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2. Analyse des choix muséographiques

2.4. La Galerie de Minéralogie et de Géologie

2.4.3. La réalisation d’un cadre décoratif monumental autour des

L’aménagement de la Galerie s’est conduit sur une ligne directrice claire et selon un style néo-classique sobre et épuré, que renforce d’autant plus la colonnade intérieure dans la nef centrale. Cet aspect est en fait le fruit de la volonté du collège professoral qui souhaitait mettre en avant les collections et que l’édifice, en même temps qu’il serve efficacement à la présentation et l’usage quotidien de la collection, s’efface au profit des spécimens et du discours scientifique sous-tendu derrière leur exposition. Cette démarche s’inscrit dans la nouvelle dynamique du XIXe siècle et tranche fortement avec celle mise en place au cours du XVIIIe siècle, sous l’administration de Buffon. On se souvient en effet de l’utilisation des

411

A.N. F21 826 : Mémoire sur les travaux et les projets dirigés ou dressés par M. Rohault de Fleury, Architecte du gouvernement au Muséum d’histoire naturelle de 1832 à 1867, daté du 1er

juillet 1867.

412

armoires provenant du cabinet de Bonnier de la Mosson, particulièrement décoratives et qui savaient flatter le regard et la curiosité, en s’associant à des spécimens minéralogiques spectaculaires ou emprunts de qualités esthétiques. La démarche retenue ici adopte la vision contraire, avec en particulier ces armoires dessinées par Rohault de Fleury, extrêmement sobres, très régulières et offrant aux visiteurs les collections sous le regard de la connaissance et de l’instruction, principe si cher au Muséum à partir de la fin du XVIIIe

siècle, tend-il revient à chaque évocation de la collection.

Dans ce processus, Rohault de Fleury adopte une attitude ambiguë. Pour une part, il travaille en effet selon ces principes de sobriété, épurant au maximum l’intérieur de la Galerie, créant ainsi cette vision dégagée de toute la longueur de la nef. Ce point primait puisqu’il concourait à la fois à une meilleure appréciation des collections, mais jouait aussi un rôle dans l’éclairage, laissant « la lumière [tomber] de manière harmonieuse et uniforme sur

tous les objets de la collection »413.

D’autre part, il avait également à cœur de développer un programme décoratif à l’extérieur et surtout à l’intérieur, ce qui fut source de conflits avec l’assemblée des Professeurs. Dans son mémoire de 1867414, Rohault de Fleury dresse la liste des ouvrages d’art réalisés pour cette Galerie, omettant toutefois toute allusion à la querelle qu’il y eut avec les Professeurs. Nous pouvons le suivre dans sa chronologie.

Tout d’abord sont réalisés les deux bas-reliefs des frontons des deux portiques, de 1835 à 1836, par le sculpteur Lescornée415. Rohault de Fleury postule également pour l’exécution de décors destinés à orner la Galerie, par des peintures et des revêtements de marbre416. Ces derniers ne seront jamais réalisés, ce qui n’est pas le cas des peintures. Des projets de soubassement en marbre ont été établis par Rohault de Fleury et montrent la variété décorative qu’il a souhaité apporter, tout en se conformant paradoxalement au souhait de sobriété des Professeurs417 (cf. Annexes P1 ; V ; 7, 8, 9).

413

Ibidem.

414

A.N. F21 826 : Mémoire sur les travaux et les projets dirigés ou dressés par Mr Rohault de Fleury. Architecte du gouvernement au Muséum d’histoire naturelle de 1832 à 1867, 1er juillet 1867.

415

Dans son étude, Claude Roux décrit les deux frontons dont la thématique précise reste encore absconse, même si l’on peut y reconnaître des éléments iconographiques se rattachant aux disciplines présentées dans la Galerie : la minéralogie, la géologie, la botanique et la bibliothèque.

416

Claude Roux, Un exemple d’architecture publique muséale des années 1830, mémoire de DEA, Paris IV, 1991, Tome 1, p. 73.

417

Claude Roux, Un exemple d’architecture publique muséale des années 1830, mémoire de DEA, Paris IV, 1991, Tome 2, figure 45.

En revanche, le programme des peintures a bel et bien été mené, celles-ci sont encore visibles aujourd’hui dans le vestibule, en entrant par le portique à l’Ouest, ainsi que réparties aux deux extrémités de la nef centrale418. Les peintres ayant participé sont Auguste-François Biard, Sébastien-Charles Giraud, Évremond de Bérard et Charles Rémond. Concernant ce dernier, il est intéressant de signaler l’existence d’archives témoignant du processus d’exécution des œuvres. Les peintures livrées par Rémond datent de 1842, il l’annonce dans une lettre adressée au Ministre des Travaux Publics419 (cf. Annexe P3 ; II ; 33). Auparavant, une correspondance s’était établie entre Rohault de Fleury, le Professeur Alexandre Brongniart et le Ministre des Travaux Publics au sujet de ces peintures. Même si sur le principe Alexandre Brongniart dédaignait la présence d’œuvres d’art dans la Galerie, c’est tout de même lui qui fournit les sujets des tableaux à exécuter au peintre Rémond. En effet, les œuvres peintes s’inscrivent toutes dans le contexte des sciences de la Terre, avec à chaque fois des thèmes se rattachant à des sites géologiques ou minéralogiques. Brongniart était de plus chargé de transmettre les conseils au peintre afin d’obtenir la meilleure exécution qui soit420 (cf. Annexes P3 ; II ; 27, 28, 29, 32).

418

Pour un inventaire de ces peintures il est possible de consulter l’ouvrage d’Henry Jouin et Henri Stein, Histoire et

description du Jardin des Plantes et du Muséum d’histoire naturelle, 1887, 235 p., qui répertorie les œuvres d’art possédés

par le Jardin des Plantes.

419

A.N. F21 1570, dossier 5, lettre du peintre Rémond au Ministre des Travaux Publics, 27 juin 1842.

420

A.N. AJ15 842, lettre du Ministre d’État des Travaux Publics à Alexandre Brongniart, 17 juillet 1841.

ROHAULT DE FLEURY

Charles. Soubassemens [sic] en marbre aux extrémités de la galerie de Minéralogie, 1836 (A.N., MUSÉUM. Soubassements en marbre aux extrémités de la galerie de minéralogie et dans les vestibules. Balcons de la galerie. [5 p.], pl., élév. Sign. Ch. Rohault, 1836-1838).

Nous pouvons de plus signaler que des témoignages adoptent le discours inverse, louant les œuvres réalisées et leur bien fondé, comme c’est le cas pour Paul-Antoine Cap en 1854 dans sa description de l’établissement où il pense qu’ « il est à désirer que ces exhibitions des

divers aspects de la nature se multiplient et complètent par la vue ce que l’imagination du promeneur essayerait en vain d’inventer »421

.

Enfin, Rohault de Fleury a poursuivi ses opérations de mise en place d’un décor monumental par le biais de sculptures pour lesquelles il obtient là aussi gain de cause. Deux statues monumentales marquent en effet l’image de cette Galerie. Disposées en son centre, elles se font face et représentent deux grandes figures du Muséum et de son enseignement, à savoir René-Juste Haüy et Georges Cuvier. La statue en marbre de René-Just Haüy a été réalisée par le sculpteur Brion et est datée de 1863. Pour la seconde, c’est le sculpteur David D’Angers qui en eut la charge et qui l’acheva en 1838422

. Il put en outre profiter du fait d’avoir déjà eu l’occasion de réaliser un buste du même personnage cinq ans plus tôt423

, et avoir à sa disposition la robe du Professeur Cuvier qu’il demande dans un courrier afin de terminer la statue au plus vite424.

Pour finir, deux dernières sculptures ont été réalisées et destinées à intégrer spécialement le programme décoratif comme imaginé par Rohault de Fleury. Il s’agit de deux statues, l’une représentant la Minéralogie et la seconde la Géologie, deux figures allégoriques prenant les traits de deux jeunes femmes portant les symboles de la discipline qu’elles représentent. Ces statues devaient à l’origine siéger sur un balcon positionné sur la façade Nord de la Galerie, ouvrant sur le Jardin (cf. Annexe P1 ; V ; 6).

421

Paul-Antoine Cap, Le Muséum d’histoire naturelle, 1854, p. 207.

422

Manuscrits et archives scientifiques du MNHN, Ms 2101, lettre de David D’Angers à la Baronne Cuvier, 2 mai 1838.

423

Manuscrits et archives scientifiques du MNHN, Ms 2101, lettre de David D’Angers à la Baronne Cuvier, 6 juin 1833.

424

Manuscrits et archives scientifiques du MNHN, Ms 2101, lettre de David D’Angers à M. Laurilhard.

ROHAULT DE FLEURY

Charles. Détail de la balustrade en marbre blanc ; élévation latérale, 1838.

(A.N., MUSÉUM.

Soubassements en marbre aux extrémités de la galerie de minéralogie et dans les vestibules. Balcons de la galerie.

[5 p.], pl., élév. Sign. Ch. Rohault, 1836-1838).

Face à tous ces projets Les Professeurs exposent leurs protestations, craignant que les collections ne se perdent dans un tel décor :

« Monsieur l’architecte pense que la grandeur de la salle donne le sentiment de la grandeur des collections, parce que l’esprit établit nécessairement le rapport de l’un à l’autre. Nous pensons le contraire […]. Dans cette longue et haute galerie et auprès de ces colonnes de trente pieds d’élévation, les plus beaux morceaux de la collection, les masses de cristal de roche, de fer météorique, semblent des cailloux […] ; c’est suspendre des tableaux de petite dimension aux murs d’une cathédrale. Il nous semble que dans tout musée, c’est l’objet en exposition qui doit arrêter la vue, et que s’il est amoindri, terni, effacé par les ornements de l’architecture et du décor, quel que soit le mérite de ceux-ci, le but est manqué »425.

Sous ce postulat, la position des Professeurs semble on ne peut plus claire, pourtant nous l’avons vu, les décisions prises en définitive accordèrent davantage de crédits à Rohault de Fleury, dont le jugement semblait osciller véritablement entre le principe de sobriété et la volonté malgré tout d’associer aux collections un programme décoratif complet.

Cette situation de la Galerie de Minéralogie entretient de ce fait le débat lancinant, doit-on privilégier le contenant ou bien le contenu ? Au Muséum en tout cas, et c’est ce que son histoire nous enseigne, pourrait-on répondre que s’agissant de la minéralogie, le contenant s’est articulé autour des collections qui sont demeurées le pôle d’attraction majeur, tout en organisant un cadre décoratif cohérent et à même de compléter le parcours du visiteur, du curieux ou du scientifique explorant ces collections.

425

A.N. AJ15 862, lettre d’Adrien de Jussieu, janvier 1839, cité dans Claude Roux, « Un premier exemple d’architecture muséale en France : la galerie de Minéralogie du Jardin des Plantes à Paris », dans La Jeunesse des musées, 1992, p. 184.

3.

La collection minéralogique :