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1. en géographie physique

En quinze années de recherche intensive, les scientifiques ont montré que la camargue devait se préparer à la hausse du niveau marin. ils ont également démontré à quel point elle souffrait lourdement de la gestion humaine du delta2. Certains auteurs (Suanez, 1997) se sont concentrés sur les bilans géomorphologiques des flux sédimentaires, cellules par cellules. D’autres se sont posés la question de l’impact des tempêtes (Bruzzi, 1998) et du bilan sédimentaire en intégrant la partie immergée sur un siècle à l’échelle du delta du rhône (sabatier, 2001). les études (soGreaH et aquascop, 1995 ; cete/sMnlr, 2002) et les experts (Suanez et Bruzzi, 1999, Sabatier et Suanez, 2003) ont confirmé que, compte tenu de l’ampleur du recul du trait de côte, le système de protection mis en place (épis, digues, brise-lames) ne permet pas de lutter durablement contre les phénomènes d’érosion et les risques de submersion. En outre, protéger l’ensemble du littoral en le figeant par une artificialisation du trait de côte est irréalisable tant d’un point de vue technique que financier (Heurtefeux et al., 2007).

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2. en sociologie

Des études (Sfez et Cauquelin, 2006) ont montré la réalité sociologique du territoire camarguais et notamment aux saintes-Maries-de-la-Mer et à salin-de-Giraud où prédomine la dénégation des effets du changement climatique. aux saintes-Maries, on évacue la question, «lubie scientifique» et propos alarmistes qui freinent l’arrivée des touristes. a salin-de-Giraud, on dit ne craindre que le rhône « tant les aménagements

côtiers des Salins du Midi sont efficaces ». C’est aussi le mythe de la « bonne » culture du

risque, fondée sur une mémoire inexistante et aux contours flous.

l’étude « attitudes face à l’adaptation au changement climatique – Le cas de la

Camargue » (Sfez et Cauquelin, 2006, pour le compte de l’Ademe) a pourtant montré que

l’imagination en matière d’adaptation faisait défaut. l’image de la camargue, telle qu’elle est pensée par la population, semble engloutir toute velléité de penser autrement cette région et de se penser autrement que dans cette région. pourtant, il faut rappeler que la Camargue, avec ses gardians, ses chevaux, ses taureaux, ses flamants, sa biodiversité, ses paysages, est une invention du marquis Folco de baroncelli (début du 20e siècle), aristocrate d’origine italienne, amoureux de grands espaces et de solitude… ayant de la sympathie pour toutes les formes de marginalité et de marginaux (Sfez, 2006). L’imagination, dans ce cas, fut le moteur de l’adaptation ; non de l’adaptation du style de vie singulier d’un groupe de personnes à une région, mais de l’adaptation de cette région à un style de vie qui la transforma complètement. aujourd’hui, pour les camarguais, l’enjeu serait d’adapter leur territoire tout en transformant leur manière de le penser.

3. mais pas ou peu de recherche en paysage

Hormis une recherche orientée sur les paléopaysages camarguais (travaux de t. rey notamment, sur l’évolution du paysage de la petite camargue du néolithique à l’antiquité) dans le cadre de recherches archéologiques, le paysage n’a pas fait l’objet de recherche (par l’entrée du paysage) bien qu’il soit parfois traité par d’autres disciplines (écologie, géographie physique et humaine et sociologie notamment).

la réalité du risque de submersion s’est jusqu’à aujourd’hui illustrée par des modélisations de submersion qui tiennent peu compte de la réalité du site (les zones urbanisées, les ouvrages, les milieux naturels) et encore moins du paysage, lequel est le plus souvent perçu (lorsqu’il l’est) comme une composante nécessairement impactée. cette carence de prise en compte du paysage s’illustre plus ou moins dans « l’étude de définition

des enjeux de protection du littoral sableux » réalisée par le Parc Naturel Régional de

camargue (2007). cette étude a démontré une certaine volonté de métamorphoser les principes de gestion du trait de côte, de moderniser la pensée de la protection littorale et de transformer le rapport au risque de la société camarguaise. toutefois, nous démontrerons que les choix de gestion proposés ne s’accompagnent pas d’une vision à long terme dans laquelle le paysage jouerait un rôle moteur et définirait les orientations d’un projet de territoire. cette carence traduit certainement la méconnaissance du paysage et de sa

dimension projectuelle (le projet de paysage) maîtrisée par le paysagiste (lui-même encore très méconnu).

cependant, la perspective du changement climatique interroge les paysagistes qui s’intéressent aux paysages et à leur transformation ou qui tentent de les aménager (luginbühl, 2009). cette interrogation est formulée en terme d’impact du changement climatique sur les paysages. quels effets pourra avoir ce changement sur les paysages littoraux, sur les polders par exemple, aujourd’hui en sursis puisque situés sous le niveau de la mer, en raison de l’élévation prévue du niveau marin ? par ailleurs, en France, la pratique des paysagistes a été encore très peu questionnée et théorisée. il n’existe pas de champ académique constitué autour de la pratique spécifique des professionnels du paysage et plus précisément autour des processus du projet de paysage. celui-ci est encore perçu comme une « boîte noire » (Davodeau, 2007) car son enseignement est assuré par des professionnels paysagistes qui ne cherchent pas à le théoriser, préférant adopter une pédagogie « par la pratique » et privilégiant l’apprentissage d’un savoir-faire (Davodeau, 2008). Mais certains auteurs (concepteurs, géographes…) dans la communauté paysagiste ont contribué à façonner un corpus bibliographique sur les questions du paysage et du projet de paysage (Kandjee et Ferformis, 2009 ; Delbaere, 2008 ; luginbühl et al., 2007 ; blanchon, 2006 ; tiberghien, 2005 ; besse, 2001 ; corajoud, 2000 ; boutinet, 2001, 1990 ; Mosbach et claramunt, 1998 ; Donadieu, 1994, 1993). pourtant, l’outil qu’est le projet de paysage est susceptible de répondre aux demandes sociales et scientifiques relatives à l’avenir des zones côtières et à leurs risques associés.

III. Les demandes sociales et scientifiques et la nécessité de

réponses

Les zones côtières figurent parmi les lieux les plus dynamiques de la planète. Elles concentrent près des deux tiers de la population mondiale, leur niveau d’occupation est cinq fois plus élevé que la densité moyenne des terres habitées et elles comptent huit des dix plus grandes agglomérations du globe. D’ici 30 ans, on estime que les trois quarts de l’humanité vivront dans des zones proches du rivage (avec 3,4 millions d’habitants en plus dans les départements littoraux français)1. actuellement, en France, ce sont 785 communes littorales et plus de 6 millions de résidents2. Ces quelques chiffres suffisent à montrer la place centrale qu’occupe aujourd’hui l’espace littoral au sein des activités humaines, comme lieu d’échange, de production, d’urbanité et d’innovation. c’est pourquoi, partout dans le monde, les grandes nations maritimes sont engagées dans des politiques à long terme d’aménagement et de mise en valeur de leurs espaces littoraux. il s’agit à la fois de préparer l’accueil de populations nouvelles, de renouveler et de moderniser les activités, et de préserver l’usage d’un espace de plus en plus fragile et convoité. en France, le littoral est

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l’une des parties du territoire qui connaît les plus rapides évolutions, avec une attraction résidentielle, touristique et économique qui ne se dément pas. ces évolutions soulignent le rôle croissant de cet espace comme moteur économique de nombreuses régions, les fonctions multiples qu’il assume ou assurera pour le territoire national (transport maritime, production d’énergies renouvelables…), mais aussi l’important investissement affectif et symbolique dont ce géosystème est l’objet. le littoral est un espace de liberté qui incarne cette fonction de plaisir et de ressourcement dont témoigne sa fréquentation estivale et l’attrait croissant des populations touristiques. ce sentiment de liberté partagée est construit sur la reconnaissance de la diversité et de la variabilité des paysages.

les travaux de recherche sur les dynamiques d’évolution qui organiseront et structureront l’avenir des territoires côtiers, aboutissent aujourd’hui à un scénario tendanciel de saturation des littoraux semblable à celui esquissé par le rapport piquard en 1973 ; et les évolutions climatiques ne feront qu’accentuer la vulnérabilité, renforçant la nécessité d’agir. c’est pourquoi les chercheurs (géographes, économistes…) appellent à une prospective plus audacieuse, qui tienne compte à la fois des mutations sociales possibles et des mutations spatiales et paysagères liées au changement climatique, et pour renouveler ou construire des visions de littoraux futurs avec les valeurs que la société leur accorde : un littoral menaçant mais attractif, un patrimoine hérité et un bien commun dont il faut préserver les potentialités pour le futur. autrement dit, il s’agit de répondre à une demande sécuritaire associée à une demande sociale de paysage. Quelles stratégies de « protection » privilégier alors que les ouvrages se multiplient (digues, épis, brise-lames) et envahissent le paysage sans discernement, avec la vigueur et la bonne conscience de l’investissement “utile“ parce que “nécessaire“. c’est sur cette nécessité qu’il conviendra de s’interroger : nécessaire à quoi ? au service de quelle durabilité ?

La communauté scientifique a besoin de réponses à l’adaptation (et à ses stratégies) formulées sous forme de scénarios : un besoin de représentation pour faire réagir et convaincre, indigner ou séduire puis pour dépasser la barrière des mots, des slogans… et enfin caractériser ce que peut être l’adaptation. Il est ainsi devenu nécessaire de fédérer les recherches au service d’une vision commune et partagée, c’est pourquoi nous avons choisi les notions de paysage et de projet pour traiter de l’avenir des sociétés et des territoires littoraux.

B. le prisme du paysage, objet de projet : l’approche

du paysagiste

e

n plaçant le paysage au cœur de la réflexion nous avons cherché à dépasser l’appréhension esthétisante du « beau paysage » et à nous écarter d’une vision paysagère réduite aux seuls espaces naturels ; approche récurrente lorsqu’on traite des espaces littoraux. Ainsi, nous considérerons que « tout est paysage » (Kroll, 2001) ou que tout “fait“ paysage. l’ensemble des dynamiques de territoire (sans pour autant être exhaustif) devra ainsi être analysé mobilisant une palette d’outils commune au géographe et au paysagiste et, dans une dimension plus exploratoire, d’outils adaptés à l’usage du concepteur (scénarios…).