronté au terrain et chaque jour, les exigences à son égard augmentaient, ce qui pouvait être destabilisant. Cette méthode de recherche d’un stage/emploi m’était inconnue jusqu’alors et m’a immédiatement interpelée. Par cette approche physique, le candidat sortait probablement du lot par rapport aux autres postulants. Les bénéfices sur le court ou le long terme ne pouvaient être que positifs. Ces premiers constats ont tout d’abord orienté mon intérêt sur la problématique suivante : la perception du dispositif EVE par les candidats, quelques mois après son achèvement et son impact éventuel sur la suite de leur trajectoire.

En outre, les sessions de formation observées lors de mon stage et les entretiens exploratoires (cf. 6.1.1) menés auprès de deux candidats ayant intégré l’une ou l’autre de ces sessions, m’ont permis de mettre en évidence quatre profils contrastés : les « adhérents », les « non adhérents », les « passifs » et les « faux-adhérents».

Dans le premier groupe, les candidats percevaient rapidement les bénéfices à leur participation par rapport à leurs buts personnels actuels et futurs. Ils s’investissaient dès le départ et de manière constante. Ceci fut le cas de l’une des candidates interviewées, dans le cadre des entretiens exploratoires. La formation et le stage décroché ont répondu à des attentes personnelles : la socialisation, la pratique de la langue française qui a renforcé la confiance en soi et, en raison de problèmes de santé, la validation d’une nouvelle cible professionnelle par le biais du stage. Lors du stage, ses compétences professionnelles ont été soulignées et appréciées, ceci a influé positivement sur la confiance en ses aptitudes à exercer le métier visé et a renforcé son appréciation de la mesure EVE. Ce groupe comptait également les candidats qui s’appropriaient le module en l’adaptant en fonction de leurs besoins. Ils profitaient de la formation pour se renseigner sur d’autres métiers éloignés de leur cible professionnelle ou encore pour chercher un travail plutôt qu’un stage, en bénéficiant des méthodes enseignées. En revanche, les participants qui n’adhéraient pas à l’entrée avaient le sentiment que la mesure EVE n’était pas susceptible de répondre à leurs attentes. Ils manifestaient leur mécontentement de différentes manières : revendications et plaintes, scepticisme, réticence, voire un refus de s’engager dans certaines tâches. Puis, au cours du mois, certains adoptaient une posture d’ouverture alors que d’autres conservaient le même ressenti de son inutilité. D’autres encore faisaient preuve d’une grande discrétion en cours de formation ; il était dès lors difficile de recueillir leur ressenti. Leur attitude était une certaine passivité avec, pour certains, un recours fréquent aux stratégies d’évitement afin de repousser la mise en action.

13 Enfin, les propos de l’un des interviewé (en phase exploratoire) ont permis de mettre en évidence un autre cas de figure, les « faux-adhérent ». Celui-ci, malgré le sentiment que la mesure ne répondait pas du tout à ses attentes, s’y est investi jusqu’à son terme. Ainsi il s’impliquait mais à contrecoeur. Un tel comportement peut s’expliquer par l’intériorisation par le candidat du « devoir » ou « la présence par devoir ». Il a notamment mentionné ceci pour justifier son implication malgré le contexte : « Quand le chômage vous envoie quelque part, il faut pas arrêter parce qu’on peut être pénalisé ! » Ou a énoncé d’autres arguments : le désir de respecter un engagement pris, le besoin de finir ce qu’il commence, en référence à un trait de personnalité. «Je suis un homme, comment dire, j’ai un caractère, quand je m’engage à faire quelque chose il faut que je finisse |…|»…

On peut donc supposer que certains candidats s’investissent tout au long de la formation EVE, non pas parce qu’ils y trouvent un intérêt personnel mais par contrainte, afin d’obéir aux directives et éviter des sanctions. Ces données ont orienté notre première hypothèse (cf.

3.2.1, p.20).

Dès lors, mes observations durant mon stage, les nombreuses interactions avec les acteurs sur place, les entretiens exploratoires et la recherche bibliographique effectuée en parallèle, m’ont aiguillée sur une autre problématique : la motivation des participants à s’engager tout au long de la formation dans un tel contexte. Ceci a donné lieu au questionnement de départ suivant : Comment des personnes qui intègrent le dispositif EVE, qui selon leurs dires ne correspond pas à leurs attentes, évoluent au cours de la formation ? Si évolution il y a eu (d’un fort scepticisme à une adhésion), quels sont, selon elles, les facteurs qui expliquent cela et de quelle manière ?

2.2 Thématique du mémoire

Ce questionnement a trait à la thématique de la dynamique motivationnelle du participant qui sous-tend son engagement en formation contrainte et/ou qui ne répond a priori pas à ses attentes.

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2.3 Approche théorique retenue et justification de ce choix

Nous avons fait le choix d’aborder cette thématique selon l’approche sociocognitive, car la motivation y est vue comme une dimension changeante et contextuelle. Raison pour laquelle, en psychologie de l’éducation où ce paradigme domine, l’on parle de dynamique motivationnelle (Bourgeois, 2006, cité par Cuche, 2013), en mettant l’accent sur une notion évolutive. Ensuite, selon les tenants de cette approche, la motivation d’un individu est liée à différentes perceptions préalables à l’accomplissement de l’activité : de sa valeur, de ses compétences et de la contrôlabilité qu’il en a, mais aussi de la façon dont il va expliquer ses succès ou échecs. Ces représentations émergent de l’interaction entre des facteurs internes, propres à l’individu, et des facteurs externes, propres à la situation. Elles sont situées, c’est-à-dire relatives au contexte et ne constituent guère des traits de la personnalité. Celles-ci sont donc ni stables ni figées mais se construisent dans le temps, et sont susceptibles d’évoluer de manière positive ou négative.

Enfin, alors que jusque dans les années soixante, une vision dualiste prédominait en psychologie : la motivation de l’individu était soit liée à des facteurs internes (tel qu’un trait de personnalité « Je suis motivé ou pas »), soit à des facteurs externes (l’environnement sur lequel il suffirait d’agir), cet axe de recherche considère non plus l’individu comme un être passif, dirigé par des forces externes ou internes, mais comme étant « simultanément agent et objet par la réflexion et l’influence qu’il peut opérer sur lui-même » (Bandura, 2007, cité par Cuche, 2013, p. 52).

Ainsi, de par son regard multidimensionnel, l’approche sociocognitive est un cadre d’analyse pertinent pour notre mémoire, prenant en compte la diversité des déterminants de la motivation (intrinsèques, extrinsèques et environnementaux) (Ménard & Semblat, 2006).

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