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Première partie. Le cadre juridique français de lutte contre les discriminations et l’influence du droit

Chapitre 1. Genèse de l’égalité femmes/hommes en

B. Le principe de non-discrimination des femmes saisi par le droit européen

1. De l’égalité et de l’interdiction de la discrimination

Le mot discrimination a une racine latine : crimen, qui signifie un point de séparation. Le suffixe « tion » désigne l’effet. Ainsi, la discrimination est le résultat d’un point de séparation246 saisissable par ses effets. Au sens général, elle consiste à distinguer une

242 JUNTER, Annie ; RESSOT, Caroline. « La discrimination sexiste : les regards du droit », Revue de l'OFCE, 2010/3 n° 114, 2010, p. 71.

243 Op., cit., p. 69.

244 Ibid.

245 LANQUETIN, Marie Thérèse. « 21. Un autre droit pour les femmes ? », Jacqueline Laufer éd., Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l'épreuve des différences de sexe. La Découverte, 2003, p. 333.

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personne ou un groupe de personnes, et à lui appliquer un traitement spécifique. Cependant, toute différenciation ne constitue pas une discrimination punissable. Ce qui est discriminant n’est, de ce fait, pas nécessairement discriminatoire247 (exemple du célibataire et du parent de famille nombreuse dans l’attribution d’une aide sociale). C’est-à-dire que tout traitement inégalitaire n’est pas une discrimination. En droit, une discrimination réside dans une méconnaissance non justifiable du principe d’égalité. Elle est caractérisée dès lors que l'on constate une inégalité de traitement248 assortie de deux éléments : un traitement défavorable fondé sur l'un des 25 critères prohibés249 et une absence de justification légale de ce traitement particulier. Un tel traitement manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou n’a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (art. 14250 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH))251. C’est donc un acte volontaire, procédant d’une intention de produire l’inégalité en refusant l’accès à un droit, une ressource, ou un service à une personne en raison d’une appartenance ou d’une

non-247 Le Code Pénal (art. 225-3) mentionne l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elles consistent en un refus d'embauche ou un licenciement; les discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe, l'âge ou l'apparence physique, lorsqu'un tel motif constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée ; les discriminations fondées, en matière d'accès aux biens et services, sur le sexe lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violences à caractère sexuel, des considérations liées au respect de la vie privée et de la décence, la promotion de l'égalité des sexes ou des intérêts des hommes ou des femmes, la liberté d'association ou l'organisation d'activités sportives ; au refus d'embauche fondés sur la nationalité lorsqu'ils résultent de l'application des dispositions statutaires relatives à la fonction publique.

248 Code Pénal (art. 225-1 et 225-2) « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation ou identité sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales ».

249 Voir supra la note 245 qui liste ces 25 critères contenus dans l’article 225 du Code pénal français.

250 Article 14 de la CEDH :

« 1) La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

2) Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique quelle qu’elle soit, fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe » 

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appartenance. Pour la jurisprudence du Conseil constitutionnel (CC) et du Conseil d’État (CE) français, ou encore celle de la CrEDH, la discrimination est une atteinte non justifiée, arbitraire au principe d‘égalité. L’action contre les discriminations ne peut ainsi se distinguer significativement de la mise en œuvre du principe d’égalité252. L’UE notamment appréhende globalement l’égalité de traitement dans sa dimension négative (interdiction de la discrimination).

Toutes deux conçues comme un idéal, l’égalité se décline juridiquement dans le principe de non-discrimination. Et le caractère transversal de l’interdiction de la discrimination fait qu’elle saisit l’ensemble des droits humains. Il est ainsi toujours lié à un autre droit, excluant la possibilité d’une application abstraite253. Dans l’arrêt Strain et autres c. Roumanie du 21 juillet 2005, la CrEDH a affirmé que « le droit à la non-discrimination » constitue un « principe fondamental qui sous-tend la Convention »254. Or, le principe d’égalité aussi constitue l’un des principes fondateurs de l’espace européen composé de deux systèmes : le Conseil de l’Europe et l’UE. Habilité à prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, sur le fondement de l’art. 13 TCE (Traité instituant la communauté européenne ; version consolidée après le Traité de Lisbonne: art. 19)255, le Conseil de l’Europe s’est appuyé sur la notion plus générale de droits humains pour dégager le contenu du principe de non-discrimination alors qu’à l’inverse. L’UE quant à elle, s’est appuyée sur le principe de non-discrimination pour construire une théorie des droits humains256. Cette obligation de respecter le principe de l’interdiction de discriminer a été plus tard confirmée dans la Charte des droits fondamentaux de décembre 2000.

252 WOEHRLING, Jean-Marie. « Le droit français de la lutte contre les discriminations à la lumière du droit comparé », Informations sociales, vol. 148, no. 4, 2008, pp. 58-71.

253 BRILLAT, Manuela. Le principe de non-discrimination à l’épreuve des rapports entre les droits européens, 2016, Thèse (2015) sous la direction de Florence Benoît-Roh, Université de Strasbourg.e

254 TULKENS, Françoise. « Les évolutions récentes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ses moments forts, ses ressorts, ses dynamiques », In 10 ans de droit de la non-discrimination / Avancées jurisprudentielles, p. 20.

255Www.humanrights.ch/fr. Le droit de l’Union européenne contre la discrimination, [En ligne] le 8 nov. 2017, [consulté le 27 octobre 2020]. Url: https://www.humanrights.ch/fr/dossiers-droits-humains/discrimination/international/ue/.

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Les interactions entre les ordres juridiques européens, UE et Conseil de l’Europe, et les ordres juridiques nationaux, en matière de protection des droits humains et de lutte contre les discriminations ont un tel degré de sophistication qu’il est devenu difficile d’organiser leur analyse sur le seul terrain de leurs relations. Les traités fondateurs des Communautés européennes ne contenaient aucune référence aux droits humains ou à la protection de ces droits. La création d’une zone de libre échange en Europe a finalement donné naissance à un positionnement sur les droits de « l’homme »257. La CJUE (ex Cour de Justice de la Communauté Européenne – CJCE) avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a été régulièrement saisie sur des violations des droits humains et leur conformité avec les dispositions communautaires. Elle a ainsi élaboré des règles jurisprudentielles appelées « principes généraux du droit communautaire » visant à protéger les droits humains dans les constitutions nationales et les traités y relatifs (la CEDH notamment). C’est dans son arrêt Stauder c. ville d’Ulm du 12 novembre 1969 que la CJCE (actuelle CJUE) décide pour la première fois que les « droits fondamentaux de la personne » font partie des « principes généraux du droit communautaire dont elle assure le respect »258. La jurisprudence trouve confirmation avec les arrêts Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970259  et l’arrêt Nold du 14 mai 1974260. La Cour de justice s’est engagée à assurer la conformité du droit de l’UE à ces principes et considère ne pouvoir protéger les droits fondamentaux que dans le seul champ d’application du droit communautaire261.

257Www.humanrights.ch/fr. Op., cit.

258DE SCHUTTER, Olivier. « L'adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des droits de l'homme », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1440, no. 15, 2010.

259 Cour de Justice des Communautés européennes, "Internationale Handelsgesellschaft mbH c. Einfuhr-und Vorratstelle für Getreide Einfuhr-und Futtermittel", 17 décembre 1970, 11/70, Recueil, pp. 1125-1158.

260 Cour de Justice des Communautés européennes, "J. Nold, Kohlen-und Bausttoffgrosshandlung c. Commission", 14 mai 1974, 4/73, Recueil, pp. 491-516

261 Cour de justice des Communautés européennes, "Cinéthèque SA et al. c. Fédération nationale des cinémas français", 11 juillet 1985, aff. jointes 60 et 61/84, Recueil, pp. 2605-2628, ici p. 2627 (point 24). Olivier De Schutter se livre à un développement sur ces affaires dans son ouvrage « L'adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des droits de l'homme », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1440, no. 15, 1994, pp. 1-40. Il explique notamment que des conclusions de l’avocat général Capotorti, avant l’arrêt Defrenne de la Cour de justice des Communautés (Cour de justice des Communautés européennes, "Defrenne c. Sabena", 15 juin 1978, 149/77 Recueil, pp. 1365, ici pp. 1385-1386) avait déjà affirmé cette idée. Tout comme "Demirel c. Ville de Schwäbisch Gmünd", 30 septembre 1987, 12/86, Recueil, pp. 3719-3755 (la Cour "ne peut vérifier la compatibilité, avec la convention européenne des droits de l’homme, d’une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire" (point 28)).

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La mise en œuvre des mécanismes européens de protection des droits humains a suscité l’adoption d’un certain nombre de directives européennes de lutte contre les discriminations. Pour sa mission de lutte contre les discriminations, l’UE s'appuie sur quatre directives centrales pour contraindre ses États membres à créer et appliquer des normes à cet effet et également pour assurer la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement. Ces directives portent sur toute les discriminations, directes et indirectes, l’interdiction du harcèlement262 et aussi sur l’interdiction d’enjoindre une personne de pratiquer une discrimination263 :

▪ La directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 : Appelée directive « antiracisme », elle est relative à la mise en œuvre de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de « race » ou d’origine ethnique dans les domaines de l’accès à l’emploi et au travail, de la formation, de la sécurité sociale et des soins de santé, et également dans les domaines de l’accès aux biens et services et de la fourniture de biens et services, et dans les rapports locatifs.

▪ La directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 : Elle impose aux États de lutter contre les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines de l’emploi et du travail.

▪ La directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004 : La directive sur « l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en dehors du monde du travail » cible les discriminations fondées sur le sexe dans les domaines de l’accès aux biens et services et de la fourniture de biens et services.

▪ La directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 : Cette directive prohibe toute discrimination fondée sur le sexe dans les domaines de l’emploi et du travail ainsi que dans le domaine de la sécurité sociale.

262 Défini par les directives comme tout « comportement non désiré […] qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (voir art. 2 al. 3 Directive 2000/43/CE et Directive 2000/78/CE).

263 La loi puni cet acte à l’art. 1- 4 : « Tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination à l'encontre de personnes pour l'un des motifs visés à l'article 1er est considéré comme une discrimination au sens du paragraphe 1».

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Repères d’une garantie en matière de protection juridique effective, ces directives commandent aux États membres de l’Union d’assurer aux personnes physique et morales : un droit de recours pour les organisations, le renversement du fardeau de la preuve, la protection des victimes contre les représailles, des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Le droit européen primaire264 et dérivé265 l’emporte sur toute disposition contraire du droit national. Ce principe de primauté a été affirmé par l’ex-CJCE dans l’arrêt Costa c. /Enel du 15 juillet 1964266. La déclaration n°17 relative à la primauté, annexée à l’Acte final du traité de Lisbonne, précise que « les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres »267. Ce traité a en outre conféré une véritable compétence pénale à l'UE, permettant au législateur européen d'imposer aux États membres (notamment au moyen de directives, de règlements ou de décisions-cadre) le principe de la répression d'un certain nombre de comportements, mais également la manière de les poursuivre et de les réprimer268. La Commission européenne peut punir les États par des sanctions financières pour retard ou mauvaise transposition. Par exemple, pour avoir autorisé la vente de petits poissons interdite par l’UE, la France a été condamnée en 2005 à payer près de 80 millions d'euros24. En effet, le droit de l’UE prime sur le droit national. Cela implique que les États membres doivent procéder à la transposition des normes européennes dans leur droit interne.

La directive est un acte juridique européen qui fixe aux États membres le résultat à atteindre mais leur laisse la compétence quant à la forme et aux moyens pour l'atteindre. La transposition en est donc le corollaire obligé, dans la mesure où elle permet à un État membre d'adopter les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la directive. Les directives ne sont, en principe, pas directement applicables, mais la CJUE a néanmoins jugé que

264 Traités et principes généraux du droit européen.

265 Règlements, directives, décisions.

266 La Cour de justice des communautés européennes (CJCE, devenue en 2009 la CJUE : Cour de justice de l’Union européenne) considérait que le droit communautaire constituait un nouvel ordre juridique et devait s’imposer à celui des États membres (arrêt Simmenthal du 9 mars 1978) ;

267 Traité de Lisbonne.

268 La Commission européenne peut punir les États par des sanctions financières pour retard ou mauvaise transposition. Par exemple, pour avoir autorisé la vente de petits poissions alors interdite par l’UE, la France a été condamnée en 2005 à payer près de 80 millions d'euros24. Corioland, Sophie. Letouzey, Elise (Dir). La transposition du droit de l'Union européenne dans la loi pénale française : l'intégration d'un corps étranger, CEPRISCA, Actes de Colloque 1ère édition, 2017.

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certaines dispositions pouvaient, exceptionnellement, produire des effets directs dans un État membre sans que ce dernier n’ait arrêté préalablement un acte de transposition lorsque

:

a) la transposition dans le droit interne n’a pas eu lieu ou a été effectuée incorrectement, b) les dispositions de la directive sont inconditionnelles et suffisamment claires et précises, c) les dispositions de la directive confèrent des droits aux particuliers.

Lorsque ces conditions sont réunies, le particulier peut se prévaloir de la disposition en cause devant l’autorité publique. Même si la disposition n’accorde aucun droit. Les directives sont des normes d’harmonisation des législations nationales qui imposent aux États une obligation de mise en œuvre. Ils ont une liberté des moyens en ce qui concerne le choix des outils normatifs de transposition aussi bien que les procédures internes de contrôle du respect de l’obligation y affairant.

Ces directives entre autres portent l’empreinte des femmes. Actrices d’une société civile de plus en plus impliquée dans la redéfinition de la démocratie depuis les années 1970, elles ont créé leur place dans la gouvernance européenne269. C’est par le moyen de longues luttes que les femmes sont parvenues à influencer le droit de non-discrimination mis en œuvre par l’UE comme nous le verrons avec par exemple l’affaire Defrenne (1970) dans le point suivant. L’UE abrite maintenant en son sein le Lobby européen des femmes (LEF), la plus grande coalition d’organisations de femmes d’Europe fondée en 1990, qui veille à la promotion des droits des femmes et de l’égalité entre les sexes.

2. Le rôle des femmes dans le processus de construction du droit de

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