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exploiter une expérience théorique de projet de paysage à l’origine de la thèse

4. la traduction fonctionnelle du projet

4.2 Habiter autrement

4.2.1 la mobilité sédimentaire, gage de protection autonome pour la presqu’île de cayeux si l’on souhaite protéger cayeux dans le cadre d’une gestion intégrée à dimension durable, il est nécessaire d’intégrer la dynamique côtière dans le système de protection de la ville. la réponse formulée met en œuvre les galets et leur mobilité, selon le principe

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suivant : de l’amer sud au front de mer, la plantation d’une forêt de pieux en bois (semblables à ceux utilisés pour les bouchots) dans une fondation en gabions (cages de galets) piègerait les galets tout en ralentissant leur migration vers le Hourdel (figure 4). Cet ouvrage tend à fixer les galets tout en ménageant leur mobilité.

Dans le cadre de cette dépoldérisation, et à certaines périodes, cayeux (re)deviendrait l’île ou la presqu’île qu’elle fut quelques siècles auparavant, reliée au continent par le “tombolo du Hourdel“. L’île, en tant que figure géographique, a de tout temps fasciné les hommes. cependant, aujourd’hui, il s’agit d’autre chose que d’une curiosité pour un espace peu ordinaire isolé par les eaux qui ferait vaguement rêver au paradis perdu ou d’une simple recherche de nature océane exprimée ici, dans une plus grande pureté que sur le continent. S’exprime aujourd’hui dans la société toute entière, un véritable « désir d’île » (Joubert, 2010), un intérêt profond pour ces petits espaces insulaires, qui n’ont jamais été aussi fréquentés, admirés, décrits (et achetés) que ces dernières années. Le bénéfice de cet isolement pourrait se traduire à cayeux par une relance de son développement nourri de l’engouement pour la nouvelle dynamique paysagère (figure 5).

Figure 4 : Plan et coupe du réaménagement du front de mer de cayeux - Projet « En Somme,

rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

Figure 5 : Vue en perspective du front de mer de cayeux - Projet « En Somme, rendre la terre à

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4.2.2 Hurt, un village « filtré » par la mer

lors des précédentes inondations, Hurt, sur une butte, fut en partie épargné des eaux grâce au système hydrographique. sur ce constat, le projet s’est concentré sur la trame hydrographique à l’échelle du village dans l’objectif d’optimiser la capacité de celui-ci à être traversé par les eaux (figure 6). Il s’agissait de revoir le réseau d’eau dans son ensemble, en recalibrant chaque fossé, chaque course. l’intérêt est double. en plus d’améliorer la gestion de l’eau dans le village, la refonte de la trame de l’eau participe à requalifier le parcellaire en déclinant une typologie de la limite foncière, à valoriser le village en déclinant les ambiances de paysages liés à l’eau, et à renforcer les possibilités de maillage piétonnier.

4.2.3 Le Marais, un village flottant a) Des huttes et des maisons flottantes

la dépoldérisation des bas-champs placerait le hameau du Marais au cœur d’un vaste marais maritime, à l’interface entre prés-salés et roselières, entre mer et falaise morte, entre cayeux et lanchères. le hameau deviendrait une véritable centralité dans ce nouveau paysage, opportunité pour de nouvelles activités (agricoles, aquacoles, touristiques) nécessitant des infrastructures. l’inadaptation de la forme bâtie existante convoque à ré-imaginer le hameau. en baie de somme, alors que la chasse se pratique traditionnellement dans des huttes flottantes, pourrait-on imaginer vivre dans une maison flottante ? Serait-ce le principe d’adaptation aux variations de niveau d’eau le plus pertinent ? c’est l’option qui avait le plus de sens dans ces paysages picards. Par sa mobilité, l’habitat flottant joue avec la variabilité des paysages. amarrées à un système de renclôtures perméables (pérennisant les axes de communication), les maisons flottantes, accompagnées de leurs jardins flottants, participent à définir une nouvelle ambiance rurale (figures 7 & 8).

Figure 6 : coupe de principe de réaménagement du réseau hydrographique de Hurt - Projet « En Somme, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

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b) Un exemple de maisons flottantes aux Pays-Bas

« Ca n’a aucun sens de lutter contre l’eau. on doit s’efforcer de vivre avec»1. a Maasbommel aux Pays-Bas, l’exemple de maisons flottantes illustre bien cette vision novatrice.

« Le ciel et la terre se fondent en une masse grise. Une pluie torrentielle

tombe sans discontinuer et la météo ne dit rien qui vaille. Une habitante, souvent sinistrée par les inondations, devrait être inquiète : elle habite sur un bras de la Meuse. Mais elle attend sereinement la crue. Si le fleuve monte, elle ne risque rien ; sa maison flotte, elle peut s’élever de 5 mètres ! »2.

Vues de l’extérieur, les 37 maisons alignées sur le fleuve n’ont rien de particulier. ce sont pourtant les premiers logements amphibies des pays-bas. en cas de besoin, ils s’élèvent avec la marée en coulissant sur deux poteaux d’acier enfoncés dans le sol. ces poteaux résisteraient à des courants de haute mer. comme les bateaux, ces maisons ont une base creuse qui fait office de coque de flottaison.

les services gouvernementaux ont lancé un concours appelant ingénieurs, architectes et urbanistes à concevoir des serres, des maisons, des usines et des parkings flottants. Une ville flottante de 12 000 habitants pourrait voir le jour près de Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam, et même une tour flottante de 100 mètres de haut. Certes, les pays-bas, pays d’europe le plus densément peuplé et dont 26 % du territoire sont situés en dessous du niveau de mer, doivent impérativement revoir leurs systèmes de construction. seule leur caractéristique géographique (polders) reste comparable avec celle des

bas-1 sybilla Dekker, Ministre à l’aménagement du territoire aux pays-bas, de 2002 à 2006.

2 et maintenant des logements amphibies !, Courrier International, 17-11-2005

Figure 8 : Plan et coupes du village flottant du Marais - Projet « En Somm e, rendre la terre à la

champs picards, beaucoup moins peuplés. raison de plus pour avoir une politique audacieuse les concernant.

4.2.4 Fédérer les paysages

le projet de dépoldérisation avait également pour but de fédérer les paysages en s’appuyant sur la proposition d’un réseau de liaisons piétonnes et cyclables. un maillage de liaisons douces se superpose au réseau hydrographique, reliant fermes et villages, via passerelles, pontons, digues et desservant ponctuellement des espaces plus particuliers : observatoires, placettes, espaces didactiques… l’ensemble participe à lier la diversité des espaces et à la cohésion globale du paysage.

4.2.5 calendrier sommaire du projet

En fin de réflexion, un phasage hypothétique sur 50 ans a été imaginé :

2007-2017 : achat et préparation des terrains, fortification de Cayeux, surélévation des digues perméables, construction des infrastructures flottantes, recalibrage du réseau hydrographique dans les villages sur buttes ; 2017 : arrêt de la concession d’endigage ; 2017-2020 : hypothèse de brèches par tempête et ouverture durable du cordon ; 2023 : apparition des premières mollières, mise en place du pâturage et des marais aquacoles ; 2035 : Hausse ressentie du niveau de la mer (hypothèse), élargissement des brèches dans le cordon par surfréquence des tempêtes, extension des mollières et des surfaces pâturées ; 2050 : la baie de somme est totalement ensablée. l’attractivité de la picardie maritime se situe dans la baie des bas-champs.

5. « En somme, rendre la terre à la mer » : bilan d’une réflexion et d’un

projet toujours « d’actualité »

Cette réflexion invite ou force à se projeter dans un avenir incertain rappelant que rien n’est jamais acquis à l’homme, ni ses intérêts, ni la protection de ses biens, ni même la pérennité de ses possessions. Aussi les paysages sont-ils appelés à se modifier inlassablement alors que nos regards à courte vue nous rendent aveugles. il devient nécessaire et urgent de changer notre façon d’agir. comment faire, sinon s’adapter aux données et aux conditions du milieu, rompre avec les ambitions démesurées qui ont prévalu dans le sillage de la révolution industrielle, quand rien ne semblait impossible ? Dans les bas-champs, il a été démontré que le maintien de ces polders, gagnés à grand-peine sur la mer il y a peu, obligeait à d’importantes dépenses d’énergie. la poldérisation, s’appuyant sur une phase de stabilisation relative du littoral, a correspondu à une vision économique conquérante, liée à une phase historique révolue. cet épisode illustre bien l’équilibre instable qui façonne les littoraux, une image de la fragilité, de l’éphémère géomorphologique. « en somme,

rendre la terre à la mer » propose de restituer ces polders à la mer aujourd’hui, quand le

climat change et le littoral évolue, quand l’économie agricole n’est plus gérée que par la pac (politique agricole commune) et que la donne a changé.

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l’analyse géographique doit, non seulement accompagner le mouvement inéluctable, mais aussi l’anticiper. l’ingénieur paysagiste comme l’aménageur ont le devoir de se saisir de cette vision pour construire l’avenir. le développement durable ne peut pas, dans ce sens, n’être que le prolongement de nos situations et désirs actuels. le projet de paysage ne peut pas non plus se satisfaire de la seule projection de ces constantes illusoires opposées de fait aux concours de circonstances naturelles et artificielles (Boutin, 2007).

Depuis 2006, « en somme, rendre la terre à la mer » a fait l’objet de communications et fait référence notamment dans les médias1, dans une thèse2, dans diverses publications3

et dans certains cahiers des charges4. il semblerait que ces références illustrent le besoin d’une autre posture intellectuelle : non plus imposer ses vues et dompter la nature dans un rêve paranoïaque, sortir d’un état crispé sur un moment donné et immédiat, mais adapter ses gestes et ses envies aux conditions majeures, développer une autre culture du risque et du principe de précaution, négocier le « contrat naturel » pour le bien et le respect des deux contractants – la nature et l’homme (boutin, 2007). au-delà de cette philosophie mobiliste et des propositions d’aménagement, il semblerait aussi que ce soit la traduction du changement par le paysage qui convoque autant d’intérêts. l’échelle de la dépoldérisation, les mutations profondes des paysages et la variété imagée des possibles n’expriment plus une peur de l’incertain mais un désir d’autrement.

les bas-champs aujourd’hui : une perspective sérieuse vers la dépoldérisation ? le coût élevé des travaux prévus pour maintenir et consolider la digue tout en respectant le caractère naturel du cordon et les problèmes qui se poseront en terme de disponibilité de galets amènent les «décideurs » à se poser de plus en plus de questions sur le devenir de cet espace. D’autant plus que les solutions de rétablissement d’un apport naturel n’en sont qu’au stade de l’ébauche. il semblait néanmoins que ce choix d’aménagement, « protéger à n’importe quel prix », était le seul retenu, si l’on excepte quelques travaux (Sogreah, 1991 ; bawedin, 2000 ; Hermel, 2001 ; Morisseau, 2006 ; bawedin et Hoeblich, 2006 ; Bawedin 2007a ; Morisseau & Bawedin, 2007 ; Bawedin, 2009a, 2009b) dans lesquels l’interrogation sur cette gestion était contestée. c’est peut-être pourquoi, aujourd’hui, des questionnements, voire des mises en doute des solutions retenues jusqu’ici, sont de plus en plus clairement exprimés, y compris par les pouvoirs publics (Roy & Lepape, 2005 ; Bastide et al., 2005). quels facteurs pourraient expliquer cette nouvelle approche dans la gestion

1 Reportage de l’émission « Thalassa » coordonné par C. Monfajon et intitulé «Marée haute sur la France» consacré

à la gestion dutrait de côte et aux conditions météorologiquesexceptionnelles, édition du 5 mars 2010 : après la tempête.

Production Via Découverte ; Reportage de l’émission « Thalassa » coordonné par C. Monfajon & intitulé «Marée haute sur la France» consacré aux Bas-Champs de Cayeux (Somme), éditions du 13 novembre 2009 : Après nous, le déluge ? Production Via Découverte.

2 baWeDin V., 2009, La gestion Intégrée des Zones Côtières (gIZC) confrontée aux dynamiques territoriales

dans le bassin d’arcachon et sur la côte picarde, thèse de doctorat, sous la direction d’a. Miossec, université de nantes, 532

p.

3 notamment GoelDner-Gianella l., 2008, Polders du XXIe siècle : des paysages diversifiés et mouvants,

dans un contexte de changement climatique et d’évolution sociale, in Des défis climatiques, Les carnets du paysage, actes sud et l’ecole nationale supérieure du paysage, n°17, 180 p.

4 sMbsGlp, 2010, etude de faisabilité – dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu : la

recherche d’un avenir sur un territoire pérenne, Maîtrise d’ouvrage syndicat Mixte baie de somme-Grand littoral picard,

de ce trait de côte ? s’agit-il d’une meilleure prise en compte des dynamiques naturelles, des enjeux nouveaux qui concernent les bas-champs de cayeux, ou de la politique récente de gestion intégrée des zones côtières mise en place sur d’autres territoires ? Peut-être les trois à la fois. Les mentalités des « décideurs » semblent donc changer. On paraît davantage prêt à considérer la mer non plus comme un danger mais comme une opportunité à la création de paysages (ou un retour à une situation antérieure - Cf. figure 9) dans laquelle on s’efforce de favoriser tout autant la diversité naturelle que la conservation culturelle et de permettre la découverte des paysages et des milieux sans nuire à la nature.