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le “Plan d’actions de Prévention des inondations“ : la prospective conjuguée à tous les temps du projet

iii. Vers une nouvelle culture réglementaire des territoires du risque d’inondation

3. le “Plan d’actions de Prévention des inondations“ : la prospective conjuguée à tous les temps du projet

après son élaboration, les concepteurs du plan-guide ont admis certaines réserves quant à la définition de certaines vocations spatiales. En ce sens, il leur est apparu que le schéma directeur du plan-guide ne devait pas être une fin en soi cristallisée par son image. Ainsi, le plan d’actions aurait pour objectif la poursuite et/ou la conjugaison de la réflexion prospective à tous les temps du projet (avant, pendant, après). Ceci permettrait d’identifier des secteurs à vocation « indéfinie » et dont la qualification s’établirait à mesure que le projet se construit (études complémentaires, phase de travaux…) et selon l’écoute de nouveaux signaux faibles tout en intégrant un nouveau collège d’acteurs au processus du projet. la conduite de ce cycle prospectif ferait l’objet de missions (assistance, conseil…) confiées au paysagiste, lequel pratiquerait une évaluation permanente de la résilience globale (relative au risque comme au paysage) du projet consécutive de ses adaptations ou plus exactement de ses ajustements.

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e renouvellement paysager, illustré par le projet de parc agricole urbain, convoque à une nouvelle culture plurielle du risque, qui pose ses fondements sur la réappropriation du territoire reconquis par un parc urbain spécialisé et sur l’évolution des outils réglementaires de prévention et de planification. De ce point de vue, la nouvelle génération de papi traduit une évolution de la culture du risque en proposant des stratégies de réduction multiscalaire de la vulnérabilité. par ailleurs, l’hypothèse de faire évoluer les programmes d’action de prévention des risques (papi) en “plan d’actions de prévention des inondations“ ouvre le champ de la réflexion sur la perspective de construire des projets d’ajustement permanent, dépassant la seule adaptation du territoire au risque d’inondation et renforçant potentiellement plus encore la culture du risque.

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ar l’exemple du déversoir de la bouillie et du val blésois, on voit que la prospective appliquée au paysage s’inscrit dans une quadruple combinaison, à l’interaction du savoir et du pouvoir, du représenter et du construire, par laquelle, élus, techniciens et paysagiste élaborent les visions du territoire futur et souhaité (ou souhaitable) sous la forme de scénarios cartographiés et illustrés.

Le projet de parc agricole urbain, fruit de cette réflexion, concourt à réduire la vulnérabilité paysagère du site en cours de déconstruction tout en permettant de maintenir un niveau de vulnérabilité faible face au risque d’inondation. en cela, il se révèle être un véritable projet de mitigation paysagère qui tire partie de l’intégration du risque par de nouvelles formes de productions paysagères. plus qu’une reconversion spatiale, il s’agit d’une reconquête du territoire périurbain où le renouvellement paysager s’accompagne d’une réappropriation sociétale.

ce projet traduit l’émergence d’une nouvelle culture sociétale du risque d’inondation, celle d’une société qui aurait rendu le risque visible et plus acceptable parce que producteur de nouveaux paysages, de nouveaux espaces et de nouveaux usages.

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ette première partie a montré que le projet de paysage était un outil de réduction de la vulnérabilité - ou plutôt des vulnérabilités - pouvant conduire à une résilience efficace des territoires.

l’analyse des conséquences de la tempête Xynthia a démontré la défaillance de la résilience par les stratégies de prévention et de protection employées. en outre, la gestion réactive de cette crise par l’usage de stratégies préconisées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer, à l’instar du repli dit « stratégique », s’est accompagnée d’une absence de prise en compte du paysage entraînant de nouvelles vulnérabilités (urbaines, paysagères, psychologiques). Le constat d’une résilience défaillante a finalement laissé place à la notion d’une résilience vulnérabiliaire et limitée (après la crise) illustrant une mise en œuvre inadaptée des stratégies. cependant, cet événement a fait émerger de nouvelles propositions concernant une résilience augmentée des territoires littoraux. il fut entendu que celle-ci doit s’appuyer sur une planification globale et anticipée des enjeux et sur la reconversion spatiale de certains secteurs visés par la stratégie de repli. a ce stade de la réflexion, nous nous sommes employés à mesurer la prise en compte du paysage à tous les stades de la gestion de la crise. il s’est avéré que le paysage (lorsqu’il est considéré) est plus perçu comme résultante nécessairement impactée (cf. mesures du Grenelle de la mer notamment) que contrainte instrumentalisée (choix d’urbaniser ou de déconstruire).

pour autant, à la lumière de nombreuses expériences de repli stratégique, notamment de dépoldérisation, nous avons pu démontrer l’importance d’une prise en compte du paysage dans la stratégie de délocalisation des enjeux et les bénéfices de sa valeur ajoutée pour les sociétés et les territoires littoraux. Dès lors, il ne fut plus question de projet de paysage mais de projet de mitigation paysagère1.

1 Mitigation paysagère (ou mitigation des paysages) : réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages.

cette construction accompagne les mutations. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’ac-compagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atté-nuer le risque d’inondation ou de submersion et, dans certains cas même, d’en tirer parti.

en analysant d’autres exemples, blois et la déconstruction du quartier inondable de la bouillie notamment, on a caractérisé la nature des vulnérabilités se succédant sur un territoire et le cycle adaptatif, induit par leur réduction progressive, duquel peut émerger un projet de mitigation paysagère. Afin de comprendre les étapes d’un tel projet, nous nous sommes intéressés à la prospective paysagère telle qu’elle fut mobilisée par le paysagiste en charge de l’étude sur le devenir du site de la bouillie. avec l’ensemble des acteurs, l’équipe paysagiste détermina les différentes trajectoires par lequel le système pouvait transiter afin d’élaborer les visions du territoire futur et souhaité (ou souhaitable). ainsi, on a montré comment le projet de parc agricole urbain, fruit de cette réflexion prospective, tirait partie de l’intégration du risque d’inondation en proposant de nouvelles formes de productions paysagères, sociales et économiques. D’une reconversion spatiale à la reconquête du territoire, nous avons décelé comment la mitigation paysagère ferait émerger une nouvelle culture sociétale du risque ; culture plurielle dont les fondements reposeraient tant sur la réappropriation du territoire reconquis que sur l’évolution des outils réglementaires de prévention et de planification.

Enfin, l’hypothèse de faire évoluer les programmes d’action de prévention des risques en “plan d’actions de prévention des inondations“ ouvre le champ de la réflexion sur la perspective de projets d’ajustement permanent (par une réflexion prospective continue), qui dépasseraient la seule notion d’adaptation des territoires au risque d’inondation en intégrant les mutations globales liées au changement climatique.

en effet, les sociétés observent les changements (dus à des facteurs naturels et à des facteurs sociaux) et se construisent à partir d’eux des représentations sociales des paysages, c’est-à-dire des manières de les penser. avec ces représentations, les pratiques sociétales évoluent et modifient ou infléchissent les processus de transformation des paysages. Yves luginbühl1 indique qu’à partir de là, le raisonnement n’est plus seulement une pensée en termes d’impact, d’effets et d’adaptation, comme nous l’avons constaté dans cette première partie, mais principalement en terme d’interaction. Ce vocable signifie que les effets des transformations ne se produisent pas dans le seul sens des sociétés vers les paysages, comme le laisse entendre le terme d’« impact ». Les processus agissent bien des sociétés vers les paysages et des paysages vers les sociétés. ainsi, les transformations elles-mêmes agissent sur les sociétés qui s’y ajustent en évoluant elles aussi, en s’organisant autrement pour retrouver un équilibre de développement ou poursuivre leur trajectoire.

Les définitions du Larousse pour les termes « adapter » et « ajuster » expriment cette nuance. si le verbe « adapter »2 tend à confondre les deux notions, sa forme pronominale, « s’adapter »3 illustre le maintien d’une position unilatérale par rapport aux circonstances d’un changement : on s’y adapte sans en changer la donne. en revanche, le sens du terme « ajuster »4 recouvre l’idée de parfaire, la volonté de s’adapter au même niveau de définition

1 luGinbüHl Y., 2009, biodiversité, changement climatique et paysage, pp. 153-168, in Humanité et biodiversité,

Manifeste pour une nouvelle alliance, 2009, Ligue Roc, Descartes & Cie, 232p.

2 adapter : « appliquer, ajuster ; mettre en accord ; approprier ».

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et d’équilibre. il y a adéquation et plus exactement interaction. en outre, le paysage en tant que résultante d’interactions renforce cette distinction. comme l’a précisé Yves luginbühl, la notion d’ajustement implique des transformations politiques, économiques et sociales en réponse à des problèmes perçus par les sociétés face à une question de gestion de la nature dont l’expression perceptible (et pas seulement visible) est le paysage, dans sa dimension biophysique et dans ses dimensions sociale et culturelle. alors que la notion d’adaptation focalise sur l’unique dimension naturelle – positionnement « écocentré »1 de l’adaptation (les sociétés s’adaptent aux modifications des milieux) -, la notion d’ajustement laisse entendre que les mutations sociales accompagnent les mutations écologiques à un même niveau.

Dès lors, il ne s’agit plus de passer d’une culture de l’adaptation du territoire à sa société ni même de l’adaptation d’une société à son territoire : il est plus approprié et pertinent de raisonner plutôt en termes d’interactions et d’ajustements.aussi la notion d’interaction renvoie-t-elle à la notion d’anthroposystème évoquée au cours du chapitre 4 à propos de la coévolution des dynamiques naturelles et de la production de paysages sur un même territoire. a cette coévolution des systèmes naturels et sociaux correspond une trajectoire combinant des temporalités cycliques (avec parfois des ruptures) incluses dans un cheminement temporel global du passé au futur et comprenant des ajustements, voire des mutations de l’anthroposystème (Muxart, 2006). ainsi, la seconde partie de cette thèse se propose d’étudier un anthroposystème très particulier, la camargue, qui subit des ajustements permanents depuis son anthropisation et en témoigne avec force alors que se précisent de lourdes menaces.

assemblage parfait ».

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partie

la camargue : territoire