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2. Analyse des choix muséographiques

2.1. L’organisation du Droguier du Roi

2.2.3. Les principes et les motivations de présentation des collections sous Buffon

Ces aménagements successifs des collections de minéralogie nous permettent de déterminer une unité commune au Cabinet d’Histoire naturelle au Jardin du Roi. Celle-ci s’exprime par ce qu’on peut qualifier de vision esthétisante des collections. En effet, quelque soit l’aménagement observé, on remarque que tant les appréciations fournies dans les descriptions faites des espaces d’exposition, que les illustrations témoignant des salles d’exposition, renvoient vers un idéal esthétique. Plus précisément, les collections, et a fortiori celles de minéralogie, sont arrangées avec soin et présentées comme les plus beaux atours de cette collection royale. Les types de spécimens la composant n’y sont du reste pas étrangers, comme nous l’avions vu précédemment, avec une sélection d’échantillons très orientée vers les pierres et minerais précieux. Les choix suivis par Buffon, d’enrichir et d’orner ces espaces par des objets d’art, en constituent des démonstrations supplémentaires. Cette orientation manifeste vers le beau s’exprime également à travers les écrits de Daubenton, premier responsable des collections, dans lesquels on peut notamment ressentir sa participation manifeste à la troisième transformation du Cabinet. Ses écrits laissés dans l’Histoire naturelle de Buffon constituent un véritable discours muséologique dans lequel il traite non seulement du bien fondé de réunir ces collections, de l’arrangement idéal mais aussi des mesures à prendre en terme de conservation préventive pour de tels objets. À ces écrits, il nous est possible en outre d’ajouter ceux postérieurs d’une cinquantaine d’année dans lesquels il

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revient en partie sur son expérience passée à la tête du Cabinet343. La confrontation des deux est d’autant plus pertinente qu’un constat de continuité peut être fait entre les idées d’un Daubenton âgé de 33 ans et celles d’un Daubenton de 80 ans, malgré les évolutions notables. En effet, dans l’Histoire naturelle, Daubenton défend notamment un point de vue tourné vers l’exposition selon des principes esthétisants, de façon « à observer la Nature dans les

collections où elle paroît sans aucuns autres apprêts que ceux qui peuvent la rendre agréable aux yeux »344. Plus loin il parle également d’« arrangemens qui ne sont faits que pour l’agrément […] [pour lesquels] ce n’est qu’après plusieurs combinaisons que l’on trouve un résultat satisfaisant dans les choses de goût »345. Dans le même ordre d’esprit, on trouve ainsi dans le rapport établi en 1796 un principe qu’il défend selon lequel il faut « contribuer au

bien de l’État en attirant l’affluence des étrangers qui dédommage amplement de ce qu’il en a pu couter pour rendre les collections d’histoire naturelle aussi curieuses qu’instructives »346

. La nouvelle volonté de rendre les collections instructives témoigne de l’évolution de Daubenton sur toutes ces années, ainsi que du nouveau statut de Professeur de minéralogie qu’il occupe. Cependant, on constate que les mêmes idées fondées sur un encouragement de la curiosité par un arrangement des collections fondé sur le goût et les qualités esthétiques des objets prévalent toujours. Concrètement, dans les collections de minéralogie, cela s’observe par cette utilisation des très belles armoires du cabinet de Bonnier de la Mosson, réservées à partir de la troisième phase d’aménagement des collections, dès 1767, aux objets de minéralogie.

En même temps que les organisations successives des collections se fondent sur l’ordre le plus agréable aux yeux, pour reprendre l’expression de Daubenton347 ; on remarque aussi un autre objectif vers lequel ces présentations tendent, en particulier à partir de 1767 : la répartition des collections en fonction du règne de la nature auxquelles elles appartiennent. Cette idée est non seulement défendue par Daubenton348 mais l’est aussi par Dezallier d’Argenville qui dresse les critères d’un cabinet d’histoire naturelle idéal dans son

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A.N. F17 1229, dossier 17, pièce 515 : Extrait du Registre des délibérations de l’assemblée des professeurs du Muséum d’histoire naturelle dans sa séance du 24 Prairial an 4 de la République française une et indivisible, daté du 24 Prairial an IV [12 juin 1796].

344

Georges-Louis Leclerc Buffon, Louis-Jean-Marie Daubenton, op. cit., p. 7.

345

Idem., p. 8.

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A.N. F17 1229, dossier 17, pièce 515 : Extrait du Registre des délibérations de l’assemblée des professeurs du Muséum d’histoire naturelle dans sa séance du 24 Prairial an 4 de la République française une et indivisible, daté du 24 Prairial an IV [12 juin 1796].

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Georges-Louis Leclerc Buffon, Louis-Jean-Marie Daubenton, op. cit., p. 5.

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ouvrage de 1742349. Le classement entre les trois règnes offre, selon ces auteurs, des avantages certains, notamment dans une meilleure compréhension des échantillons présentés. Ce principe est du reste un fil conducteur au Jardin du Roi puis au Muséum, puisque très souvent en effet les réalisations et aménagement divers se fondèrent dessus.

Le second point à signaler lorsqu’on observe les arrangements de ces collections est le rôle joué par Buffon. Pour cela, il faut mentionner le contexte scientifique de l’histoire naturelle et des recherches des naturalistes qui se développent intensément au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Deux figures incontournables de la même génération marquent le paysage scientifique : Buffon et Linné350. Le fossé séparant les deux esprits est important et Buffon, avec sa publication de l’Histoire naturelle, entend bien revendiquer ses pensées, ce qui s’exprime notamment au moyen de la présentation des collections d’histoire naturelle au Cabinet. De façon à saisir les théories des deux savants, retenons un élément réducteur mais principal des deux pensées, de façon à mieux percevoir cette différence de vision. Avançons simplement que Buffon refusait le système taxonomique mis en place par Linné et souhaitait au contraire, non pas se fonder sur des critères biologiques stricts pour déterminer les espèces, comme le proposait Linné mais établir les différences entre les individus à partir de comparaisons empiriques et pragmatiques. Ainsi, au travers des écrits de Daubenton, transparait un point de vue majeur à la base de l’organisation du Cabinet au cours du XVIIIe siècle : « un cabinet d’Histoire naturelle est donc un abrégé de la nature entière »351.

Deleuze revient sur la vision de Buffon qui s’exprimait au travers des collections et en dresse le portrait. Selon lui, la conception de Buffon s’appuyait sur des considérations générales, dans lesquelles les spécimens s’articulaient selon leurs contrastes et non pas selon l’ordre méthodique qui est simple « ouvrage de l’homme »352

. La volonté derrière cette présentation était donc de proposer une illustration de ce que la nature offrait de plus remarquable et de curieux, laissant ainsi passer au second plan les considérations de l’ordre méthodique, ce que nous confirme Daubenton dans ses écrits.

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Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, L’Histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties principales, la

lithologie et la conchyliologie, 1742, p. 192.

350

Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois à la base du système de nomenclature des espèces.

351

Denis Diderot, Louis-Jean-Marie Daubenton, op. cit., p. 489.

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Pour finir, présentons une dernière vision permettant de retrancher l’aspect des expositions des collections du Cabinet d’Histoire naturelle à travers le contexte plus global de celui du Siècle des Lumières. Selon Michel Van Praët, du point de vue muséographique, les galeries du Jardin du Roi sont des « galeries-bibliothèque »353 donnant à voir aux yeux des visiteurs le plus possible d’objets. Ce principe se manifeste en particulier dans la charge conséquente d’objets remplissant chaque tiroir des vitrines mais aussi par tout le cadre décoratif intérieur. C’est le cas notamment dans la Galerie du Cabinet où des spécimens garnissent la pièce du sol au plafond, offrant une vision esthétisante que nous avons abordée, mais permettant aussi au visiteur de découvrir cette richesse des collections. Toutefois nous verrons que ce parti-pris reste spécifique au XVIIIe siècle et ne se retrouve pas ultérieurement.

2.3. La présentation des collections de minéralogie dans les