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i. la désorganisation du repli ou les résultantes paysagères d’un territoire décousu

Même si une certaine cohérence justifie le zonage établi par les services de l’Etat, certaines lacunes ont conduit à des choix peu pertinents amputant les potentialités de construire un autre littoral.

1. unilatéralité du regard technique : une vulnérabilité contre une

autre

1.1 une mise en délaissé initiée par le risque

Afin d’être classées “noires“, les zones devaient répondre à deux critères, au moins, parmi les suivants1 :

« - la hauteur d’eau constatée sur le terrain lors de la tempête devait être

supérieure à un mètre ;

- la zone devait se situer à moins de 110 mètres d’une digue, et donc être exposée à des effets de vague violents en cas de rupture ou de submersion de la digue ;

- les phénomènes hydrauliques caractérisant la vague devaient induire une forte vitesse de montée des eaux ;

- les habitations situées dans la zone devaient être très endommagées, si bien qu’elles ne pourraient que difficilement être reconstruites avec un refuge ; - la zone devait former un ensemble cohérent et homogène : il s’agissait de garantir que la délimitation des « zones noires » ne crée pas de mitage urbain,

1 La décision de sanctuariser les zones exposées à un « danger mortel » a été formalisée par une circulaire du

18 mars 2010, qui demandait aux préfets de Vendée et de charente-Maritime de procéder, en lien étroit avec les cabinets ministériels compétents et avec l’aide d’experts nationaux à la délimitation de « zones d’extrêmes dangers ». Ces experts appartiennent au département « environnement, littoral et cours d’eau » du Centre d’études techniques maritimes et flu-viales (ceteMF), au service « risques naturels et ouvrages hydrauliques » de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de Midi-Pyrénées, et au service « hydrométrie, prévision des étiages et des crues »

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puisque le maintien de propriétés éparses augmenterait leur vulnérabilité et rendrait leur évacuation plus hasardeuse en cas de sinistre. »1

ces critères reposent sur la double lecture de l’aléa et du sinistre. pour les 3 premiers critères, l’aléa est retenu comme arbitrage. la prise en compte de l’évènement renvoie à considérer le territoire submergé lors de la tempête Xynthia comme état de référence. seulement, il peut paraître regrettable de ne pas avoir considéré la possibilité d’un aléa supérieur correspondant à une hausse du niveau de la mer relative au changement climatique. Ainsi des zones submergées n’ont pas fait l’objet d’un zonage noir alors qu’une prochaine tempête pourra les inonder de plus d’un mètre. pour les 2 autres critères, c’est l’aspect sécuritaire qui prévaut.

toutefois, la cartographie établie (carte 6) ignore la géomorphologie, notamment dans la zone noire de la commune de La Faute-sur-Mer où la délimitation s’affranchit des caractères originaux de la Pointe d’Arçay, flèche littorale à crochets multiples (Verger, 2010a). en effet, des maisons construites sur des crochets dunaires (dont la topographie les a largement mises hors d’atteinte de la submersion) sont incluses dans la zone où toutes les maisons doivent être détruites (figure 11). A l’inverse, des habitations situées dans les

1 selon ouest-France du 13/04/10, à ces critères s’ajoute, en Vendée, la prise en compte de l’histoire, avec la

car-tographie de trois inondations provoquées par des tempêtes en 1877, 1940 et 1941. la crue du lay, rivière qui sépare la Faute-sur-Mer et l’aiguillon-sur-Mer a également été jugée comme risque supplémentaire, tout comme l’usure des dunes qui protègent la Faute-sur-Mer. Le niveau de marée exceptionnelle entrait également en compte dans le tracé des zones.

carte 6 : Zone d’acquisition amiable (ou zone noire) de la commune de la Faute-sur-mer, quartier d’arçay. source : préfecture de Vendée, 2010

dépressions inter-dunaires, à l’ouest de la rue de la pointe d’arçay ont été exclues de la zone noire alors qu’elles paraissent plus vulnérables que les précédentes.

cet arbitrage a généré des incompréhensions tout en se révélant injuste aux yeux de certains sinistrés.

la cartographie semble également ignorer le paysage même si certains critères s’en rapprochent indirectement. la question du mitage urbain n’est ainsi évoquée que dans l’intérêt sécuritaire. Or, en terme de paysage, ces zonages ont un impact fort. Ils participent à créer ou à renforcer par endroits des discontinuités paysagères isolant par exemple des campings (non concernés par le zonage) d’entités urbaines. Ces zonages induisent le passage d’un paysage construit à un paysage déconstruit, sans transition aucune. l’exemple de la Faute-sur-Mer illustre ce contraste. Si le zonage s’est concentré sur le secteur ”noir”, il semble avoir ignoré ce qui subsiste à l’instar du quartier situé dans les dunes. quel sens donner à ce quartier amputé et finalement constitué de maisons éparses ? Ainsi, d’un point de vue du paysage, il semble que la question du mitage interquartier reste un point à traiter.

par ailleurs, la réduction de la vulnérabilité par la déconstruction va brutalement laisser place à une autre vulnérabilité, la vulnérabilité paysagère, produite par la constitution de deux délaissés, un délaissé construit et un délaissé déconstruit, les restes d’une division qui ne tombe pas juste, les chutes du découpage ”mathématique” de l’espace. ainsi, au nom des quelques critères retenus pour classer ces zones, ces espaces deviennent, au nom du paysage, inclassables. ainsi l’on voit comment le risque et sa gestion deviennent responsables de la mise en délaissé (Morisseau, 2009), engendré par une mise en faillite de l’espace (Bouchain, 2009) au nom d’un impératif rationnel d’efficacité et de sécurité.

Figure 11 : Zonage de la zone d’acquisition amiable de la Faute-sur-mer. D’après photographie ©

MaXppp. source http://www.lafautesurmer.net/

Rue de la Pointe

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cependant, de ce point de vue, les délaissés les plus vulnérables ne sont peut-être pas ceux des zones noires (photos ci-dessous), comme nous pourrions le penser au premier abord.

ceux-là deviennent une réponse, sans doute transitoire, à la mutation nécessaire des zones littorales contemporaines tout en redonnant une portée significative à la notion de risque. Pourtant, Il s’agira de clarifier le statut définitif des « zones d’acquisition amiable » (noires), de ces espaces désaménagés devenus publics, dont il est crucial d’affirmer qu’ils n’ont pas vocation à devenir des déserts laissés à l’abandon. Dans ce cadre, il conviendra de déterminer comment (et par quels acteurs) une stratégie de reconversion à long terme de ces zones pourrait être définie et mise en œuvre (Anziani, 2010).

les plus vulnérables resteront les délaissés bâtis, pour lesquels aucune adaptation n’est envisagée (sauf peut-être jusqu’à un nouvel événement exceptionnel) et sur lesquels continue de planer un sursis.

1.2 un triple traumatisme

Par ce zonage, de nombreux sinistrés ont eu le sentiment d’être condamnés à une « double peine » après le passage de la tempête (Anziani, 2010) marquant une difficile mise en place de la résilience. pourtant, le livre blanc relatif à la défense nationale met en avant le concept de résilience (Mallet, 2008). La résilience y est définie comme « la volonté

et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences

Planche photographique 3 : lotissement des Voiliers de la Faute-sur-mer après déconstruction du bâti. photos Morisseau, 2011

d’événements graves, puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal, […] dans des conditions socialement acceptables ». Le constat du double traumatisme (marqué

par la constitution d’associations locales) peine à prononcer une mise en place de cette résilience. a cette double peine, il convient d’ajouter la déconstruction et l’apparition brutale des délaissés. ces espaces, le temps de leur reconversion, s’illustreront comme un rappel lancinant de la catastrophe, un vide qui ne s’oubliera pas, constituant un troisième traumatisme pour les sinistrés des quartiers conservés.

On voit combien cette résilience est loin d’être immédiate et efficace. Génératrice de nouvelles vulnérabilités (psychologique, paysagère, urbaine), c’est une résilience vulnérabiliaire par laquelle les stigmates de la catastrophe resteront gravés un temps indéfini et exprimés par le paysage.

2. l’absence d’un projet de territoire et de paysages : la réduction des

possibles

2.1 une évaluation inexistante du paysage

Si la prise en compte du paysage lors du zonage s’avère largement insuffisante voire insignifiante, c’est qu’aucune évaluation du paysage pendant la crise n’a été effectuée, traduisant l’absence profonde de politique paysagère1. on entendra par “évaluation“ la dimension qualitative et partagée du paysage mais également le sens géographique accordé au paysage.

ainsi, au lendemain du sinistre, on a pu constater, les transformations, parfois profondes, du paysage. Une analyse et une évaluation de ces « nouveaux » paysages aurait constitué une base pertinente à la préparation de l’après-crise ainsi qu’à l’élaboration du zonage. Il apparaît comme dommageable, voire préjudiciable, qu’une réflexion portée sur les paysages de la crise n’ait pas été menée en accompagnement du zonage, entre géographie physique et analyse sensible. en outre, on a pu lire ou même constater quel pouvoir avait eu la submersion (même temporaire) sur les paysages littoraux : « des chemins où je me

promenais souvent, il y avait des champs et maintenant il se trouve entre deux mers et un peu plus loin, on ne passe plus ; un paysage hallucinant ; impressionnant »2. il s’agit le plus souvent du changement d’échelle soudain engendré par la métamorphose de la terre en eau et pour lequel le traumatisme est remplacé par l’émerveillement, sinon une illustration réelle des paysages devenus légende des anciens : « autrefois le rocher

de la dive était une île et aujourd’hui, la mer a repris ses terres »3. seules l’inondation ou la submersion imposent ou proposent un tel renouvellement du paysage. aucun autre

1 « L’évaluation du paysage se caractérise comme le premier acte des politiques paysagères » (Davodeau, 2009 ;

labat, 2008).

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événement « naturel » n’apporte plus de valeur ajoutée au paysage. Cette situation nous renvoie à la description des paysages inondés des bas-champs picards en 1990 (Morisseau, 2006) ou à la dépoldérisation accidentelle et rendue définitive du polder de Mortagne sur Gironde que nous évoquerons dans le chapitre suivant.

or, paradoxalement à cet engouement suscité, l’on a procédé à l’effacement de ces grandes surfaces inondées. Majoritairement agricoles, on peut comprendre qu’à l’avènement brutal d’un paysage nouveau et incertain on ait préféré recouvrer l’usage et la valeur économique pour lesquels la résilience devait s’effectuer. ainsi les travaux de première urgence ont été réalisés sur des digues marines (photo 2) dès le mois de mars pour combler les brèches, réparer les ruines ponctuelles, reconstituer des parapets, reprendre des cordons dunaires, etc.

cependant, cette « résilience réactive » (Dovers et Handmer, 1992) résonne davantage comme une remise en état1, un retour à la situation d’avant-crise jugée comme l’état d’équilibre. Mais le profil de ces paysages inondés n’exprime-il pas un état de stabilité face au risque ? le gommage de ces paysages temporaires n’est-il pas lui-même temporaire ? l’effacement de ces paysages ne réduit-il pas la possibilité de considérer l’espace littoral autrement ? Aussi, afin d’intégrer le risque dans une vision dynamique des paysages (mutation progressive ou brutale, définitive ou temporaire), leur zonage pourrait s’intégrer à une mise à jour des atlas de paysages.