• Aucun résultat trouvé

PORTEE ET LIMITE DES MODELES D’OFFRE DE TRAVAIL DANS LA COMPREHENSION DES RELATIONS

Section 1 : Les développements du modèle standard d’offre de travail

1.3. L’offre de travail comme décision intertemporelle

Jusqu’à présent, nous avons considéré des modèles d’offre de travail statiques. Une approche dynamique semble pourtant nécessaire, pour au moins deux raisons. D’une part, les estimations de l’élasticité de l’offre de travail produisent des résultats variables qui, loin d’être consensuels, contredisent parfois ouvertement les prédictions théoriques du cadre statique ; certaines estimations non contraintes concluent en effet à des élasticités de substitution négatives

(KILLINGSWORTH, 1983 ; BROWNING et al., 1985). D’autre part, la durée observée du travail sur le

cycle de vie des individus ne coïncide pas avec l’évolution des gains salariaux (CARD, 1994). Considérer simplement l’évolution des comportements comme une succession de décisions de court terme apparaît alors nettement insuffisant.

L’hypothèse avancée pour dépasser ces limites est que l’offre de travail résulte d’une combinaison de décisions intra et intertemporelles, réalisées par un arbitrage en deux temps. Les individus procèdent à une répartition de leur richesse sur le cycle de vie, avant même d’optimiser leur allocation de ressources sur une période donnée. La faiblesse (voire la négativité) des élasticités de substitution est alors expliquée par la confusion entre ces étapes, l’effet intertemporel réduisant fortement la substitution intra-temporelle induite par une différence de salaire à une période donnée.

Le passage à la dynamique fait apparaître l’existence d’une dépendance temporelle des décisions d’offre de travail, que nous illustrerons par la discussion de deux effets de l’expérience sur le marché du travail :

(1) Celui induit par l’expérience sur la formation de capital humain, et donc sur l’évolution des salaires : la perspective d’une « rente dynamique » de la participation à l’emploi, totalement ignorée dans un cadre statique, devient dans ce cas un élément central des décisions.

(2) L’effet induit sur l’utilité marginale du travail, c’est-à-dire sur l’évolution des préférences.

1.3.1. Le modèle standard avec utilités fortement séparables

Le modèle dynamique introduit par HECKMAN (1974, 1976) suppose des utilités fortement séparables : la séparabilité intra-temporelle entre les niveaux de consommation et de loisir est ici doublée d’une hypothèse de séparabilité intertemporelle des préférences85. L’optimisation du comportement conduit dans un premier temps à répartir les ressources à travers le cycle de vie de

85 On suppose alors que les préférences sont additives simultanément sur les périodes et sur les états de la nature, ce qui implique, en environnement incertain : (i) que l’ordre établi pour chaque état de la nature entre les demandes des différentes périodes est indépendant de la période considérée ; (ii) que le classement des options conditionnelles aux états de la nature effectué à une période donnée est indépendant de l’ordre établi à une autre période. Cette hypothèse est toutefois levée, nous le verrons, par les modèles qui considèrent des préférences intertemporelles non séparables.

façon à égaliser l’utilité marginale de la richesse de chaque période86. Cette allocation réalisée,

l’individu peut ensuite déterminer ses niveaux de consommation et d’offre de travail pour chaque période qui, étant donnée la séparabilité, dépendent uniquement de leurs arguments courants (cf. encadré 3.4).

Encadré 3.3 :

Le modèle dynamique d’offre de travail

On considère que l’utilité U de chaque période est une fonction concave des biens consommés (Ct) et des heures travaillées (Ht) de la période. Les individus ont pour objectif de maximiser leur espérance d’utilité intertemporelle qui, en raison de l’hypothèse de forte séparabilité, peut être représentée comme une fonction additive du temps. Les décisions sont supposées parfaitement flexibles, l’individu ayant la possibilité de réviser, à chaque période, son plan d’allocation en prenant en considération l’arrivée d’une information nouvelle selon le principe bayésien :

[

]

∑ = − + + N 1 t t t t t t t t t t t t 0 U ,..., UMax0 nU (C ,H ,A , ) (1 ) E U (C ,H ,A , ) ξ ρ ξ (3.4)

sous la contrainte intertemporelle de budget : ∑

= − + + N 0 t t t t t t 0 (1 r) (w H p C ) K (3.5) t

E est l’opérateur d’espérance conditionnelle à l’information disponible en t, ρ le taux de préférence pour le présent, supposé constant, N le nombre de périodes du cycle de vie, K l’ensemble des ressources initiales et r le 0 taux d’intérêt, également supposé constant.

Le programme est résolu par programmation dynamique.

(1) Les conditions d’optimalité intra-période pour la consommation et la demande de loisir sont données par :

t t t t p C U =λ ∂ ∂ pour t =0,...,N (3.6)

où λt désigne l’utilité marginale de la richesse à l’optimum, c’est-à-dire l’espérance d’utilité induite par l’accroissement d’une unité des ressources courantes87.

t t t t w H U λ ∂ ∂ − pour t=0,...,N (3.7)

Si l’inégalité est stricte, l’individu ne travaille pas à la période t ; l’offre de travail est en revanche positive en cas d’égalité. Le comportement d’une période donnée dépend des comportements aux autres périodes uniquement à travers la valeur de l’utilité marginale de la richesse, ce qui permet de définir des fonctions de demande qui ne dépendent que des valeurs courantes des paramètres.

Les équations (3.6) et (3.7) sont intégrées dans la contrainte de budget, ce qui permet de déterminer les demandes de FRISH – c’est-à-dire les demandes garantissant une utilité marginale des ressources constante88 :

) , A , w , p ( C Ct = λt t λt t tξt pour t = 0,…, N (3.8) ) , A , w , p ( H Ht = λt t λt t t ξt pour t = 0,…, N (3.9)

86 Et non pas à égaliser les niveaux absolus d’utilités de l’ensemble des périodes, comme le prédisent par exemple les modèles de revenu permanent.

87 L’utilité marginale de la richesse dépend ainsi de l’histoire des individus mais aussi des valeurs anticipées des paramètres futurs.

88 Ces demandes de FRISCH décrivent les variations évolutionnaires de comportement, c’est-à-dire l’évolution de l’offre de travail sur le cycle de vie d’un individu donné, à condition que l’allocation intertemporelle ne soit pas modifiée (λ-constant). Cette évolution est à distinguer de celle induite par une variation paramétrique de la contrainte de budget (identifiée par ∆λ0) qui génère des variations d’allocation intertemporelle et, par suite, des trajets évolutionnaires différents, et qui permet de comparer les comportements de deux individus soumis à des contraintes de budget différentes (HECKMAN, KILLINGSWORTH, 1986).

(2) La condition d’optimalité intertemporelle est donnée par la condition d’Euler portant sur l’utilité marginale

de la richesse : λt =(1+ρ)−1Et

[

(1+r)λt+1

]

(3.10)

Qui, en l’absence de contrainte de liquidité, s’écrit :

[ ]

t 1 t t E r 1 1 + =       + +ρ λ λ (3.11)

A chaque période, l’individu révise son comportement selon l’information nouvellement acquise, de façon à maintenir la valeur de l’utilité marginale de la richesse constante. Le comportement d’épargne et, par suite, les comportements de consommation et d’offre de travail sont alors modifiés de façon à tenir compte non seulement des erreurs de prévision qui sont révélées de période en période, mais aussi de l’information nouvelle sur la valeur des utilités futures.

La condition d’optimalité intertemporelle suggère donc un comportement d’offre de travail simple face à l’incertitude. Tout se passe comme si l’individu établit, à la première période, un plan a priori de comportement concernant l’ensemble du cycle de vie, fondée sur une valeur λ0 de l’utilité marginale de la richesse, estimée à partir de l’information disponible à cette période. L’acquisition continue d’information conduit ensuite l’individu à réviser ses plans d’allocation de façon séquentielle, via l’utilité marginale de la richesse, et à s’écarter progressivement de la trajectoire préalablement établie (MACURDY, 1985).

Si les salaires, les prix futurs et le taux d’intérêt sont connus avec certitude à la première période, le sentier λt est constant, et le comportement suit une trajectoire parfaitement définie dès le début du cycle de vie. L’évolution de l’offre de travail coïncide alors parfaitement, en l’absence de variation de goût, avec celle du niveau de salaire.

1.3.2. Elasticité de substitution intertemporelle et variation de l’utilité marginale de la richesse

Les comportements ainsi redéfinis se prêtent à une estimation empirique simple, où l’offre de travail d’un individu i à une période donnée peut être décomposée en termes additifs :

it it it it a logw log H log = +

η

+

δ

λ

(3.12)

où • η désigne l’élasticité de substitution intertemporelle (ou élasticité de FRISH), à utilité

marginale de la richesse constante. Cette élasticité est en théorie inférieure aux élasticités

compensée et non-compensée du modèle statique89 (M

ACURDY, 1981 ; BROWNING et al., 1985).

Précisons que, en cas de parfaite certitude, l’individu ne connaît que des variations évolutionnaires de comportement au cours de sa vie, dont l’élasticité intertemporelle est une parfaite mesure.

89 Une variation exogène de salaire produit ici deux effets : un effet de substitution intra-temporel, à utilité marginale de la richesse constante, positif sur l’offre de travail, et un effet intertemporel, résultant d’une variation induite de l’utilité marginale de la richesse, négatif sur l’offre de travail. Ce dernier signifie qu’un salaire plus élevé implique une moins grande sensibilité à une augmentation de richesse. Il sera alors d’autant plus important que les salaires d’une période sur l’autre sont corrélés positivement (HECKMAN, KILLINGSWORTH, 1986). Comme il affecte l’ensemble des périodes, il permet en outre d’expliquer pourquoi le profil de l’offre de travail sur le cycle de vie ne coïncide pas toujours strictement avec les fluctuations du salaire observées à chaque période.

• En présence d’erreurs de prévision, une variation de l’utilité marginale de la richesse entraîne une adaptation du plan d’allocation intertemporel. δ mesure l’élasticité de l’offre de travail par rapport à cette variation. Elle est généralement positive, si le loisir est un bien normal.

L’offre de travail ainsi décomposée se prête à une estimation assez simple. La plupart des travaux menés dans les années 70 et au début des années 80 considère l’effet induit par la variation de λit

comme une nuisance (un effet fixe) et l’élimine par la méthode des variables instrumentales. Toutefois, la seule élasticité de FRISH (η) est une statistique insuffisante pour expliquer les effets

d’une variation de salaire net sur l’offre de travail puisqu’elle ignore la variation non anticipée de la richesse qui est alors induite – estimée par δ (BLUNDELL, MACURDY, 1999).

1.2.3. Les effets de l’expérience : accumulation de capital humain et évolution des préférences

Deux extensions principales visent à prendre en compte les effets endogènes de l’expérience : (1) Sur l’évolution des salaires, qui n’est alors plus posée comme un processus aléatoire ou

exogène.

(2) Sur les préférences individuelles, en considérant que l’expérience dans l’emploi peut engendrer la formation d’habitude ou d’autres formes d’hystérésis.

(1) Les effets de l’expérience de travail sur le stock de capital humain, et donc sur l’évolution des salaires, modifient partiellement le problème de décision d’offre de travail qui doit alors tenir compte de l’effet anticipé des décisions sur les rendements futurs du travail. Pour estimer le rendement du travail, il faut ajouter au salaire la « rente dynamique » suscitée par l’accumulation de capital humain. L’existence de cette rente peut infléchir considérablement les comportements féminins, en incitant par exemple à une participation continue au marché du travail afin d’accroître le rendement du travail futur ou d’éviter les effets néfastes d’une interruption d’emploi sur les salaires futurs.

Deux processus sont habituellement distingués pour rendre compte de l’accumulation de capital humain :

(i) Un processus « d’apprentissage par la pratique », dans lequel l’accumulation de capital humain résulte de l’apprentissage qui s’effectue par l’exercice de l’emploi ; on suppose dans ce cas que l’intensité de l’accumulation dépend du volume horaire de l’emploi exercé.

(ii) Un processus « d’investissement », où l’accumulation de capital humain résulte de

décisions d’investir en formation. Un individu peut choisir de « sacrifier » du bien- être présent, en investissant du temps en formation – et non en loisir et/ou en travail – dans la perspective d’un accroissement de bien-être futur.

(2) L’effet de l’expérience sur l’utilité marginale du travail est un autre effet intertemporel examiné par quelques travaux qui relâchent l’hypothèse de séparabilité intertemporelle des préférences. La relation intertemporelle attendue dépend du degré de substituabilité ou de complémentarité existant entre les quantités de loisir à des périodes différentes :

Si les quantités de loisir de deux périodes différentes sont fortement substituables, alors l’offre de travail d’une période donnée accroît la désutilité du travail futur, et l’on doit observer une relation négative entre les niveaux d’offre de travail des deux périodes. Ce sera par exemple le cas si l’accumulation de capital humain domestique affecte l’utilité marginale du temps non marchand.

Au contraire, si les quantités de loisir sont complémentaires, la relation entre les offres de travail des deux périodes est positive, ceteris paribus, illustrant la formation d’habitudes persistantes.

ECKSTEIN et WOLPIN (1989) et ALTUG et MILLER (1998) étudient de façon spécifique les effets

de l’expérience sur le comportement des femmes mariées. Ils observent que les femmes qui, à un âge donné, participent à l’emploi, ont plus de chance d’être présentes sur le marché du travail dans les années qui suivent. Deux effets coexistent. D’un côté l’expérience accroît la désutilité marginale du travail, ce qui induit une relation négative entre les décisions des différentes années. Toutefois, cette influence est plus que compensée par l’effet de l’expérience sur le niveau de salaire90. Au total, l’expérience semble exercer un effet positif sur l’offre de travail.

90 Il faut souligner la sensibilité des résultats obtenus à l’intervalle de temps qui sépare les observations des comportements. Ainsi, il apparaît que le suivi annuel des comportements provoque un effet de substitution entre les quantités de loisir des périodes successives – ALTUG et MILLER (1998) trouvant à cet égard un effet persistant des choix passés jusqu’à au moins trois périodes. Les variations de comportement observées sur des intervalles plus courts – par exemple d’un mois sur l’autre – suggèrent l’existence d’une relation opposée (EICHENBAUM, HANSEN, SINGLETON, 1988 ; MILLER, SANDERS, 1997). Tout se passe donc comme si, sur des intervalles de temps

La présence féminine dans l’emploi apparaît toutefois très fortement contrainte par la présence d’enfant(s). L’interaction emploi/enfant a donné lieu à une littérature extrêmement importante, que nous présentons dans la section suivante.

Section 2 : L’analyse économique de l’interaction emploi/enfant

L’effet de la présence d’enfant(s) sur l’offre féminine de travail a été évoqué au premier chapitre lorsque nous avons présenté les modèles d’allocation du temps. Leur perspective est toutefois apparue insuffisante pour trois raisons. D’abord, parce que, en considérant les dépenses financières et temporelles liées aux enfants comme des données exogènes, ils négligent les choix de production des soins aux enfants réalisés par les ménages. Les dépenses réalisées à cette fin sont en effet endogènes (2.1). Ensuite, parce que la prise en charge des enfants a des effets indirects de long terme sur l’offre de travail, via ses effets sur le stock de capital humain ou les contraintes sur le type d’emploi compatible avec la présence d’enfant(s) (2.2). Enfin, parce que le « coût » de la présence d’enfant(s) peut lui-même devenir l’argument d’un arbitrage entre procréation et offre de travail (2.3).

relativement courts, des comportements persistants semblent dominer, alors qu’à plus long terme ce sont les effets de compensation qui semblent dominants.

2.1. L’effet direct de la présence d’enfant(s) : entre contrainte et décision

Documents relatifs