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Le paysage à l’échelle du site dépoldérisé, entre monospécificité et diversité végétale

comme le souligne lydie Goeldner (Goeldner, 2008), une grande attention est aujourd’hui portée au paysage que l’on souhaite créer dans le cadre d’une dépoldérisation. ce paysage dépend, en partie, de la recolonisation végétale, variable selon les sites puisque soumis à différents facteurs. ainsi, l’on pourra distinguer des facteurs internes au site (dimension du polder, topographie, altimétrie terre/mer, nature pédologique, végétation existante, salinité, typologie de dépoldérisation, gestion par pâturage ou par fauche, absence de gestion, etc.) et des facteurs externes (dynamique et typologie sédimentaire, prisme tidal, salinité des eaux entrantes, etc.).

Dans le cas d’une dépoldérisation projetée, l’ensemble de ces facteurs peut être influencé ou faire l’objet de « calage » afin de répondre à des intentions ou des objectifs paysagers. ainsi, au sud de la baie de somme et au nord des bas-champs, le polder agricole

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de la Ferme de la caroline fait l’objet d’un projet de dépoldérisation « expérimentale » pilotée par le conseil général de la somme. si des compensations écologiques sont attendues de cette dépoldérisation, les compensations paysagères le sont plus encore. les enjeux de cette opération sont la reconstitution des paysages des bas-champs et le maintien des paysages maritimes d’une baie de somme qui s’ensable.

ces ambitions de conservation de paysages répondent notamment aux objectifs d’aménagement préconisés au droit de la pointe du Hourdel, pour l’opération Grand site1 réalisée par le cabinet de paysagistes atelier de l’Île en 2005. Dans le cadre du projet de la caroline, la présence d’un cabinet de paysagistes (ah-ah paysagistes) dans le groupement d’étude confirme la volonté de « maîtrise » et l’intérêt porté au paysage. Dès lors, la dépoldérisation n’est plus une « simple » opération de technique et de génie civil mais bien un projet où le sensible et la perception peuvent prévaloir. le projet propose un aménagement doux, construit sur les mouvements de la mer et la dynamique végétale naturelle. a partir de ce principe, différents scénarios de temporalité sont déclinés, du long terme au très long terme.

Cette dépoldérisation, réalisée par le percement d’une brèche (figure 12), s’accompagnera d’un traitement fin du nivellement interne du site devant favoriser la reprise et la diversité végétale. cette différence altimétrique, constituée de subtiles gradines (ou paliers) et d’une pente intérieure adoucie devra faciliter la mise en place et l’étagement d’une palette végétale halophile diversifiée : Ainsi, on vise à encourager le développement d’un tapis de plantes pionnières (salicornes, spartines) entre 2.50 m et 3.80 m, puis de prairies halophiles (composées d’atropis et d’obione) , entre 3.80 m et 5.70 m et enfin, de prairies halo-nitrophiles à partir de 5.70 m. (sogreah et ah-ah, 2007 ; Goeldner, 2008). au sein des renclôtures conservées, il est ainsi attendu la mise en place d’un paysage de marais maritime.

1 les opérations Grand site sont des démarches de projet, proposées par le MeDaD, en réponse aux problèmes liés

à la surfréquentation touristique de sites majeurs sur le plan du paysage. Leur finalité est de permettre un développement touristique durable.

Figure 12 : modélisation du projet de dépoldérisation de la Ferme de la caroline. sogreah et

aussi, le volet « gestion » du site est abordé sous l’angle « productif » du paysage. il est évoqué la culture expérimentale de salicorne en écho au passé cultural du polder ou le pacage ovin renouvelant ainsi les « champs de production » (Figure 13).

le paysage ouvre donc une porte à la dépoldérisation. Mais, au regard d’autres facteurs propres à la dépoldérisation, le projet de la caroline peut s’avérer discutable. en effet, le contexte sédimentaire des estuaires de la Manche (en érosion au nord et en accumulation au sud), ne légitime pas l’aspect défensif de l’opération car, situé au sud de l’estuaire, le polder de la caroline ne présente pas de vulnérabilité érosive. les digues de cette renclôture sont par ailleurs en très bon état. en revanche, le moteur de cette opération est bien l’aspect socio-économique, issu du paysage. nous sommes au cœur d’une stratégie paysagère liée au tourisme. en d’autres termes, il s’agit de l’économie du paysage dépoldérisé. cette économie s’articulerait autour du maintien de l’activité plaisance et pêche au Hourdel et s’appuierait sur les structures d’accueil existantes (Maison de l’oiseau, hébergements labellisés…) et sur le développement de circuits « nature » ou de séjours thématiques (sogreah et ah-ah, 2007).

En terme de méthodologie de projet et de planification territoriale, on est bien dans la dynamique progressive d’une stratégie d’expérimentation qui vise à renouveler, à plus long terme et en fonction des résultats et de la réussite du projet, des opérations de plus grande échelle, dans un intérêt, cette fois-ci, défensif. l’opération de la caroline illustre davantage une stratégie sociologique visant à préparer la population locale à une dépoldérisation plus importante (celle des bas-champs sud notamment).

cette stratégie présente des enjeux de communication qui doivent être intégrés dans l’étude amont. en parallèle des schémas et des modèles numériques réalisés par le bureau d’étude technique, les paysagistes ont illustrés leurs intentions par des modélisations paysagères (cartes, vues axonométriques et photomontages) afin de se superposer aux

Figure 13 : scénario à très long terme d’une dépoldérisation totale de la Ferme de la caroline. sogreah et ah-ah, 2007

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contraintes techniques. les réticences à la dépoldérisation étant souvent issues d’une méconnaissance du terrain et de la problématique (Goeldner et imbert, 2005), il est primordial de proposer une rigoureuse représentation du projet futur. la représentation du nouveau paysage devient alors un outil pertinent qui permet de susciter des réactions, de faire appel au vécu et de permettre à la population locale de se projeter tout en relativisant l’impact de l’opération.

ainsi, on voit dans ce projet combien les enjeux paysagers pèsent aussi lourdement que les contraintes techniques et physiques de la dépoldérisation. on constate également que la seule reconstitution d’un paysage monospécifique de marais maritime sur 20 ha peut présenter de multiples intérêts. Enfin, il est intéressant d’observer qu’une dépoldérisation à l’échelle du site peut être une phase préliminaire à une dépoldérisation plus importante. 2.2 enjeux de diversité des paysages restitués à la mer à l’échelle des territoires

les exemples de dépoldérisation suivants s’inscrivent à l’échelle d’une entité géomorphologique (île ou territoire entièrement poldérisé). La diversité paysagère qualifiant ces territoires, des enjeux de conservation de l’existant apparaissent parallèlement à la hausse eustatique et à la nécessité de dépoldériser.

2.2.1 Graveyron et la hausse du niveau de la mer : vers une uniformité des paysages ? pour le Domaine de Graveyron, accidentellement dépoldérisé de moitié en 1996, le conservatoire du littoral a commandé une étude topographique et biogéographique (Anselme et al, 2003) afin de connaître les conséquences d’une remontée probable1 du niveau marin d’ici la fin du 21e siècle et d’en déduire les zones les plus vulnérables ainsi que les actions prioritaires à mener pour gérer le site à plus long terme.

aujourd’hui caractérisé par la juxtaposition de marais salés (à la pointe) et de marais doux (composés de prairies hygrophiles et méso-hygrophiles dans le reste du polder), le Domaine présente des enjeux liés à l’élévation du niveau de la mer (anselme et al, 2008). outre les enjeux économique2 et écologique3, l’étude a montré qu’une plus large dépoldérisation (par submersion totale) du domaine de Graveyron diminuerait la diversité paysagère engendrée par la généralisation du marais salé. en d’autres termes, il s’agirait d’une « homogénéisation » ou d’une banalisation du paysage naturel littoral existant induisant une diminution du potentiel culturel et touristique du site. il est également supposé que la monotonie engendrée par la généralisation du marais salé, produise des répercussions paysagères à l’échelle plus globale du bassin.

1 D’après les estimations faites par l’ipcc (intergovernmental panel on climate change).

2 pour lesquels le laisser-faire favoriserait une résilience autonome (par défense douce) réduisant les coûts d’une

défense lourde.

3 risque de perte des rares marais doux du bassin d’arcachon, écotones d’une grande richesse écologique, d’où une

ainsi, dans le cadre de projet de dépoldérisation, la volonté de conservation du paysage peut complexifier la mitigation paysagère mais peut également participer à enrichir et nourrir un projet de paysage. c’est le cas du projet de tiengemeten.

2.2.2 l’île de tiengemeten : la mise en valeur d’un palimpseste

Tiengemeten est une île fluviale située dans la commune de Korendijk en Hollande méridionale, dans le Haringvliet, un des bras du delta de la Meuse et de l’escaut (photo 5). elle s’étend sur 10,5 km² (7 000 x 1 500 m)et compte 11 habitants. simple banc de sable au 17e siècle, elle a été poldérisée entre 1750 et 1860. après les inondations de 1953, de nombreuses digues ont disparu.

en 1990, tiengemeten a été classée par le ministère de l’agriculture, de l’Aménagement du territoire et de la Pêche zone naturelle protégée, obligeant six fermes à disparaître. A la fin des années 1990, l’île de Tiengemeten a donc changé de vocation : une mutation paysagère radicale s’est opérée par la conversion de ses 700 ha de polders agricoles et des 6 exploitations en espaces naturels. les agriculteurs ont cessé toute activité1

et l’île a été rachetée par l’association néerlandaise de préservation de la nature (Vereniging natuurmonumenten).

en activité depuis plusieurs siècles, les fermes ont été abandonnées et partiellement déconstruites, des peupleraies ont été abattues, de nouveaux chenaux de marée ont été creusés et une brèche a été percée dans la digue sud en 2007. Malgré ces transformations qui tendent à effacer les traces de l’anthropisation, le réaménagement de l’île ne fut ni uniforme ni homogène. la volonté a été de limiter les atteintes au paysage traditionnel de polder tout en y apportant une certaine diversité. De grands principes ont été définis par le tiengemeten nature Development steering committee parmi lesquels on peut citer : la mise en valeur des processus naturels d’un système fluvial, la résistance du projet à la probable hausse eustatique, une priorité donnée au caractère insulaire, le maintien de la présence de l’homme et de ses traces, le maintien de l’accessibilité (visiteurs et secours en toutes circonstances) et enfin, le maintien de la qualité et du niveau des digues. Ces principes ont été appliqués en fonction des opportunités et des contraintes du site mais également des ambitions du comité de pilotage.

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Différentes options déclinant la typologie des paysages de l’eau ont été proposées par l’équipe de maîtrise d’œuvre composée de paysagistes, d’écologues, d’hydrologues et d’agronomes : une première option allait dans le sens d’un retour franc à la nature, dépourvue de bâti et de chemin, par l’ouverture de brèches dans les digues, laissant l’île sous l’influence du Haringvliet. Une deuxième option proposait de tirer partie des polders existants afin de constituer des bassins de retenue d’eau (par arrêt du drainage notamment) nécessaire au développement de milieux humides à l’intérieur des digues (inversion du système de poldérisation) tout en permettant des assèchements. une troisième option suggérait de connecter par chenaux certains polders au Haringvliet, laissant une incertitude quant aux surfaces inondées. La deuxième option, favorable à un paysage naturel diversifié et variable, en phase avec l’historique du lieu et la possibilité de création de plans d’eau permanents a été retenue ; elle permettait aussi de répondre à trois orientations définies par le tiengemeten nature Development steering committee : la nature, l’histoire culturelle du lieu et l’aspect attractif et récréatif.

en 20061, l’île a commencé à être remodelée : les routes en asphalte ont été détruites et remplacées par des ruisseaux, des arbres ont été abattus, d’autres, plantés, et de vieilles digues ont laissé place à de nouvelles. spatialement et plus globalement, l’île a été divisée en trois séquences paysagères (carte 7). ainsi, l’on peut distinguer Weemoed, « zone de la

nostalgie », Weelde, « zone de richesse naturelle » et Wildernis2 « zone sauvage ». Dans la première (à l’est), un polder est devenu le palimpseste du site, superposition de traces, de l’état naturel d’origine à la poldérisation agricole. Dans la deuxième (partie centrale), les polders agricoles ont évolués après intervention humaine en polders de nature. Dans la troisième (au sud), les polders agricoles se sont spontanément transformés en marais maritimes par le percement d’une brèche dans la digue et par l’instauration d’un marnage de 30 cm.

²ce triptyque paysager illustre les enjeux et ambitions écologiques, socioculturels et

1 10 années ont été nécessaires pour réunir les subventions et définir le projet (sur plans).

2 ou « Wilderness », en anglais, qui désigne en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis le caractère sauvage de la Nature

et, par extension, certains sites protégés (wilderness areas), mais également un rapport de l’homme à la nature ; une co-nais-sance nature-société (Joliet, 2006).

carte 7 : séquences paysagères de l’Île de tiengemeten. source www.natuurmonumenten.nl Richesse des milieux

Nostalgie

Ancienne digue

paysagers. si initialement le projet ne laissait aucune place au paysage agricole, les intentions du comité de pilotage marquent une réelle volonté de conservation de l’héritage local afin d’accroître la richesse et l’attractivité du lieu. Ainsi, même la gestion de l’île, caractérisée par l’introduction de Highland cattle pour le pâturage, renvoie au passé agricole du lieu tout en participant à la diversité et la variabilité des paysages (planche photographique 5). par ailleurs, par la conservation de certains éléments, on assiste à un détournement des usages : les digues deviennent des sentiers1 de découverte (une quinzaine de kilomètres), agrémentés de postes d’observations et les cottages des ouvriers agricoles sont peu à peu réhabilités en résidences de courts séjours (gîtes), en restaurant et en centre d’information23. par cette programmation paysagère conservatrice et progressive, « ce pays

insulaire […] ne passera pas du statut de territoire agricole à celui d’espace de nature, mais restera un territoire mixte, à la fois culturel et naturel, que les populations locales et les visiteurs pourront s’approprier d’une nouvelle manière »4.

tiengemeten illustre la dualité de la mitigation paysagère : la réduction de la vulnérabilité et les avantages attendus de cette réduction. Mais des projets de mitigation paysagère peuvent s’avérer encore plus complexes s’ils associent la volonté de conservation de diversité des milieux et des paysages et la future hausse eustatique.

2.2.3 l’ile de Wallasea : les enjeux de conservation d’une future diversité paysagère en angleterre, la politique de « managed realignment » a conduit le gouvernement britannique5 à dépoldériser 115 ha de Wallasea island en 2006 (photo 6). la gestion a été

1 A l’exception de la Wildernis, zone la plus sauvage, restée inaccessible au public afin de préserver la tranquillité

du site et pour des raisons de sécurité.

2 les projections tablent sur une capacité d’accueil de 30 à 40 000 visiteurs par an.

3 proposant les activités du site, notamment des ateliers d’art lié au paysage.

4 GoelDner-Gianella L., 2008, Polders du XXIe siècle : des paysages diversifiés et mouvants, dans un

contexte de changement climatique et d’évolution sociale, in Des défis climatiques, Les carnets du paysage, actes sud et l’ecole nationale supérieure du paysage, n°17, 180p.

Planche photographique 5 : Diversité des ambiances paysagères de l’Île de tiengemeten. source

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confiée à la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) qui a acquis la totalité de l’ancienne île en 2008. Depuis, elle envisage de convertir d’ici à 2019 les anciens polders agricoles en milieux naturels afin de participer à l’adaptation de la côte de l’Essex1 au changement climatique. tout l’enjeu est de créer un espace riche et durable, aussi bien pour les milieux naturels que pour la population locale et les visiteurs.

la perspective du changement climatique a obligé la rspb à évaluer les impacts potentiels2 de la hausse eustatique, à identifier les vulnérabilités et à définir des priorités d’action. Dans une logique de conservation des nouveaux milieux naturels (vasières, marais salés, lagunes saumâtres), de nombreuses planifications et consultations ont conclu à la nécessité de surélever le niveau de l’île. en 2008, crossrail3 a proposé à la rspb de valoriser les terres4 issues d’une nouvelle voie ferrée sous londres.

Encouragé financièrement par l’Agence de l’Environnement, ce projet, d’échelle unique en angleterre et en europe, devra permettre la régénération de nouveaux paysages et le maintien de la biodiversité dans un estuaire très vulnérable au changement climatique (érosion des côtes). il s’agit donc d’un projet de compensations économiques, écologiques et paysagères de crossrail. pour la rspb, cette opération s’inscrit dans un projet à plus large échelle dans la vallée de la tamise. en passe de devenir un site d’intérêt international, l’aspect touristique est également privilégié. Wallasea island project vise à offrir un site attractif au tourisme de nature littoral. Quinze kilomètres de nouveaux chemins sur la rive permettront l’accès à la majeure partie de la nouvelle côte sauvage et à des observatoires (figure 14). Dans sa perspective de durabilité et de conservation de diversité(s), le projet de Wallasea peut être une réponse au site de Graveyron évoqué plus haut.

2.3 Rôle et typologie du paysage dans l’acceptation de la dépoldérisation