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Section 4 : Limites de la division du travail comme fondement de l’organisation des ménages

4.1. Des résultats empiriques mitigés

4.1.1. Un cadre globalement cohérent avec les évolutions de la division du travail et de

l’offre de travail des femmes

A première vue, l’observation des comportements d’offre de travail des femmes et de division du travail au sein des ménages suggère une assez grande vraisemblance du schéma explicatif des modèles d’allocation du temps. La présentation de quelques comportements observés en France permet d’étayer ce constat a priori plutôt favorable. Tout d’abord, la contribution très largement dominante des femmes dans la production domestique − près de 80% − semble pouvoir être expliquée par un avantage comparatif résultant d’un niveau de salaire très inférieur à celui perçu par le conjoint masculin. Le salaire moyen des femmes travaillant à temps complet est en effet égal, en 1996, à 82% du salaire masculin24 (G

LAUDE, 1999). Un certain degré de substituabilité

entre travail domestique et travail marchand est par ailleurs suggéré puisque le volume de travail domestique apparaît nettement plus élevé parmi les femmes (vivant en couple) inactives ou travaillant à temps partiel25. La répartition du travail domestique entre les conjoints dépend dans

ce cas de leur volume de travail professionnel et de la présence d’enfant(s). Ainsi, on observe une durée du travail domestique du partenaire masculin réduite d’environ 20-25 minutes lorsque sa conjointe est inactive par rapport au cas où elle est active à temps plein, comme si une répartition du travail était effectivement décidée, fondée sur une substitution des temps des conjoints. A l’inverse, dans les rares cas où l’homme travaille à temps partiel, le volume de travail domestique de la femme est réduit de 30 à 45 minutes par jour lorsqu’elle est employée, par rapport au cas où elle est inactive.

La présence d’enfant(s) suscite une spécialisation des partenaires. Elle apparaît liée à un accroissement significatif du travail domestique féminin (de plus d’une heure par jour), la durée moyenne du travail marchand étant réduite de plus d’une heure par semaine en présence d’un enfant, et de 4h30 en présence de quatre enfants et plus (FERMANIAN, LAGARDE, 1999).

24 Nous rapprochons l’écart de salaire moyen de la notion d’avantage comparatif au sein des ménages avec prudence, puisqu’il ne s’agit pas ici d’une estimation du différentiel de salaire entre hommes et femmes appartenant à un même ménage. On suppose par ailleurs que le différentiel de salaire homme-femme est une bonne approximation de l’avantage comparatif, l’écart des productivités domestiques étant probablement moins important.

25 La durée du travail domestique féminin atteint ainsi en moyenne près de 4h30 par jour pour l’ensemble de la population, 6 heures lorsque la femme est inactive, alors qu’elle est de 3h30 lorsqu’elle travaille à temps plein et d’un peu plus de 4 heures lorsqu’elle travaille à temps partiel.

L’homme a, lui, tendance à accroître son engagement professionnel d’environ une demi-heure par enfant supplémentaire, tandis que l’accroissement de son travail domestique est nettement plus faible que celui observé au sein de la population féminine26. G

LAUDE (1999, p. 95) estime alors qu’« au total, l’étude des horaires de travail des couples dont l’homme est actif salarié confirme bien l’hypothèse

d’un changement de comportement dû à la présence d’enfant(s) dans le sens d’une spécialisation des rôles ; l’homme assurant davantage son rôle de « gagne-pain », et la charge de conciliation « vie professionnelle-vie familiale » reposant sur la femme ».

Le montant total des revenus monétaires du couple ne semble en revanche pas jouer systématiquement sur les temps de travail domestique des deux conjoints. Le seul effet significatif est observé parmi les femmes travaillant à temps partiel, pour lesquelles le volume du travail domestique décroît fortement lorsque le revenu du ménage s’accroît, « comme si les arbitrages effectués

pour décider de travailler à temps partiel avaient bien pris en compte d’autres paramètres comme le temps de travail domestique et les substituts marchands » (GLAUDE, 1999, p. 87).

Enfin, les modèles d’allocation du temps paraissent assez bien rendre compte de l’évolution des comportements d’offre féminine de travail à travers les générations, puisque la croissance du taux moyen d’activité des femmes (âgées de 25 à 49 ans) de moins de 50% en 1969 à près de 80% en 1996, semble avoir pris appui sur une forte réduction de l’écart des salaires entre hommes et femmes, passant de 64% en 1960 pour les femmes travaillant à temps complet à 82% en 1996. Cette évolution est alors tout à fait cohérente avec l’observation d’une réduction de la division du travail parmi les générations les plus récentes, suscitée par un accroissement de la participation des hommes et un relatif désengagement des femmes de l’univers domestique.

Les prédictions des modèles d’allocation du temps paraissent ainsi assez cohérentes avec la forte croissance de la participation des femmes au travail marchand et la réduction de la division du travail. La diversité des interactions observées dans les ménages apparaît cependant plus grande que celle qui peut être expliquée par un différentiel de salaire entre les conjoints. Différents facteurs sociaux, reflétant le statut ou les représentations sociales des individus − et dont l’influence ne transite pas par les niveaux de salaire − influencent parfois davantage les comportements.

26 L’effet de la présence d’enfant(s) sur l’offre masculine de travail est en réalité plus complexe, et très dépendant de la catégorie socio-professionnelle. Ainsi, FERMANIAN et LAGARDE (1999) estiment que, globalement, aucun effet n’est perceptible, du fait de l’impossibilité pour les salariés de modifier leur durée du travail. Toutefois, dans les catégories de travailleurs comme les cadres ou les professions intermédiaires, qui ont la possibilité de moduler leur durée du travail, les auteurs observent que celle-ci est très légèrement réduite en présence de jeunes enfants si la situation professionnelle des conjoints est identique, alors qu’elle est accrue lorsque l’homme dispose d’une situation professionnelle supérieure à celle de sa conjointe.

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