• Aucun résultat trouvé

2. Analyse des choix muséographiques

2.1. L’organisation du Droguier du Roi

2.1.2. L’agencement du Château et du Droguier du Roi

Cette donation des collections de Tournefort nous permet de supposer que le Droguier se trouve pour la première fois saturé en termes d’espace dans l’emplacement qui lui était dévolu dans le Château, depuis le premier aménagement par Guy de la Brosse. Cela pourrait de ce fait expliquer son déplacement dans un nouvel espace du Jardin attenant à l’édifice principal.

Revenons tout d’abord sur l’organisation du Droguier lors de son état initial, décrite par Guy de la Brosse en 1636, dans laquelle il s’attarde notamment sur le Château. Il évoque une maison bâtie sur la rue avec sa façade côté Jardin et en présente une rapide distribution. Il mentionne ainsi au rez-de-chaussée les offices voutés, la cuisine, le garde-manger, la sommellerie, une salle de commun, ainsi qu’un « grand buscher & autres lieux que nous

avons fort commodement convertis, & sans déformité en un beau laboratoire charbonnier & officines à la conservation des médicamens »286. Pour ce faire une idée de l’aspect que devait

arborer cette première collection, il peut être intéressant d’en rapprocher des illustrations contemporaines. Les deux bandeaux réalisés par Sébastien Leclerc à destination d’un ouvrage de Claude Perrault287 sont particulièrement intéressantes (cf. Annexes P1 ; V ; 5, 7) y compris une troisième illustration à destination d’un ouvrage contemporain288

(cf. Annexe P1 ; V ; 6). L’illustration du laboratoire de chimie est particulièrement

saisissante puisqu’on peut directement la rapprocher de la description de Guy de la Brosse. On voit en effet les opérations pharmaceutiques en train d’être menées dans la salle, avec dans la partie gauche, un personnage de dos accédant à la collection d’un véritable magasin de drogues.

La localisation du Droguier est restée identique durant près de 70 ans, jusqu’à cet engouement suscité en 1708, quand Vaillant est nommé garde du cabinet des drogues. Une

286

Guy de la Brosse, op. cit., p. 20.

287

ClaudePerrault. Mémoires pour servir à l'histoire naturelle des animaux, 1671.

288

Denis Dodart, Mémoire pour servir à l'histoire des plantes, 1676, p. 1.

Laboratoire dans le Jardin Royale des Plantes, Sébastien Leclerc.

DODART Denis. Mémoire pour servir à l'histoire des plantes, 1676, p. 1.

partie importante de la collection de Tournefort est alors acquise et l’administration du Jardin souhaite pouvoir l’exposer, comme le faisait déjà Tournefort dans son appartement rue Saint- Victor289. Toutefois, l’espace dévoué à ce premier Droguier au rez-de-chaussée du Château ne permet pas d’en contenir la totalité, et la décision est donc prise d’établir et d’investir un nouvel espace en dehors du Château. Il existait dès l’achat du domaine au moment de la création du Jardin, une série d’autres bâtiments jouxtant l’édifice principal. La première illustration existante du Jardin, réalisée par Scalberge en 1636, offre avec précision les détails des multiples bâtiments constituant ce premier Jardin (cf. Annexe P1 ; I ; 3).

On peut y voir une succession de bâtiment, avec au centre le Château et ses deux saillies, qui est encadré au Sud - à gauche sur l’image - par les communs et une Galerie ; et au Nord - à droite sur l’image - par une chapelle et un dernier bâtiment jouxtant la Butte. C’est cette dernière construction qui nous intéresse ici et sur laquelle nous renseigne Franck Bourdier. Ce dernier avance qu’il s’agit d’un local de cours, probablement agrandi vers 1670. On y aurait ajouté des gradins de façon à y accueillir des élèves290, ce que confirme d’ailleurs Antoine-Laurent de Jussieu dans ses notices historiques sur le Muséum291. On l’aurait également mis en communication « par une cloison mobile située derrière la table tournante

d’anatomie, avec un laboratoire où se préparaient les expériences chimiques »292

. Enfin,

289

Franck Bourdier, op. cit., p. 38.

290

Ibidem.

291

Antoine-Laurent de Jussieu, op. cit., p. 16 : « Cet amphithéâtre qui pouvoit contenir 600 élèves, étoit placé dans le

bâtiment situé entre la grande porte d’entrée du jardin, et la terrasse de la grande butte ; son laboratoire étoit adossé à cette terrasse. Il a subsisté jusqu’à l’époque où l’on a construit celui qui existe maintenant [l’amphithéâtre Molinos] ».

292

Franck Bourdier, op. cit., p. 39.

SCALBERGE Frédéric. Jardin du

Roy pour la Culture des plantes médicinales à Paris, 1636.

© Muséum national d'Histoire naturelle, Dist. RMN-Grand Palais. Image du MNHN, bibliothèque centrale

Emplacement supposé des collections de Tournefort

l’appartement du premier étage de ce local aurait été aménagé de telle sorte qu’il soit à même d’accueillir non seulement les collections de Tournefort, mais également l’ensemble des collections déjà présentes dans le Droguier initial293.

Les membres du Jardin en charge du Droguier à la suite de Vaillant sont tout d’abord Bernard de Jussieu294 qui poursuit l’œuvre de son prédécesseur en continuant d’enrichir les collections. C’est sous son poste d’ailleurs que le Droguier prit sa nouvelle appellation de Cabinet d’Histoire naturelle295. Pierre Noguez et Pierre Demours suivent de manière plus inégale Bernard de Jussieu dans l’exercice de cette charge jusqu’en 1732, où Noguez démissionna de son poste296. Le Jardin passe alors sous la direction de l’Intendant du Fay297 qui confie de nouveau à Bernard de Jussieu le poste de garde du Cabinet d’Histoire naturelle. L’action de du Fay au Jardin et particulièrement au Cabinet est, elle aussi, restée célèbre298

. Il participe en effet à l’enrichissement constant des collections, en obtenant par exemple le retour d’anciennes pièces de la collection de Tournefort qui n’avaient pas rejoint le Jardin lors de son legs en 1708, il procède à des achats et cède à la fin de vie, par voie de testament, sa propre collection de pierres précieuses au Cabinet299.

L’organisation du Droguier devenu Cabinet dans ce nouvel emplacement, au-dessus du local des cours, s’est maintenue jusqu’à l’arrivée de Buffon à la tête du Jardin. Ce dernier décide en effet de reconfigurer complètement le Cabinet, sur le motif d’une meilleure mise en valeur des collections, mais également face à l’afflux constant d’objets qui amènent de nouveau à une saturation de l’espace300

. Yves François décrit l’état du Cabinet à l’arrivée de Buffon :

« Buffon […] ne trouve qu’un savoureux mélange de fruits des Indes, de drogues en bocaux, de quadrupèdes, de poissons, d’armes et de vêtements « de sauvages », le tout réparti dans des armoires vitrées, dans des tiroirs, ou suspendus au plafond dans deux petites salles »301.

293

Ibidem.

294 Bernard de Jussieu (1699-1777), botaniste français, sous-démonstrateur au Jardin du Roi et garde du Droguier de 1722

à 1725

295

B.N.F., Est. Va 257 Fol. H37237 - H37238 : C’est à cette date qu’il est fait mention du Cabinet d’Histoire naturelle, dans le règlement du Jardin établi en 1729.

296 Édouard Lamy, op. cit., p. 41. 297

Charles-François Cisternay du Fay (1698-1739), chimiste français, Intendant du Jardin du Roi de 1732 à 1739.

298

Yves François, op. cit., p. 106 : « La nomination, en 1732, de Charles-François Cisternay du Fay, savant éminent et

administrateur remarquable, ouvre pour l’établissement une ère nouvelle ».

299

Édouard Lamy, op. cit., p. 41.

300

Franck Bourdier, op. cit., p. 39 : Le Droguier s’enrichit notamment de l’herbier de Vaillant à sa mort en 1722 et de celui de Fagon.

301

Buffon décide ainsi de procéder à un retour des collections dans le Château, en ne leur octroyant cette fois-ci pas le rez-de-chaussée, comme au temps de Guy de la Brosse, mais en les installant à l’étage noble : au premier étage302.

Établir l’évolution des aménagements des collections au cours de ces phases successives n’est pas chose aisée puisqu’aucune illustration directe de l’intérieur des bâtiments n’a jusqu’à maintenant été retrouvée. Nous pouvons cependant tenter d’en retracer les traits principaux en nous fiant aux descriptions de Paris réalisées pendant ces périodes. Les ouvrages de Germain Brice, régulièrement mis à jour, peuvent constituer par exemple des outils précieux303. Dans les premières éditions de 1684, 1687, 1698 et 1706, on peut remarquer que dans l’article consacré au Jardin Royal, il n’est pas fait mention du Droguier, ou bien seulement de façon implicite, puisque l’auteur évoque le Laboratoire Royal dont « les

compositions qui s’y font se distribuent à tous les pauvres, qui en ont besoin »304

. De la même manière, les éditions de 1698305 et 1706306 font état du cabinet personnel de Tournefort avec beaucoup de détails mais ne mentionnent pas celui organisé au Jardin depuis pourtant près de 70 ans. Il faut attendre seulement la cinquième édition de 1713 pour qu’il en soit fait mention307, mais uniquement de manière succincte, en insistant de nouveau davantage sur les collections de Tournefort incluses en 1708 à celles du Jardin. Il en est de même pour les éditions de 1713, 1718 et 1725, où il est fait état du Droguier en indiquant le membre du Jardin qui en a la charge, à savoir Vaillant puis Bernard de Jussieu.

Ces éléments ténus sont à compléter par les illustrations de Sébastien Leclerc présentées précédemment, avec la reconstitution organisée par le Muséum national d’Histoire Naturelle, dans la salle du Trésor de la Galerie de Minéralogie lorsque cette dernière était encore ouverte au public (cf. Annexe P1 ; VI ; 16). On pouvait notamment y observer la proposition faite par

302

Franck Bourdier, op. cit., p. 40.

303 Germain Brice, Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, éditions de

1684 (Tome 1, p. 247) ; 1687 (Tome 1, p. 247) ; 1698 (Tome 2 p. 13) ; 1706 (Tome 2, p. 16) ; 1713 (Tome 2, p. 196) ; 1718 (Tome 2, p. 165) ; 1725 (Tome 2, p. 382).

304

Germain Brice, Description nouvelle de ce qu’il a de plus remarquable dans la ville de Paris, 1687, Tome 1, p. 247.

305

Germain Brice, Description nouvelle de la ville de Paris, 1687, Tome 2, p. 15 : « Il [Tournefort] a un cabinet tres-

curieux, rempli de tout ce qu’il a pû amasser dans les longs voïages qu’il a faits en différens endroits ; non-seulement de productions extraordinaires & bizarres, comme des Minéraux, des Congellations, des Sels naturels, des Excressances de mer, des Pétrifications ; mais particulièrement des Coquilles tres-rares, dont il a un amas de plus de trois mille, d’une beauté & d’un choix admirable ».

306

Germain Brice, Description nouvelle de la ville de Paris, 1687, Tome 2, p. 19 : « Son appartement est dans la rue

saint Victor, où les curieux vont voir ce riche cabinet, ausquels il l’explique avec une civilité & avec une patience toute particulière, qui fait beaucoup d’honneur à notre Nation ».

307

Germain Brice, Description de la ville de Paris et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable, 1713, Tome 2, p. 198 : « Vaillant […] a aussi l’inspection sur le jardin, & la direction du droguier & du cabinet du jardin royal ».

l’établissement qui s’inspire des illustrations du XVIIe

siècle, où chaque objet est disposé dans une alcôve qui lui est propre, organisés sur des rangées. Ce rangement présente en sus de son caractère éminemment pratique, tourné vers une logique de réserve médicinale, des qualités non moins esthétiques, où des objets en matériaux précieux à vocation purement artistique cohabitent avec des bocaux contenant les substances utilisées à des fins médicales.