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Section 4 : Limites de la division du travail comme fondement de l’organisation des ménages

4.1. Des résultats empiriques mitigés

4.1.2. Une explication incomplète de la diversité des interactions conjugales

La diffusion réelle de la division du travail entre conjoints doit tout d’abord être relativisée, dans la mesure où l’observation des durées du travail professionnel des couples fait apparaître une polarisation, entre des ménages composés de deux « grands travailleurs » et des ménages associant de « petits » travailleurs. Une estimation économétrique des volumes de travail offerts par les conjoints à partir de données françaises par FERMANIAN et LAGARDE (1999) met alors

davantage en évidence un effet d’entraînement entre les conjoints qu’un effet de substitution. En effet, l’estimation des équations simultanées des offres de travail révèle un effet positif de la durée du travail d’un des membres sur celle de son conjoint et ce, indépendamment des niveaux de salaire et de la catégorie socio-professionnelle de chacun27. L’effet est toutefois asymétrique, car si

la durée du travail masculin influence positivement celle de sa conjointe, la réciproque n’est pas toujours observée. De plus, l’effet d’entraînement est nettement réduit en présence de jeune(s) enfant(s).

Indépendamment de l’effet direct du niveau des salaires, le modèle fait également apparaître un effet positif de la position salariale relative au sein de la catégorie socio-professionnelle des individus sur leur offre de travail28. L’influence de variables sociales est ainsi montrée, à l’instar de

nombreuses études, qui mettent en avant l’incidence de la mobilité sociale, du niveau d’éducation ou les effets de l’adhésion à des normes sociales d’égalité.

• BLOSSFELD et al. (2001) s’intéressent aux liens entre la mobilité sociale du couple et les

comportements d’offre de travail, à partir de données allemandes. Leurs premiers résultats apparaissent d’abord cohérents avec la théorie des avantages comparatifs. Les auteurs observent ainsi que les femmes dotées d’un niveau d’éducation élevé interrompent moins souvent leur carrière à l’arrivée d’un enfant et retournent plus souvent sur le marché du travail, ceci conformément aux théories du capital humain. De plus, l’élévation du statut du mari encourage le retrait de sa femme du marché du travail.

27 La prise en compte de la catégorie socio-professionnelle permet de contrôler les effets de structure des durées du travail, puisque des durées relativement élevées caractérisent généralement les cadres ou les professions intermédiaires, à l’opposé des enseignants, professionnels de l’information, des arts et spectacles ou des employés de commerce. Notons que les auteurs observent toutefois une corrélation négative entre les résidus des deux équations, qui semble indiquer l’omission de facteurs incitant à une substitution entre les partenaires.

28 Les auteurs estiment en fait deux modèles. Dans le premier, seul le niveau de salaire net des conjoints intervient dans chaque équation, en plus de la durée du travail du partenaire, du revenu non salarial et d’un ensemble de variables reflétant la position sociale. Dans un deuxième modèle, plus original, les auteurs introduisent la catégorie socio-professionnelle comme variable de contrôle, ainsi qu’une variable indicatrice de la place relative des individus dans l’échelle salariale de la catégorie. L’estimation fait alors toujours apparaître des effets d’entraînement entre les conjoints, indépendants des niveaux de salaire, mais plus faibles que dans le premier modèle. L’effet du niveau de revenu du conjoint n’est par ailleurs plus significatif.

Mais le résultat le plus original de leur étude met en évidence un lien étroit entre l’ascension sociale du couple et le retrait des femmes du marché du travail et ce, indépendamment des avantages comparatifs et des potentiels de gain des conjoints. Les auteurs observent ainsi que l’ascension sociale du mari exerce une influence négative sur l’offre féminine de travail, plus déterminante encore que l’origine sociale de la femme. Les modèles de famille très traditionnels, avec une forte spécialisation du mari sur le marché du travail et de la femme dans la sphère domestique, sont ainsi observés parmi les ménages où le mari est originaire d’une classe sociale basse, expérimente une mobilité professionnelle ascendante, et se marie (ensuite) à une femme à plus faible potentiel de carrière. Aussi, l’investissement professionnel du mari devant assurer l’ascension sociale du couple semble-t-il s’appuyer sur un repli des femmes vers le secteur domestique. Le comportement des couples paraît dans ce cas davantage dépendre de la trajectoire sociale de ses membres que de leur potentiel de gains et des avantages comparatifs initiaux.

• Bien que les études concernant la répartition du travail domestique soient plus rares, certains résultats suggèrent également une influence de facteurs sociaux sur la répartition des tâches, plus fondamentale encore que l’existence d’un écart de salaire entre les partenaires.

Une étude sur données britanniques, menée par DAVIES et al. (1998), suggère ainsi que la seule

variable influençant significativement le partage du travail domestique est le niveau d’éducation. Les auteurs estiment en effet que la répartition du travail domestique est plus égalitaire parmi les couples dont les deux partenaires sont dotés d’un niveau d’éducation supérieur, et ce, indépendamment de leur salaire relatif.

• L’influence d’un capital culturel est également mise en évidence par SIEGERS et VAN DER LIPPE

(1994) lorsqu’ils envisagent les effets d’une adhésion à des normes sociales d’égalité sur la division du travail. Ces auteurs montrent que le temps de travail marchand des femmes peut être mieux expliqué lorsqu’est pris en compte, en plus des salaires relatifs, le fait que les conjoints souscrivent à des normes égalitaires. Le modèle signale ainsi un effet positif particulièrement significatif des principes d’égalité sur la durée du travail marchand des femmes. Aucun effet significatif n’est en revanche estimé sur la répartition du travail domestique29. On en déduit que ce

n’est pas tant une substitution des partenaires en matière de travail marchand et domestique qui est observé, que l’existence d’une adhésion variable au travail féminin.

29 Aucune interaction entre les normes égalitaires et le taux de salaire potentiel des femmes n’est significative sur leur durée de travail marchand. En revanche, l’adhésion à des « normes conservatrices » a une influence d’autant plus importante sur le travail domestique que le taux de salaire relatif féminin est faible (alors qu’il n’est pas significatif pour le travail marchand) : une attitude conservatrice renforce l’effet d’un différentiel de salaire défavorable au partenaire féminin.

Ces résultats empiriques montrent que les effets des avantages comparatifs sur la division du travail doivent être relativisés. Le fondement même de la division du travail au sein des ménages peut alors paraître fragilisé, et ce d’autant plus que celle-ci ne semble pas offrir une justification satisfaisante du mariage.

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