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Perception d’autonomie, sens donné à l’action et motifs d’engagement à l’entrée

7. ANALYSE DES DONNEES ET DISCUSSION

7.3 Perception d’autonomie, sens donné à l’action et motifs d’engagement à l’entrée

Les informations recueillies concernant les impressions de départ des candidats, leur perception vis-à-vis de l’objectif EVE et de la méthode P.I.E., nous permettent de revenir sur différents concepts inter-reliés : le sentiment d’autodétermination ou perception d’autonomie, le sens donné à l’action et les motifs d’engagement à l’entrée en formation qui font respectivement références aux points : 3.2.2.2 ; 3.2.1 et 3.2.3 de notre cadre théorique.

Les tableaux ci-dessous rendent compte de ces concepts à l’entrée et en cours de formation et facilitent les comparaisons entre les candidats.

A : apprentissage P : participation

Motifs d’engagement en début de formation Motifs d’engagement en cours de formation

Extrinsèque Intrinsèque Extrinsèque Intrinsèque

A P A P A P A P

Joe Economique Prescrit Vocationnel Economique

Ana Gaelle Vocationnel Dérivatif Epistémique

Socio-affectif Vocationnel Dérivatif Epistémique Socio-affectif Entrée en formation En cours de formation Entrée en formation En cours de formation

Sentiment

d’autodétermination Sentiment

d’autodétermination Sens de l’action Sens de l’action Joe Motivation extrinsèque

62 N’ayant aucune marge de manœuvre sur les évènements, Joe est amotivé à son entrée.

En l’obligeant à suivre une formation qui ne lui convient a priori pas, on lui ôte en quelque sorte tout pouvoir de décision sur ses actions. Comme l’explicitent Deci et Ryan (1985), il a « le sentiment d’être soumis à des facteurs hors de tout contrôle ». Ce n’est donc pas un hasard si, à ce stade, le sens qu’il donne à son action a une fonction de légitimation, où le motif situationnel est invoqué, au sens de Boutinet (1998). Si ce dernier participe au module EVE et qu’il se plie aux exigences, c’est parce qu’on ne lui en laisse pas le choix. De ce fait, comme le suggère l’auteur (ibid.), les propos : «|…| « Je vais faire tout ce dont vous avez besoin, j’ai l’obligation, mais je voulais quand même que tout le monde note mon objection !» |…|» (p. 49, lignes 18-20), indiquent qu’il préserve ses préférences personnelles initiales, en faisant l’impasse sur sa liberté de sujet. En toute logique, les motifs d’engagement de Carré (1999) sont de l’ordre du prescrit, l’HG lui impose la formation EVE et également économique, en vue de percevoir les prestations d’aide financière. Il considère l’HG comme son employeur à qui il doit rendre des comptes.

Ana est contrainte de suivre une formation qu’elle n’aurait pas choisie de son plein gré. Ainsi bien qu’elle souhaite garder un pouvoir d’action sur la situation, son degré d’autodétermination est relativement faible avec une motivation extrinsèque introjectée.

Elle s’engage de son propre chef tout en ayant intériorisé l’injonction externe.

Autrement dit, sans qu’elle se sente totalement libre vis-à-vis de ce choix. Nous en déduisons que le sens donné à son engagement en formation à deux fonctions :

 d’intelligibilité car, comme le souligne Bourgeois (2000), dans son cas, l’acte de se former ne porte pas en soi sa rationalité. Il y a peu de chance, en étant préalablement informé du contenu de formation, qu’elle l’aurait entamée volontairement. Néanmoins, dès le commencement de l’entretien, elle déclare ne pas y être opposée. Elle est consciente de devoir rendre des comptes à l’HG où elle vient de s’inscrire. Se situer dans ce contexte, saisir le fonctionnement de ce système de droits et de devoirs en étant assistée, lui permet de relativiser les contraintes. «|…| Donc pendant environ sept mois, je n’avais plus aucune rentrée d’argent, donc je me suis inscrite à l’Hospice. A l’Hospice ils m’ont dit : « Il faut aller suivre ce cours… » Euh je peux rien dire, je me fais assister, donc j’ai dit : bon ok, j’y vais. » (p. 18, lignes 52-54) Ou encore : « Mais j’allais le faire parce que c’était une condition et que voilà…» (p. 18, lignes 71) En s’accommodant de la situation, elle en garde une maîtrise et conserve la bonne entente avec l’HG. Elle ressent cependant le besoin de se

63 construire un espace de liberté en produisant du sens sur ce qui lui arrive,

« dans une situation où sa liberté d’acteur est objectivement menacée » (Bourgeois, 2000). « Bon ben j’ai commencé le programme EVE parce qu’en fait j’y ai été en quelque sorte forcée, |…|», puis elle rectifie : « pas forcée mais ça veut dire que ça m’a été proposé…» (p.17, lignes 8-9)

 de légitimation avec un motif intériorisé au sens de Boutinet (1998) : «|…|En fait, pour moi, c’était plutôt une opportunité de sortir de chez moi, c’était surtout ça et de rencontrer du monde. Et vu que je n’avais pas le choix, je me suis dit que je le prenais de la meilleure façon qui soit. |…| » (Ana, p. 17, lignes 12-14)

A ce stade, Ana s’engage pour un motif économique, tout comme Joe, elle mentionne être à l’HG et être assistée, en somme, dépendre financièrement de cette institution. Ceci l’oblige à se soumettre aux conditions en vigueur ; être amenée à suivre des formations, en est une. Le motif prescrit la pousse également à l’action lorsqu’il s’agit d’accomplir certaines tâches.

Contre toute attente, le motif socio-affectif (le seul d’ordre intrinsèque) s’ajoute dès l’entrée en formation. Le contact avec les pairs qui vivent une situation analogue a un effet pour ainsi dire « magique ». Il favorise aussitôt un regain d’énergie et de confiance, mis à mal par la longue période de recherche d’emploi. Durant l’entretien, elle se confie sur son vécu, les émotions et les pensées négatives qui l’ont parcourue à force d’échecs répétés, entraînant progressivement une perte de confiance en soi. Elle fait également part de son sentiment d’être insignifiante aux yeux de son entourage, car n’ayant plus la possibilité d’échanger sur son activité professionnelle. « Donc tu te sens rejetée de la société… C’est normal les gens autour de toi ont une vie active. Et quand tu rencontres… C’est pas pour dire que les autres sont des rejetés de la société, c’est vraiment un truc que je me dis sur moi. Mais c’est pour dire que les autres sont dans le même état de ne pas avoir de travail, donc ils sont aussi en recherche de travail et donc ils sont comme moi et donc on peut parler de la recherche de travail, un truc duquel tu ne peux parler avec personnes d’autres dans ton entourage. » (Ana, p. 26, lignes 404-409) De ce fait, elle s’engage également pour un motif dérivatif.

Gaelle est la plus autodéterminée avec une motivation extrinsèque intégrée (Deci & Ryan, 2000). Elle se sent, là encore, libre d’effectuer ou non la tâche en fonction de ses attentes et de s’approprier la méthode selon ses besoins. En faisant le choix d’intégrer le module EVE, elle attribue à son action une fonction de légitimation (personnel). Elle ressent le besoin

64 d’apprendre en permanence et voit, en la mesure EVE, une opportunité de développer son employabilité. Il n’est ainsi pas étonnant que Gaelle soit animée par d’autres motifs à l’entrée que l’obligation :

 vocationnel : se former dans l’espoir d’acquérir des savoirs supplémentaires susceptibles de l’aider dans ses recherches et bénéficier du réseau de la Fondation IPT ;

 dérivatif : afin d’échapper à une situation pesante qui la prive de contacts sociaux ;

 épistémique : elle a à cœur de se former en général et de mettre à jour ses connaissances ;

 socio-affectif : afin de faire des rencontres et ainsi accroître son réseau personnel et professionnel.

Ces propos illustrent à eux-seuls ses motivations à son entrée. «|…| Et moi j’ai toujours été assez intéressée et ouverte à toujours continuer la formation, parce que je trouve que la femme et le travail c’est encore un peu plus difficile et compliqué que pour un homme. Donc je suis toujours restée ouverte à la formation. Et puis quand l’Hospice m’a parlé de ça je me suis dit : pourquoi pas ! D’une part, ça peut m’apporter quelque chose, j’en suis sûre, et de deux, je vais rencontrer du monde. » Parce que c’est vrai que quand on n’a pas de travail et ben c’est difficile de sortir de chez soi parce que financièrement c’est un peu rude… Moi j’ai deux enfants, je les adore, mais bon c’est pas la même chose. Et en ayant toujours travaillé dans ma vie, c’est quelque chose que vraiment qui est problématique, dans le sens où j’ai besoin de contacts, j’ai besoin de voir du monde... |…|» (p. 32, lignes 31-40)

Si l’on se réfère à la théorie de Cross (1982), les conditions sont réunies afin que Gaelle prenne la décision de suivre le module EVE. Elle a un rapport favorable au savoir, à l’apprentissage, à la formation et à elle-même en tant qu’apprenante. Ceci favorise une attitude positive et d’ouverture dès l’entame, malgré un désaccord sur certains points relatifs au dispositif pédagogique.

Enfin, les propos recueillis nous font penser que Paola est amotivée au commencement de la formation, pour plusieurs raisons : premièrement, son moral est au plus bas car ses nombreuses recherches d’emploi sont restées vaines. «|…| C’est dur, c’est pénible à la longue mais… C’est un peu dur. C’est pour ça quand je suis arrivée les premiers jours, c’était un peu le ras-le-bol… » (p. 11, lignes 258-260) Deuxièmement, les rapports sont tendus avec son

65 assistante sociale qui lui impose une formation (après deux ans de recherches infructueuses) qu’elle perçoit comme désavantageuse. «|…| Parce que moi on m’a dit : « Ouais y a des cours le matin et puis après l’après-midi on vous donne des petites choses à faire, je ne sais pas quoi... » Quand j’ai entendu ça je me suis dit : non mais attendez, moi je ne vais pas m’amuser à faire des trucs de construction !... C’est ça qui a fait que j’étais un peu tendue le premier jour que je suis arrivée. |…|» (p. 9, lignes 157-160) Et troisièmement, la première tâche P.I.E. est mal vécue. Elle justifie alors son action par une fonction de légitimation avec un motif situationnel. Cependant, dans son cas également, en plus du motif prescrit, le motif socio-affectif vi ent s’ajouter dès l’entame de la formation. Le groupe a pour elle un effet rassurant, dès le premier jour, et lui permet de canaliser ses émotions. Partager avec les pairs, les mêmes interrogations vis-à-vis de la formation, l’aide à patienter jusqu’à l’éclaircissement des buts.

Aussi, son cas illustre le caractère multidimensionnel et dynamique de la motivation, souligné par Dupont & al. (2009). Nous émettons l’hypothèse que lors de la recherche du stage, sa motivation fluctue en fonction de plusieurs paramètres : la perception de la valeur de l’activité, les rencontres sur le terrain qui peuvent ou non la stimuler, les obstacles auxquels elle fait face, les encouragements et le soutien qu’elle reçoit de part et d’autre. Les données recueillies ne nous permettent pas d’avoir pleinement conscience de l’évolution du continuum d’autodétermination (cf. 3.2.2.2) de Paola. Néanmoins, dès l’entrée, nous avons également identifié une motivation extrinsèque identifiée au vu de la valeur accordée à la seconde activité.