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ii. le Grenelle de la mer : une carence de prise en compte du paysage dans les nouvelles visions du littoral

3. Quelle prise en compte du paysage dans le Grenelle de la mer ?

le livre bleu des engagements du Grenelle de la mer est le fruit d’une concertation pluriacteurs dans laquelle l’interdisciplinarité a permis de faire émerger les lignes directrices d’une approche renouvelée de la politique littorale. cette concertation a mis en évidence la nécessité de s’appuyer sur les notions d’interactions, d’interdépendances terre/ mer (écologiques, économiques, sociales, culturelles), de décloisonnement des approches et des acteurs, de dépassement des échelles traditionnelles, de gouvernance partagée, etc. bref, c’est avec un regard holistique que le littoral a été disséqué. l’a-t-il été à travers une notion elle-même holistique à l’instar du paysage ? De quelle manière ?

parmi les 18 volets du livre bleu, il s’avère qu’aucun ne soit consacré au paysage proprement dit. on pourra supposer qu’il est admis que le paysage est partout, dans toutes les thématiques (regard holistique) et qu’il n’est ni nécessaire ni pertinent de le traiter à part ou considérer de fait qu’il est absent ou peu présent et devient alors une donnée ordinaire parmi d’autres. cette deuxième hypothèse semble plus exacte dans la mesure où seuls 4 des 18 volets abordent le paysage (non exclusivement) avec 9 occurrences du terme relevées dans l’ensemble du document. alors que le littoral s’exporte et se distingue aujourd’hui avant tout pour l’attractivité de ses paysages, quelles sont les mesures qui lui ont trait ?

parmi les 40 mesures que compte le volet « aménagement et gestion intégrée du

littoral dans une perspective de développement durable », seules 2 mesures font référence au paysage (ce qui paraît surprenant à la lecture d’un tel intitulé).

le paysage n’y est ainsi abordé qu’à partir de la 68e mesure1 qui explicite la nécessité, certes légitime, de considérer et de valoriser le paysage existant, sans pour autant évoquer son évaluation et admettre sa remise en cause. cet aspect révèle une certaine focalisation sur la prise en compte des paysages d’aujourd’hui plutôt que des paysages de demain. cette dimension conservatrice entrave la possibilité d’un autre littoral, celui de demain. or, tout choix de gestion aura, d’une quelconque manière, ses traductions paysagères, lesquelles doivent être anticipées et lesquelles doivent servir à déterminer la pertinence de ces choix. l’autre mesure2 aborde le paysage comme une finalité et non comme un objectif. Celle-ci place les activités économiques comme facteurs d’aménagement impactant nécessairement les paysages. bien qu’une volonté de réduction des effets négatifs sur le paysage soit formulée, il n’y apparaît aucune volonté d’associer économie et paysage.

Dans le volet « L’éducation à la mer doit devenir une priorité », là encore3, il est

1 Mesure 68 : « prendre en compte et valoriser l’existant […], prendre en compte le paysage littoral et marin ;

va-loriser la construction d’un paysage littoral et marin vivant, c’est-à-dire en accordant une attention au patrimoine naturel, culturel et économique qu’il représente, tout autant qu’aux enjeux attachés aux activités humaines (agriculture, transports maritime et terrestre, tourisme, logement…). »

2 Mesure 73 : « en matière économique […], renforcer la place des activités primaires (agriculture, pêche et

conchyliculture) sur le littoral, par des dispositifs permettant tout à la fois la création d’emplois permanents, le rééquili-brage des activités primaires, tertiaires et secondaires et la maîtrise de la pression foncière, en veillant à la réduction des effets négatifs sur les écosystèmes, les paysages et la consommation d’espaces. »

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question de conservation, de valorisation et de protection (dont les ouvrages de défense) qui concourent à inscrire le paysage dans une vision patrimoniale figée alors que ces mêmes paysages sont amenés à évoluer sous les effets du changement climatique. les mutations premières des écosystèmes auront des répercussions sur les activités. au-delà des Zppaup dont la création est encouragée, ce sont les atlas de paysages qui doivent intégrer les mutations paysagères pressenties relatives au changement climatique. c’est donc l’ensemble des paysages qui, bien que protégés, doivent faire l’objet d’une évaluation afin d’assurer la cohérence de leurs outils juridiques (Atelier de l’île, 2007).

par ailleurs, la préservation et la valorisation des ouvrages de défense contre la mer demandent à être nuancées. si l’on se réfère à la « stratégie nationale de gestion

du trait de côte », le bien fondé de ces ouvrages s’établit par un diagnostic technique

d’évaluation des impacts (souvent négatifs) sur la mobilité sédimentaire et leur effet sur l’érosion littorale. ainsi, le seul aspect patrimonial ne saurait être déterminant dans l’évaluation de ces modes de protection littorale et contradictoire avec les perspectives de hausse eustatique. Dans ce cas, la volonté première de conservation du paysage peut être un facteur de vulnérabilité.

Dans le volet « Un abyssal besoin de connaissances », une mesure1 décrit une fois de plus le paysage comme nécessairement contraint, lequel doit être pris en compte pour minimiser l’impact des activités sur lui. Dans le cas des énergies renouvelables, cette mesure soulève deux questions. si l’on prend l’exemple des éoliennes, comment doit-on poser la question de leur légitimité ? : “quels impacts l’implantation d’éoliennes produira-t-elle sur le paysage ?“ c’est l’objet de cette mesure. ou plutôt, “est-il pertinent d’implanter des éoliennes dans ce paysage ?“ cette question place le paysage comme un préalable et non comme une résultante.

Enfin, dans le volet « des activités agricoles préservées et respectueuses de

l’environnement en zone littorale », une autre mesure2 place le paysage comme un élément contraint, sur lequel des impacts, nécessairement négatifs, sont à prendre en compte.

ainsi, l’on voit que la prise en compte du paysage dans le Grenelle de la mer est somme toute relative. le paysage y est considéré comme une résultante de l’expression d’autres enjeux alors que le paysage est lui-même un enjeu. le paysage est réduit à son aspect visible, auquel on tente de limiter les impacts (souvent négatifs). et maritime : les ouvrages d’art portuaires et de défense contre la mer, l’architecture rurale et urbaine à usages domesti-que, public, agricole, artisanal et industriel, le paysage littoral et marin, le patrimoine archéologique. […] Mettre en œuvre les dispositions prévues par les lois sur les protections des éléments patrimoniaux et les paysages (encouragement à la création des ZppaUp en zones littorales). »

1 Mesure 128 : « développer les études d’impact environnementales, sociales […] au titre du développement

du-rable. […] Mener des études avant l’implantation sur le littoral d’installations productrices d’énergie, notamment pour prendre en compte l’impact paysager et environnemental. »

2 Mesure 64d : encourager les démarches de qualité et la promotion des productions littorales dans des espaces

aussi fragiles, que l’agriculture doit contribuer à préserver et à entretenir : […] - examiner l’opportunité et la faisabilité, compte tenu de la multiplicité des « signes » existants, de lancer une politique spécifique « agriculture littorale durable » labellisée, répondant à des critères de maîtrise et de suivi des différents effets négatifs sur l’environnement et les paysages, notamment par mise en place accélérée de la certification haute valeur environnementale (HVE) sur le littoral. »

le paysage n’est pas perçu comme un objectif (au sens projectuel) permettant d’évaluer la cohérence des autres mesures. cette carence de prise en compte révèle une absence de projet global du littoral limitant fortement le sens à donner aux paysages que l’on souhaite conserver, préserver et valoriser. on notera également que malgré la prise de conscience du changement climatique, ces quelques mesures participent au maintien d’un regard fixiste sur les paysages contemporains. Et malgré la conscience des pressions actuelles et futures, ce Grenelle ne semble pas tenir compte d’un renouvellement possible des paysages. Comment expliquer ces insuffisances dans la prise en compte du paysage ? le paysage est-il occulté par une autre notion ?

parallèlement aux 9 occurrences du terme ”paysage”, le livre bleu offre jusqu’à 100 occurrences du terme ”environnement”, ce qui semble logique si l’on considère le Grenelle de la mer comme une composante du Grenelle de l’environnement. cependant, l’importance accordée à la notion d’environnement n’appose-t-elle pas une limite aux possibles des mesures proposées ? est-elle une notion si holistique pour toutes les fédérer ? contrairement à la nature ou au paysage, l’environnement est une notion délibérément plus « opératoire » que culturelle ou philosophique (Lévy, 1999). L’environnement a été défini par opposition au paysage : « Le paysage n’est pas l’environnement. L’environnement,

c’est le côté factuel d’un milieu (i.e. de la relation d’une société à l’espace et à la nature), le paysage, c’est le côté sensible de cette relation. » (Berque, 1991). Ainsi, l’environnement

n’aurait qu’une dimension factuelle, « froide », matérielle, peu définie, alors que le paysage serait au contraire une notion qui incorporerait une conception, une perception, une sensibilité, des moyens de représentations affinés (Lévy, 1999).

en formulant ainsi les objectifs d’une nouvelle vision du littoral français, le Grenelle de la mer se trouve confronté aux limites de la notion d’environnement lesquelles révèlent l’absence d’un fil conducteur qui fédèrerait chaque mesure au service d’un projet global. Idéalement, ce fil conducteur réunirait l’ensemble des approches et des stratégies pour concourir à l’établissement d’une vision partagée. Et si l’on se réfère à la définition allemande1 du paysage « Landschaft » qui désigne « une terre créée par l’Homme », la notion de paysage saurait être ce fil conducteur et fédérateur. Il évoque un territoire aménagé, à l’identité définie, un concept holistique où chaque élément prend du sens par sa place dans le tout (antrop, 2008).

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l

es innovations du Grenelle de la mer se caractérisent par la volonté de mettre en œuvre des stratégies de gestion en faveur de la mobilité littorale s’inscrivant pour certaines dans une durabilité relative. Cette réflexion pluridisciplinaire a permis de formuler de nombreuses mesures privilégiant la notion d’environnement à celle de paysage. Masqué par le spectre techniciste de la vision littorale, le paysage y est davantage appréhendé (lorsqu’il l’est) plutôt comme un objet nécessairement contraint que comme un préalable réfléchi et souhaité. Il en résulte une lecture difficile due à l’absence d’un fil conducteur reliant chaque mesure au service d’un projet global et par conséquent une vision restrictive pour l’élaboration d’une gestion intégrée des zones côtières.

la mise en lumière de cette lacune pourrait paraître anecdotique froissant esseulement la communauté paysagiste. sauf que neuf mois après le Grenelle de la mer, la tempête Xynthia s’abattait sur le littoral modifiant profondément les paysages des côtes vendéennes et charentaises en laissant transparaître les défaillances de certaines stratégies et l’absence de vision transversale du territoire et reposait le problème de l’aménagement de l’espace littoral.

B. la tempête xynthia et la préconisation réactive de