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produire et de la façon de partager » (B ROSSOLET , 1992, p 69) − et qui se retrouve

2.2.3. Une formulation très restrictive du problème d’allocation du temps

Le résultat obtenu en appliquant la solution de NASH au problème d’allocation du temps

confirme donc l’efficience d’une division du travail qui vise à exploiter les avantages comparatifs détenus par chaque conjoint dans la production domestique. Ce résultat tient au caractère coopératif de la négociation qui s’effectue autour d’intérêts conflictuels concernant la répartition du surplus obtenu. Il est ainsi de l’intérêt de chacun de maximiser la production du ménage puisque chaque partenaire se trouve, au terme de la négociation, dans une position meilleure qu’en l’absence de division du travail. L’ambivalence du problème de négociation, où se mêlent

56 De ce point de vue, le modèle rejoint celui de BECKER (1973) – et il n’est pas étonnant qu’il aboutisse à des conclusions identiques. Toutefois, alors que, chez BECKER, le problème de la répartition du surplus est purement et simplement ignoré, il est résolu ici d’une manière simple qui consiste à postuler a priori que l’issue de cette négociation sera coopérative, chaque partenaire étant assuré d’obtenir in fine un bien-être plus important qu’en l’absence de division du travail.

des intérêts communs – ceux de maximiser la production du ménage – et des conflits – sur la répartition des gains – est ainsi supprimée par un processus parfaitement séquentiel, où la production s’effectue tout d’abord de façon parfaitement coopérative, tandis que le conflit n’intervient que dans un deuxième temps, lors de la répartition des gains obtenus. Aussi, comme le note BROSSOLET (1992,p.69), « la coopération conflictuelle circonscrit en fait le conflit sur

la question du partage, et la coopération à l’endroit de la production ». La négociation s’effectue ainsi uniquement sur la répartition des gains collectifs, et non sur les objectifs même de production. Cette définition de la négociation peut apparaître insatisfaisante à (au moins) deux titres :

1. L’existence de conflit entre les partenaires sur les choix de production du ménage est totalement ignorée, comme si ce choix ne comportait aucun enjeu. En prenant pour seul objectif de production un bien composite identique pour les partenaires, le modèle de BROSSOLET se trouve ici tout aussi critiquable que le modèle unitaire : il suppose en fait une

parfaite coïncidence des préférences des partenaires sur les choix de production du ménage, hypothèse totalement ad hoc puisque le problème d’agrégation des préférences n’est pas résolu (cf. chapitre 1).

2. Les liens entre le rôle dans l’organisation de la production du ménage et le partage des gains sont également ignorés, éliminant d’emblée toute incidence de la « façon de produire » sur la « façon de partager ». Cette hypothèse est tout à fait contestable, là encore à double titre :

(i) D’abord, la négociation s’effectue comme si le pouvoir acquis sur le partage de

la production est parfaitement indépendant de la fonction occupée dans le processus productif. Le modèle ne permet donc pas, dans sa formulation actuelle, de saisir les enjeux de « pouvoir » liés à la division du travail.

(ii)Inversement, la dichotomie établie entre la production et la répartition ignore

le lien conditionnel pouvant exister entre l’ensemble des contributions et celui des rétributions accordées en contrepartie aux partenaires (SEN, 1990). Cette ignorance est d’autant plus discutable que la subordination des rétributions aux contributions est très précisément un ressort de la coopération.

L’issue de la négociation dépend ainsi uniquement du pouvoir de négociation dont disposent les conjoints, sans qu’aucun critère de justice ne soit explicitement pris en compte : si l’un d’eux obtient plus que son utilité de réserve, c’est uniquement en raison de l’avantage en termes de pouvoir de négociation dont il bénéficie, et de sa capacité à porter atteinte au bien-être de son partenaire en divorçant. Aussi, tout facteur qui n’influence pas directement le bien-être des

conjoints en cas de divorce n’aura aucun effet sur l’issue de la négociation. Bien que collectivement efficiente, la solution peut pourtant apparaître comme injuste pour au moins l’un des deux partenaires, et la coopération se trouver fortement menacée. Il est alors difficile de se contenter d’une posture qui, en stigmatisant ainsi l’aspect conflictuel des relations conjugales, ignore les facteurs qui contribuent à la légitimité de la solution et cimentent la relation. La solution proposée pose selon nous deux types de problèmes.

(i) Le premier problème est celui de la stabilité de la solution, dont la « légitimité » provient exclusivement du rapport de pouvoir. Tout se passe comme si la solution était acceptée par les partenaires par défaut de pouvoir, la stabilité du rapport de pouvoir garantissant donc seule celle de la solution. Celle-ci semble dans ce cas particulièrement fragile, et même instable par nature dans la mesure où (a) on peut imaginer que les partenaires travailleront eux-mêmes à un changement de distribution du pouvoir, qui (b) en outre est directement affectée par les effets de long terme d’une division du travail – cf. l’extension ci-après. D’autres facteurs de légitimité qui forment le ciment de la relation et assurent la stabilité de la solution sont alors à rechercher.

(ii) Par ailleurs, la solution de NASH ignore les critères de justice ou d’équité qui peuvent modifier la solution – indépendamment de tout effet de pouvoir –, qui forment pourtant le ciment d’une relation conjugal stable. De ce point de vue, la solution de NASH peut apparaître trop restrictive en imposant un traitement symétrique des partenaires, et interdisant de ce fait toute asymétrie que l’empathie amoureuse ou les motivations d’ordre éthique sont susceptibles de produire57 (cf. notamment FERRIER, 1995). Certains y verront cependant un avantage dans la mesure où l’on évite alors toute hypothèse ad hoc sur l’échelle de comparaison des utilités des conjoints ou sur leurs dispositions altruistes (MYERSON, 1991).

57 La contrainte de « symétrie » associée à la solution de NASH ne doit pas être confondue avec un quelconque critère de justice. Elle implique en effet simplement que si les positions de menace des partenaires sont identiques, alors ceux-ci obtiennent un paiement identique à l’issue la négociation. Un paiement identique n’assure toutefois pas une utilité identique si les fonctions d’utilité des partenaires diffèrent. L’un d’eux peut alors se sentir floué, ou favorisé. L’absence de toute référence à toute forme d’intersubjectivité ou tout critère de justice est mise en évidence par le rapprochement effectué par HARSANYI (1956) entre la solution de NASH et le processus de négociation proposé quelque vingt cinq années auparavant par ZEUTHEN (1930). HARSANYI montre en effet que le principe de négociation décrit par ZEUTHEN atteint un point formellement identique à la solution de NASH. Le processus envisagé par ZEUTHEN ne fait alors intervenir que l’appât du gain et la réticence au conflit, qui influence le pouvoir de négociation des partenaires. HARSANYI montre que le principe de négociation décrit par ZEUTHEN,où les deux parties passent d’un arrangement à un autre converge vers la solution de NASH si et seulement si le pourcentage de

gains du gagnant est supérieur au pourcentage de perte du perdant. Le paiement reçu par un joueur sera d’autant plus important que (1) il acceptera de risquer le conflit et son adversaire l’acceptera moins, (2) le dommage qu’il peut causer à son adversaire est important, à un coût donné pour lui, et moins son adversaire pourra lui faire subir une perte, et (3) plus il est facile de transférer de l’utilité vers lui-même et moins dans l’autre sens (HARSANYI, 1977).

2.3. Enjeux de pouvoir et allocation du temps

La distribution du pouvoir de négociation joue, nous l’avons vu, un rôle central dans la détermination de la répartition des gains de la division du travail. La prise en compte des relations de pouvoir à travers le modèle d’allocation du temps présenté dans le paragraphe 1.1.2. peut cependant apparaître très insuffisante dans la mesure ou le pouvoir constitue l’enjeu stratégique principal de la division du travail (cf. paragraphe 1.3). Aussi, en dépit de leur attitude coopérative, les partenaires peuvent chercher à bénéficier au maximum de cette négociation en optimisant préalablement leur pouvoir de négociation (ENGLAND, FARKAS, 1986 ; BROSSOLET, 1992 ;

POLLAK, 1994 ; FERRIER, 1995). Les décisions de spécialiser le travail dépendent dans ce cas non seulement du surplus de production anticipé, mais aussi des effets attendus de telles décisions sur le pouvoir de négociation.

2.3.1. Négociation et enjeux de pouvoir

La prise en compte des rapports de pouvoir dans le modèle présenté au paragraphe précédent apparaît insuffisante pour deux raisons. D’une part, parce que ce rapport n’apparaît pas comme un enjeu de la négociation. L’état des pouvoirs est ainsi posé comme une donnée exogène au problème de négociation, sans que les partenaires n’aient à aucun moment, ni la possibilité, ni semble-t-il l’intention d’agir sur ce paramètre. Comme le souligne BROSSOLET (1992, p. 160), « tout se passe donc comme si la négociation arrivait par surprise, sans que l’un ou l’autre des joueurs ne l’aient

prévue ou préparée ». On peut y voir une certaine naïveté qui consiste à supposer que les conjoints se contentent de subir le pouvoir de leur partenaire, sans s’y préparer. Aussi certains auteurs suggèrent-ils que « l’action réelle » est autre part que dans ce qui est analysé dans le modèle de négociation, dans le jeu qui précède le jeu de négociation en lui-même (POLLAK, 1994). Le véritable enjeu de la négociation se situerait donc dans la lutte pour le

pouvoir qui précède la négociation elle-même (ENGLAND, FARKAS, 1986 ; FERRIER, 1995). D’autre part, le modèle statique ignore les effets endogènes des décisions d’allocation du temps sur le pouvoir. En posant le pouvoir comme une donnée exogène, on traite implicitement les investissements en capital humain réalisés par les partenaires comme des variables exogènes et sans conséquences sur leur pouvoir de négociation (POLLAK, 1994). Des

enjeux de pouvoir sont pourtant liés à ces investissements, dans la mesure où leur spécialisation dans les secteurs marchand ou domestique produit des effets irréversibles opposés sur le bien- être des partenaires en cas de divorce, et donc sur leur pouvoir respectif (POLLAK, 1985). Une

dynamisation du modèle de négociation permet de répondre, au moins en partie, à ces deux critiques.

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