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Section 2 : Négociation coopérative et allocation du temps

2.1.2. Les principes du modèle de négociation de N ASH

Dans les modèles de négociation coopérative, les décisions du ménage sont modélisées à la manière d’un cartel où les partenaires s’entendent pour maximiser un objectif collectif, et mettent pour cela en commun leurs ressources au sein d’une contrainte de budget collective − c’est en ce sens qu’il y a coopération. Cette coopération est néanmoins contrainte par l’intérêt individuel, représenté par un « point de rupture », qui correspond au bénéfice minimum attendu par chaque partenaire de la coopération. La position de rupture constitue à ce titre une menace qui incite les partenaires à négocier puisque aucun d’eux n’acceptera une répartition du bien-être lui conférant un niveau de satisfaction inférieur à celui correspondant à sa position de rupture.

2.1.2.1. La rationalité collective comme cadre des rationalités individuelles

Le comportement est supposé coopératif, ce qui revient à subordonner la rationalité individuelle à une contrainte d’efficience collective. Aussi, la rationalité n’est-elle pas directement individuelle – bien que cohérente avec la rationalité individuelle – puisqu’elle ne se concrétise pas ici dans une décision individuelle (BOURGUIGNON, 1984 ; MOULIN, 1995). La rationalité

individuelle sert davantage de contrainte aux décisions familiales, dont le résultat doit satisfaire tous les individus. «

En ce sens, elle est comme chapeautée, prise en charge,

par une rationalité supérieure qui est collective

» (BROSSOLET, 1992, p. 70). Tout se passe

donc comme si, en supposant une coopération – qui n’exclut certes pas la négociation – on affirme la prééminence d’une « rationalité collective », qui n’est pas remise en cause tant que les rationalités individuelles sont satisfaites par le résultat de la négociation.

Les modèles de négociation utilisent pour la plupart la solution coopérative de NASH. Ce dernier montre en effet que sous les hypothèses − d’information parfaite et symétrique, de rationalité individuelle, d’existence de fonctions d’utilité cardinales, et d’existence d’un mécanisme exécutoire −, et sous un nombre restreint d’axiomes, y compris l’optimalité Paretienne qui traduit l’hypothèse de coopération, une solution unique peut être obtenue au problème de négociation (cf. encadré 2.1). Cette solution est celle qui maximise le produit des gains individuels de la coopération (cf. ci-après équation 2.6). Elle dépend de deux éléments : d’une part le critère d’efficience collective, ici la Pareto-optimalité, et d’autre part le processus suscitant la formation des points de menace.

Le modèle suppose ainsi que la négociation est encadrée par une volonté de coopérer qui restreint l’ensemble des issues possibles de la négociation aux solutions Pareto-efficaces, c’est-à- dire aux allocations du temps qui améliorent simultanément la situation des deux partenaires par rapport au point de rupture, de manière à ce que la coopération soit collectivement préférée. Mais l’issue de la négociation dépend en outre de la position des points de menace, qui permet de sélectionner une solution parmi le grand nombre des arrangements Pareto-optimaux possibles. On suppose alors que le niveau d’utilité perçu au terme de la négociation est croissant avec le niveau obtenu au point de rupture.

L’expression de la fonction objectif traduit très exactement la situation duale qui mêle coopération et conflit au sein des ménages : en tant que produit, la fonction objectif traduit l’intérêt d’une coopération qui lie les partenaires du ménage ; en tant que combinaison de deux gains individuels, elle traduit l’individualité des comportements, potentiellement conflictuelle. La fonction objectif du ménage permettant d’obtenir la solution de Nash s’écrit ainsi :

    α     α = U (x) V (p ,I , ) U (x) V (p ,I , ) N Max f f f f 0 f m m m m 0 m (2.6) sous contrainte : wmLm +wfLf +Im +If ≤(wm +wf)T (2.7)

où Ui = m,f désigne l’utilité de chaque partenaire lorsque ceux-ci coopèrent, et V0 i= m,f

le niveau d’utilité individuelle atteint au point de menace, c’est-à-dire en cas de non coopération. Tout le pouvoir est donc ici donné par la situation donnée au point de menace, la part de ressource obtenue par chaque conjoint étant identique si leur position de menace est aussi semblable55. La situation du point de menace dépend d’un ensemble de variables qui affectent le niveau d’utilité

atteint lorsque les partenaires ne coopèrent pas : pm,f représente l’ensemble des prix affectant les

choix de chaque partenaire, Im,f désigne le niveau de revenu individuel, et αm,f désigne un

ensemble de variables externes affectant la situation du point de menace. Il peut s’agir de variables aussi diverses que celle représentant l’état du marché du mariage que de facteurs institutionnels ou de l’influence de normes sociales.

Le cadre ainsi esquissé se montre particulièrement prometteur pour analyser les décisions d’allocation du temps des ménages. L’objectif est d’examiner dans quelle mesure une négociation coopérative entre les conjoints en présence d’intérêts conflictuels sur les choix de production du bien-être du ménage infléchit les prédictions du modèle de BECKER (MANSER, BROWN, 1980 ; MCELROY, HORNEY, 1981 ; BROSSOLET, 1992).

Encadré 2.1 :

Les axiomes de la solution de NASH au problème de négociation

Axiome 1 : L’ensemble de marchandage respecte les rationalités individuelles et le critère de Pareto-efficience :

(i) La solution coopérative doit être individuellement rationnelle, c’est-à-dire que le paiement qu’y trouve chaque joueur doit être supérieur ou égal à celui qu’il recevrait si aucun accord n’était conclu.

(ii) La solution respecte le critère de rationalité jointe qu’est la Pareto-efficience : les joueurs ne sélectionneront pas une issue s’il existe au sein de l’ensemble de marchandage une autre issue qui leur est simultanément plus favorable.

Axiome 2 : La solution doit être invariante à des transformations affines positives des fonctions d’utilité. Cet axiome assure que la solution n’est pas modifiée si la façon de mesurer l’échelle des préférences d’au moins un des partenaires est transformée. Autrement dit, le résultat final ne dépend pas de la manière dont les échelles d’utilité des joueurs sont étalonnées.

Axiome 3 : La solution est indépendante des alternatives non efficientes. Cet axiome énonce que l’élimination de certaines alternatives appartenant à l’ensemble des issues possibles, autre que le point de statu

quo, et qui n’auraient pas été choisies, ne modifie pas la solution. Autrement dit, si les joueurs se mettent parfois d’accord sur le couple de paiements s lorsque le couple t est réalisable, alors ils ne se mettront jamais d’accord sur t si s est possible. Si l’ensemble de négociation est plus grand dans un premier jeu que dans lun deuxième, alors la solution du premier accorde au moins autant de gains aux membres que celle du deuxième.

Axiome 4 : La solution est symétrique si les deux joueurs ont exactement les mêmes ensembles de stratégies possibles et le même pouvoir de négociation. Aussi, si les menaces sont identiques, alors les paiements le sont. Cette symétrie en termes de paiement n’implique toutefois aucune symétrie en termes d’utilité. Si le même paiement n’a pas pour les deux joueurs la même utilité, alors il apparaîtra qu’un des partenaires a été favorisé.

Le théorème de NASH indique qu’il existe une seule fonction solution qui satisfasse les axiomes 1 à 4. La

solution de NASH peut être généralisée au cas où les situations des partenaires ne sont pas symétriques. Dans ce

cas, elle respecte les trois premiers axiomes, et est alors donnée comme solution au produit de NASH :

β α −d ) (x d ) x ( Max f f m m x (2.8)

où di=f,m représente le gain obtenu au point de rupture et α et βdésignent le pouvoir de marchandage

respectif des partenaires : α+β=1(BINMORE, 1999). La solution de marchandage symétrique s’obtient comme

cas particulier de la solution généralisée, lorsque les pouvoirs de marchandage sont

2 1 = β = α .

2.2. Le modèle d’allocation du temps des ménages

Quelle est alors la valeur ajoutée de l’analyse des modèles de négociation coopérative pour étudier l’allocation du temps des ménages ? Nous avons choisi, pour répondre à cette question, de présenter le modèle proposé par BROSSOLET (1992), qui s’inscrit dans la continuité la plus directe

des modèles présentés dans notre premier chapitre. L’avantage de ce modèle par rapport aux modèles fondateurs (comme celui de MCELROY et HORNEY, 1981) est d’introduire de façon explicite la production domestique comme argument de la décision d’allocation du temps des ménages. Le modèle met alors en évidence les conséquences d’une coopération conflictuelle sur la répartition des ressources et sur l’organisation du travail des ménages.

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