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Section 2 : La division sexuelle du travail comme organisation efficiente de la production des ménages

2. Les effets d’une variation des revenus sur l’allocation du temps

2.1.3. L’altruisme du chef de famille assure la coopération au sein du ménage

L’analyse de BECKER (1974, 1981) a pour objectif de montrer comment le chef de famille, principal contrôleur du bien-être de l’ensemble des membres, peut générer un comportement coopératif autour d’un objectif collectif. Il suffit, selon lui, de supposer que le chef de famille est suffisamment bienveillant vis-à-vis de ses partenaires, c’est-à-dire que son utilité est affectée positivement par la consommation de l’ensemble des membres du ménage, sur laquelle il peut agir par des transferts de revenus. BECKER montre alors que, sous certaines conditions, cet

« altruisme » du chef de famille suffit à obtenir et à préserver rationnellement la coopération des autres membres de la famille, même s’ils se comportent de façon strictement égoïste. Le théorème de l’enfant gâté établit en effet que, même si les partenaires n’éprouvent aucune satisfaction directe à l’accroissement du bien-être des autres − autrement dit, même s’ils sont parfaitement égoïstes − chacun a intérêt à ce que l’utilité des autres atteigne un niveau minimal, de façon à bénéficier du maximum de transfert de revenu provenant du chef de famille. Si le niveau de consommation des (n-1) autres partenaires est trop bas, il est alors probable que le chef de famille privilégie les transferts de revenu en leur faveur, au détriment du nième partenaire. Il suffit

donc qu’un des membres du ménage (le chef) veille suffisamment à transférer ses ressources aux autres membres, pour que le ménage agisse comme s’il maximisait la fonction de préférence du

13 L’hypothèse de l’altruisme du chef de famille ne constitue pas la seule tentative de justification de l’existence d’un objectif collectif au ménage. On trouve, en particulier, l’hypothèse du consensus familial, développée par SAMUELSON

(1956). Selon cette hypothèse, les membres de la famille parviennent à un compromis autour d’un objectif collectif, que chacun respecte en maximisant sa propre fonction d’utilité sous contrainte de maximisation de l’utilité du groupe. Il est alors toujours possible de trouver un transfert de revenu entre les membres qui maximise le bien-être collectif. La famille apparaît ainsi comme un moyen d’ordonner les préférences entre les membres, mais aucune description de la procédure permettant d’obtenir le consensus n’est proposée ; les conditions de cohérence entre les préférences individuelles et l’objectif établi au niveau collectif ne sont pas explicitées (POLLAK, 1985). La tentative de construire une utilité familiale à partir des préférences individuelles se heurte aux théorèmes d’ARROW (1951) et de

BLACK (1958) qui établissent l’impossibilité d’agréger les préférences des membres en une relation de préférence familiale, même à partir d’un nombre limité d’axiomes de cohérence de la procédure de choix. De plus, la probabilité qu’une décision familiale soit cohérente avec les préférences individuelles dépend négativement d’une part, du nombre de ses membres et, d’autre part, du nombre d’alternatives possibles (cf. notamment FERRIER, 1995).

chef, même si les préférences des autres membres sont assez différentes, les transferts entre les membres éliminant le conflit entre les fonctions d’utilité des différents membres. L’altruisme du chef de famille suscite donc une convergence des intérêts autour de ses propres préférences et rend possible un équilibre socialement satisfaisant au sein des ménages.

L’argumentation de BECKER met ainsi en évidence les conditions du partage de la production nécessaires à la cohérence des intérêts des différents membres du ménage. Sa validité est néanmoins restreinte, comme nous le verrons dans la quatrième section de ce chapitre, car elle implique des conditions très restrictives. En particulier, sous couvert d’altruisme du chef de famille, c’est un processus de négociation totalement autoritaire qui permet en fait d’engendrer une communauté d’intérêts. On acceptera néanmoins dans un premier temps une telle représentation du comportement des ménages afin de considérer, avec BECKER, les conséquences de la coopération des partenaires sur l’organisation de leur production.

Encadré 1.4 :

Le théorème de l’enfant gâté : une explication de la coopération au sein des ménages (BECKER, 1991)

Le théorème de l'enfant gâté énonce que toute personne appartenant à un groupe, dont le bien-être dépend des transferts assurés par un chef altruiste, est incitée à maximiser le revenu total du groupe. Cette propriété tient au fait que chaque bénéficiaire internalise les effets externes de son comportement sur les autres membres, en anticipant leurs conséquences sur les transferts qui lui seront adressés par le chef de famille. BECKER (1991, p. 288) propose l’énoncé suivant : « chaque bénéficiaire, aussi égoïste soit-il, maximise le, revenu familial

de son bienfaiteur et internalise tous les effets de ses actions sur les autres bénéficiaires ».

La preuve de ce théorème est établie lorsque l’utilité du chef altruiste (h) dépend du niveau de consommation de chacun des membres i = 1, …, k de la famille :

Uh=U(Zh, Z1,,...,Zk) (1.31)

L’équation budgétaire s’exprimant sous la forme : Zh + ∑

= τ k

1

i i = Rh (1.32)

où τi désigne le transfert de revenu réalisé en direction de chaque membre i, Rh le revenu du chef de famille

et Zh son niveau de consommation. On suppose en outre que le prix de Z est fixé à l’unité.

Le principe est le suivant : le chef de famille contrôle le revenu du ménage et décide de sa répartition au cours d’une unique période. Si l’un des membres i≠ h agit de telle manière que cela accroît son propre revenu mais diminue plus fortement celui d’un autre, alors le revenu total du chef de famille sera diminué, et par conséquent le niveau des transferts obtenus de sa part. Le membre n’a alors aucun intérêt à agir de la sorte, mais préfère, bien qu’étant égoïste, maximiser le revenu familial et ce, même en l’absence de sanctions explicites.

Si les coûts de transaction liés aux transferts sont nuls, le niveau de consommation du membre i est donné par :

Zi= Ri + τi (1.33)

où Ri désigne son revenu individuel avant transfert

Zh+ ∑ = k 1 i Zi = Rh + ∑ = k 1 i Ri= Sh (1.34)

Sh représentant le revenu social du ménage.

Le comportement optimal du chef de famlle est alors donné par les conditions de premier ordre :

j i Z U Z U ∂ ∂ = ∂ ∂ pour i, j = h, 1,…,k (1.35)

A l’équilibre, l’altruiste reçoit la même utilité d’une petite augmentation de son propre revenu ou du revenu de chaque bénéficiaire. Alors, un membre dont les préférences sont égoïstes sera incité à maximiser le revenu collectif de façon à accroître les transferts réalisés en sa faveur. Il sera en outre incité à ne pas entreprendre d’actions néfastes vis-à-vis des autres membres – et donc d’agir comme un “enfant gâté” – car cela aurait pour conséquence d’accroître les transferts envers ces derniers et donc de réduire les montants transférés dans sa direction. Il peut même être tenté d’entreprendre certaines actions qui réduisent son propre revenu mais accroissent suffisament les revenus des autres membres, si les transferts qu’elles sucitent en sa direction sont suffisamment importants.

Ce résultat n’est toutefois vérifié que sous certaines conditions. HIRSCHLEIFER (1977) montre qu’il faut

supposer que le chef de famille choisit en dernier, car la maximisation de Zi passe par celle de Rh. Le processus

se déroule ainsi à la manière d’un jeu en deux étapes où les actions des membres i précèdent celle du membre h. Si la dernière action ne revient pas au chef altruiste, alors le bénéficiaire peut être incité à agir égoïstement lorsque le montant du transfert proposé par l’altruiste n’est pas suffisant. Cette situation n’étant pas satisfaisante pour ce dernier, un échange contractuel explicite peut permettre aux deux parties de se situer dans

la zone d’avantages mutuels (HIRSCHLEIFER, 1977).

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