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Le principe d’égalité formelle : Exemple de l’interdiction des statistiques ethniques en France

➢ Les mesures favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les organisations politiques et professionnelles

2. Le principe d’égalité formelle : Exemple de l’interdiction des statistiques ethniques en France

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel admettent des dérogations à l’identité de traitement selon des conditions très strictes qui néanmoins favorisent le principe de non-discrimination en ce qu’elles répriment des mesures défavorisant certaines catégories d’individus. Mais à l’inverse, cette formulation stricte fait barrière aux dispositions législatives se fondant sur des critères identifiés par les juges comme sources de distinction interdites même si ces dernières visent à réparer des situations discriminatoires ou d’inégalités. C’est le cas les mesures favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les instances politiques et professionnelles (a) et pour l’interdiction du recours aux statistiques ethniques.

Contrairement à la France, des pays comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada, le Brésil utilisent des statistiques dites « ethniques », considérées à priori comme un instrument de mesure pour améliorer la connaissance des phénomènes discriminatoires. Elles sont sujettes à de vives polémiques entre la volonté de préserver la culture universaliste française qui ne reconnait pas de communauté à l’intérieur de la République,

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et le souhait de visibiliser et mesurer les discriminations333. Pour mettre en évidence les situations de discriminations, la France privilégie plutôt les testings ou « tests de situation », et d’autres plus classiques, qu’il s’agisse d’enquêtes centrées sur les populations potentiellement discriminées ou d’enquêtes en population générale334. Ce sont cependant des outils que certains chercheurs et certaines associations jugent insuffisantes pour plusieurs raisons. S’agissant du testing, il est difficile de généraliser ses résultats. Les enquêtes dites classiques doivent obligatoirement porter sur le critère du pays et de la nationalité de naissance des parents, et pour cela, il s’avère impossible de prendre en compte la situation des petits-enfants d’immigrés et des générations suivantes, ni celle des personnes originaires des DOM-TOM, dont les expériences de discriminations sont pourtant exposées par les testings335. Une autre raison appuyant le caractère approximatif des deux outils est la nécessité de lutter contre les discriminations indirectes – qui ne peut être perçue qu’à travers ses effets négatifs confirmé après comparaison de la situation de personnes appartenant ou supposées appartenir à un groupe « ethnique ou racial », et celle d’un groupe de référence et/ou de promouvoir la diversité dans les entreprises.

Sans être strictement interdites en France, les statistiques ethniques sont marquées par une interdiction de principe, et leur usage fait l’objet d’un contrôle minutieux336. L’article 8-1 de la loi « Informatique et libertés » de janvier 1978 dispose qu’il est « interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci »337. Cette même loi est assortie d’exceptions dont l’appréciation est laissée à la discrétion du Conseil national de l’information statistique (CNIS) ou dela Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en fonction de la finalité de la collecte et d’autres critères dans les conditions fixées par l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Lesdites dérogations doivent poursuivre des buts très précis

333 DAGORN, Gary. La difficile utilisation des statistiques ethniques en France, [En ligne] 19 mars 2019, [Consulté le 24 mars 2020], Le Monde.

334 CUSSET, Yves. « La discrimination et les statistiques “ethniques” : éléments de débat », Informations sociales, vol. 148, no. 4, 2008, p. 109.

335 Op., cit.,. p. 110.

336Arrêt n° 890 du 13 juin 2018 (16-25.301) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2018:SO00890.

337 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés Version consolidée au 15 mai 2018. Journal Officiel.

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considérés comme légitimes : la défense de l’intérêt public, la protection des personnes. François HERAN explique que pour répondre aux critères légaux, les grandes enquêtes régulières de l’Insee et de l’Institut national d’études démographiques (INED), par exemple doivent remonter seulement d’une génération et peuvent demander le pays de naissance et la nationalité des parents des interrogés338.

Les réticences de la France pour l’utilisation des statistiques ethniques résident dans le fait qu’elle estime que ces dernières porteraient atteinte au modèle républicain qui se veut selon Danièle LOCHAK, « aveugle » aux origines339. Elles sont pourtant considérées par l’UE comme un dispositif de lutte contre les discriminations. La notion de discrimination indirecte a été introduite d’abord par l’action communautaire, puis en droit national et est fondamentalement liée à la statistique. Or comme nous l’avons déjà dit, « là réside une difficulté pour la France qui, selon les principes d’une doctrine républicaine, nie et invisibilise toute appartenance minoritaire »340.

Le Conseil constitutionnel appuie cette position par sa décision une décision du 15 novembre 2007, sur la constitutionnalité de dispositions relatives aux traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration341. Il a jugé que « les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration [...] ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé à l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race »342. Il avance que cette décision interdit les traitements qui contiendraient des données à caractère personnel et pourraient faire apparaître directement les origines raciales ou ethniques des personnes, en se basant par exemple sur l'élaboration d'une nomenclature nationale de catégories «

338 DAGORN, Gary. La difficile utilisation des statistiques ethniques en France, Le Monde. [En ligne] 19 mars 2019, [Consulté le 24 mars 2020]. Url : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/19/la-difficile-utilisation-des-statistiques-ethniques-en-france_5438453_4355770.html.

339 LOCHAK, Danièle. Op. cit., pp. 110 et s.

340 Selon Virginie Guiraudon, « le cas français était le plus étranger aux instruments mis en place au niveau communautaire (…) la France fait partie des pays qui ont accepté les changements les plus importants par rapport à leur législation préexistante » (Guiraudon, 2004, p. 29).

341 Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Conseil constitutionnel.fr.

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ethno-raciales »343. Cependant, n’entre pas dans l’interdiction du 15 novembre 2007, la création de traitements qui contiendraient des données à caractère personnel objectives, telles que le nom, l'origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française. Le cas échéant, les traitements prohibés sont réprimés sur le fondement des articles 226-16 à 226-24 du code pénal344 (Article 226-19 : cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende). C’est dans cette acception que le Conseil constitutionnel a invalidé l’article 63 de la loi sur l’immigration du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise à l'intégration et à l'asile autorisant l’usage des « statistiques ethniques »345.

En France, l’égalité a été initialement recherchée unilatéralement dans la généralité de la loi avec le refus d’envisager de la trouver dans l’expression des différences. Pendant longtemps, le principe d’égalité a constitué la justification juridique d’un frein à la réception du droit européen de lutte contre les inégalités et les discriminations346. Outre le principe universaliste d’égalité, au titre de la résistance opérée, on peut opposer une approche par les transformations imposées aux systèmes institutionnels et à la société elle-même à travers des instruments qui sont développés et utilisés par des acteurs européens externes347. Le processus d’institutionnalisation peut en effet impliquer un conflit dû à la spécificité de chaque État membre. Interrogeons-nous dès lors avec Yves SUREL et Bruno PALIER sur l’impact effectif de l’intégration européenne sur les systèmes politiques nationaux348.

343 Interdiction de toute statistique reposant sur des critères ethniques. 13e législature. 24 mars 2020. JO Sénat du 24/01/2008, p. 162. Sénat.fr.

344 Articles 226-16 à 226-24 du code pénal. Section 5 : Des atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques. Code pénal Légifrance.

345Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, JO, n° 270, 21 novembre 2007.

346 CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique. Op. cit., pp.3-5.

347 Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès définissent les instruments comme « un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur »347. LASCOUMES, Pierre, Le Gales P., (dirs.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 13.

348 SUREL, Yves, PALIER, Bruno et al. L’Europe en action. L’européanisation dans une perspective comparée, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 13.

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B. L’impact de l’importation du droit européen de la lutte contre

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