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1. Contexte de constitution des collections de minéralogie au Jardin

1.1. Historique du Jardin du Roi et du Muséum national d’Histoire naturelle

1.1.2. Le Jardin du Roi, sous le règne de Buffon

1.1.2.3. Les projets de transformation du Jardin non exécutés

Les travaux d’agrandissement que nous venons de détailler se sont du reste accompagnés de modifications des bâtiments déjà existants et de constructions de nouveaux dans une moindre mesure. Ces changements apportés au Jardin ont ainsi été majeurs, principalement en termes de superficie mais ne peuvent être qualifiés de spectaculaires au regard du nombre restreint d’édifications réalisées durant ce XVIIIe

siècle. Le Château contenant le Cabinet

85 William Falls, op. cit., p. 159 : Cette acquisition ne s’est également pas faite sans heurt, en particulier avec le

propriétaire précédent, Jean Verdier, qui louait jusqu’alors l’hôtel aux concessionnaires du privilège des voitures publiques.

86

Jeanne Pronteau, op. cit., p. 261.

87

Ibidem.

88

Idem., p. 263.

89

William Falls, op. cit., p. 160.

90

Henry Jouin, Henri Stein, Histoire et description du Jardin des Plantes et du Muséum d’Histoire naturelle, 1887, p. 5.

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d’Histoire naturelle reste le principal édifice de tout l’ensemble. Toutefois, nous pouvons remarquer que la situation aurait pu être toute autre, si l’on se réfère aux propositions d’aménagement adressées au Jardin et plus particulièrement à son Intendant Buffon.

Il faut en effet comprendre que le climat propice à effectuer ces changements est créé tant par l’enrichissement des collections du Cabinet d’Histoire naturelle, que par la popularité croissante de Buffon tout au long du siècle. André Thouin le qualifie même à la fin de sa vie de « Pline françois » en 178892. L’attrait d’un projet comme celui du Jardin du Roi, voué à un développement prometteur, a ainsi attiré un certain nombre de candidats à la réalisation de propositions parfois démesurées.

On peut par exemple citer les deux projets avancés par l’architecte Doussin, en 1747, proposant entre autres dans sa deuxième version, d’aménager autour d’une cour carrée de 65 toises de côté (environ 126 mètres) les divers bâtiments constituant le Jardin du Roi93.

On peut aussi signaler celui de l’architecte Nicolas de Beaubois en 1783. Ce dernier propose à Buffon un projet d’embellissement du quartier du Jardin du Roi et du faubourg Saint-Marcel, pour lequel l’intéressé a d’ailleurs transmis une réponse favorable94.

Mais attardons-nous davantage sur un autre projet envisagé pour cette même période, celui de l’architecte Charles-François Viel (1745-1819) datant de 1776. Ce dernier publie sa proposition dans un petit ouvrage, l’accompagnant d’un plan et d’une élévation des bâtiments envisagés. Cette proposition se caractérise avant tout par une forte augmentation du terrain alloué au Jardin du Roi, alors qu’en 1776 Buffon n’a pas encore effectué les achats et échanges qui étendent le Jardin jusqu’à son extrémité Est, la Seine. Viel propose également d’inverser la perspective existante depuis la création du Jardin, passant d’un axe Est-Ouest, avec comme point d’horizon le vieux Château, à un axe Ouest-Est dirigé vers la Seine.

Les changements importants que l’on retiendra de son projet, se rattachent surtout au bâtiment principal qu’il destine à accueillir les collections. Il s’agit en fait d’un tout nouvel édifice, le vieux Château ayant totalement disparu de son plan. L’organisation de ce nouveau Cabinet est à souligner, il prévoit qu’un « pareil Monument [doive] par son ordonnance

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Manuscrits et archives scientifiques du MNHN, Ms 1934 : Mémoire sur le Jardin du Roi rédigé par André Thouin, daté du 8 octobre 1788, p. 4 : « Cet homme de Génie vit d’un coup d’œil ce qui manquoit à l’établissement et conçoit dès lors le

projet de lui donner toute l’étendue qu’il devoir avoir pour être digne de son nom. Mais l’histoire naturelle étoit encore au berceau, il falloit la faire connoitre pour en inspirer le goût, il fallait la présenter avec tous ses charmes pour la faire aimer ; et c’est ce qu’il fit en publiant son immortel ouvrage le plus beau monumens qu’on ait élevé de notre tems, à la gloire des Sciences, et qui la fait nommer, à juste titre, Le Pline françois ».

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Yves François, « Notes pour l’histoire du Jardin des Plantes. Sur quelques projets d’aménagement du Jardin du Roi au temps de Buffon », dans Bulletin du Muséum national d’histoire naturelle, 2e série, Tome XXII, n° 6, 1950, p. 676.

94

Georges-Louis Leclerc de Buffon, Henri Nadault de Buffon, « Lettre de Buffon à Nicolas de Beaubois, le 7 mai 1783 », dans Œuvres complètes de Buffon, Tome 14, 1884-1886, p. 181.

intérieure & extérieure exciter & par sa magnificence annoncer le Temple de la Nature, & en être comme le sanctuaire »95. Cette appellation de « Temple de la Nature » n’est pas sans rappeler l’article consacré au Cabinet d’Histoire naturelle de l’Encyclopédie, rédigé par Denis Diderot. Ce dernier y évoque l’élévation « à la nature [d’]un temple qui fût digne d’elle »96

. On y retrouve ainsi la même idée, selon laquelle la conception de la nature constitue une source d’ordre, de beauté et d’émerveillement, qui plus est dans ce cadre du Jardin du Roi97

.

Dans l’ordonnancement des salles même ce rapprochement peut être fait entre les idées avancées par Diderot et celles de Viel, où plusieurs corps de bâtiments seraient reliés ensemble98. Plus précisément Viel explique que le Cabinet serait divisé selon un plan en T, en trois salles correspondant aux trois règnes de la nature99, chacune de 140 mètres sur 60 mètres100. Il prévoit en outre que « ces salles seroient éclairées par des jours qui, placés

au sommet des voûtes, offriroient le spectacle le plus imposant & le plus majestueux »101. Ces propositions sont particulièrement importantes à remarquer pour plusieurs raisons. D’une part le fait qu’elles entrent en lien avec d’autres, comme c’est le cas avec le souhait

95 Charles-François Viel, Projet d’un monument consacré à l’histoire naturelle dédié à Monsieur le comte de Buffon,

intendant du Jardin du Roi, de l’Académie Françoise, de celle des sciences, &c, 1779, p. 2.

96

Denis Diderot, Louis-Jean-Marie Daubenton, « Cabinet d’Histoire naturelle », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné

des sciences, des arts et des métiers, 1751, Tome second, p. 492.

97 Paul Holmquist, « Choix du chercheur : Paul Holmquist examine le traditionalisme de Viel », centre d’étude du Centre

Canadien d’Architecture, 2011, http://www.cca.qc.ca/fr/centre-d-etude/1578-choix-du-chercheur-paul-holmquist-examine-le- traditionalisme [7 mai 2014]

98

Denis Diderot, Louis-Jean-Marie Daubenton, op. cit., p. 492.

99

Charles-François Viel, op. cit., p. 6.

100

Philippe Taquet, « De l’évolution de ses Galeries de l’Évolution, Genèse d’un projet », dans La Grande Galerie du

Muséum présente : la Galerie de l’Évolution, Concepts et Évaluation, colloque international, 22-23 novembre 1990, p. 10.

101

Charles-François Viel, op. cit., p. 7.

Plan du Jardin des Plantes imaginé par Viel avec un Cabinet d’Histoire naturelle en T au centre.

VIEL Charles-François. Projet d’un monument consacré à

l’histoire naturelle, dédié à Monsieur le comte de Buffon, Intendant du Jardin du Roi, de l’Académie françoise, de celle des sciences, etc. 1779.

© Muséum national d'Histoire naturelle, Dist. RMN-Grand Palais. Image du MNHN, bibliothèque centrale / Anton Moret

Détail du Cabinet d’Histoire naturelle

exprimé par Diderot, témoigne de l’engouement existant autour du développement du Jardin durant cette seconde moitié du XVIIIe siècle. D’autre part, les concepts développés par Viel, sur l’ordonnancement en fonction des trois règnes de la nature, animal, végétal et minéral, ainsi que sur l’éclairage zénithal, sont des idées adoptées a posteriori par le Muséum et ont une résonnance particulière si l’on envisage l’histoire plus récente du Jardin des Plantes. En effet, le concept des trois règnes prime au début du XIXe siècle, où est réalisée la Galerie de Minéralogie aux côtés de l’ancienne Galerie de Zoologie et des Serres aussi nouvellement créées. L’éclairage zénithal proposé par Viel peut en outre se retrouver dans la Galerie de Minéralogie, ainsi que dans la nouvelle Galerie de Zoologie de 1889.

De plus, Viel exprime son avis sur les abords de son « Temple de la nature » et en particulier sur le Labyrinthe. Selon lui, le Jardin serait à même d’accueillir non seulement les collections « inanimées » dans le Cabinet donc, mais aussi, et c’est là la nouveauté, les « êtres

animés ». Il prévoit ainsi la réalisation d’une ménagerie en lieu et place du labyrinthe102. Comme précédemment, cette idée fait écho à la réalisation postérieure de la Ménagerie du Muséum national d’Histoire naturelle organisée à partir de 1794103

.

Cependant, il est à souligner que ces projets sont en définitive restés à cet état et que les transformations opérées au Jardin du Roi sont uniquement imputables à la volonté de Buffon. Ce dernier a en effet été amené à exprimer des doutes et même parfois des refus quant à certains projets. On peut citer celui de l’architecte Dufourny de Villiers, que Buffon évoque dans des termes peu élogieux104. Les raisons invoquées pour ces refus sont bien souvent fondées sur des questions d’ordre financier105

. Buffon explique par exemple, en réponse au projet de l’architecte de Beaubois que « c’est parce qu’il est grand [qu’il] n’ose en espérer

l’exécution. On sera certainement effrayé de la dépense, et on ne considérera pas assez les avantages qui résulteraient de cette belle entreprise »106.

102

Idem., p. 2 : « La montagne qui existe dans l’emplacement actuel, m’a présenté le lieu le plus favorable pour établir

une Ménagerie. C’est dans ses cavités que seroient ressemblés beaucoup d’animaux étrangers ; sur son sommet des volières y réuniroient les oiseaux des espèces les plus rares ; des canaux & des bassins y conserveroient quelques poissons inconnus dans nos contrées ».

103

Emma Chartreuse Spary, Le Jardin d’Utopie : l'histoire naturelle en France de l'Ancien régime à la Révolution, 2005, p. 259.

104

Georges-Louis Leclerc de Buffon, Henri Nadault de Buffon, « Lettre de Buffon à André Thouin, le 4 août 1784 », dans Œuvres complètes de Buffon, Tome 14, 1884-1886, p. 243 : « Je vous prie de remettre ou faire remettre à M. Dufourny

de Villiers, architecte, la lettre ci-jointe, afin qu’il ne m’importune plus de ses beaux projets auxquels il n’est pas possible de penser surtout actuellement et auxquels même je ne dois concourir dans aucun temps ».

105

Yves François, op. cit., p. 679.

106

Georges-Louis Leclerc de Buffon, Henri Nadault de Buffon, « Lettre de Buffon à Nicolas de Beaubois, le 7 mai 1783 », dans Œuvres complètes de Buffon, Tome 14, 1884-1886, p. 181.

Toutes ces questions gravitant autour de l’agrandissement du Jardin du Roi sont révélatrices de l’intérêt que plusieurs architectes ont développé à son égard et pour ses dépendances. Yves François y voit ainsi une « preuve de plus de l’importance acquise pour

l’établissement à cette époque et de son immense rayonnement parmi le grand public »107

.

« Et c’est sans doute un des premiers mérites de Buffon [que] d’avoir su développer ce large mouvement d’intérêt à l’égard du Jardin et du Cabinet, réalisant ainsi les conditions favorables à la création prochaine du Muséum »108.