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Première partie. Le cadre juridique français de lutte contre les discriminations et l’influence du droit

Chapitre 1. Genèse de l’égalité femmes/hommes en

2. Les revendications féminines et féministes en France

Les années 1960 en France ont été marquées par une intense activité de réflexion, d’oppositions et de théorisation de la condition féminine, qui autour des années 2000 va connaitre une mutation sociale due au nouveau visage hétérogène de la France. Parmi les mouvements féministes, le mouvement de Libération des femmes (MLF) d’Antoinette FOUQUE a vu le jour au début des années 1970. Ce mouvement s’est construit fondé sur la philosophie du constructionnisme qui étudie les modalités de la construction sociale de la différence des sexes, c’est-à-dire la manière par laquelle la socialisation impose des rôles sociaux différents aux personnes des deux sexes. On peut lui prêter un versant radical, car pour ses membres aucune égalité entre les sexes ne peut être obtenue à l’intérieur du système patriarcal. Pour les féministes radicales et les matérialistes, le patriarcat - forme d’organisation sociale, politique, religieuse, économique, et juridique dans laquelle la figure masculine détient, exerce et reproduit sa domination sur la femme dans l’espace privée ou publique - représente la source du système social d’oppression des femmes220.

219 CLAYTON, Pamela. Ibid.

220 Le dictionnaire Larousse définit le patriarcat comme « Forme d'organisation sociale dans laquelle l'homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme ». Pierre BONTE et Michel IZARD dans le dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie définissent le concept comme une « une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes »

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Dans cette conception du patriarcat, elles pensent que le domaine de la reproduction est un espace d’exploitation privilégié des femmes (corps, maternité, travail domestique, famille). Pour ce faire, ces féministes créent des espaces de discussion et de réflexion exclusivement féminins sous le concept de la non-mixité, et lancent des offensives anti-patriarcats en manifestant contre les concours de beauté, les mutilations sexuelles, les déploiements militaires, la pornographie, etc. Ces grandes luttes ont pu donner l’illusion au mouvement d’être universel et de revendiquer des droits précis pour toutes les femmes, mais il s’est révélé ethnocentriste par son centre d’intérêt, les femmes « blanches » du continent.

En Europe, il n’y a plus uniquement une majorité de femmes « blanches ». En effet, la proclamation des droits universels et la promesse de la garantie de principes fondamentaux comme l’égalité révèle de nouveaux sujets de droits dans les ascendants non blancs. Les femmes étrangères, descendantes racialisées aspirent à voir leurs spécificités prises en compte comme l’ont fait les africaines-américaines avant elles aux États-Unis. Le « féminisme blanc » montre ses limites à l’universalité sous deux angles : D’abord, les femmes « blanches » de la classe moyenne ont pendant longtemps monopolisé la représentation du mouvement féministe en s’opposant seulement à la domination masculine sans tenir compte des combinaisons de domination identitaire221 qui vont être qualifiées comme des discriminations multiples ou intersectionnelles. En droit, Kimberlé CRENSHAW et al. Établissent un dilemme qui fait écho dans les mouvements sociaux qui est que, des sujets situés dans deux groupes minorisés ne sont représentatifs d’aucun, en tant qu’ils appartiennent aux deux222. Or pour les personnes racialisées, « la lutte contre le

racisme doit inclure le combat contre le sexisme »223. Mais l’introduction du point de vue

situé dans le féminisme, c’est-à-dire l’appropriation des revendications spécifiques construites par et pour des femmes se réclamant d’une identité dont les intérêts ne sont ni représentés, ni pris en compte par le mainstream ou ses mouvement sociaux et par le droit pose aujourd’hui problème. Ensuite, le féminisme « blanc » prétend rassembler en son sein

221 JAUNAIT, Alexandre. CHAUVIN Sébastien . « Intersectionnalité », Catherine Achin éd., Dictionnaire. Genre et science politique. Concepts, objets, problèmes. Presses de Sciences Po, 2013, pp. 286-297.

222 CRENSHAW, Kimberlé. “Mapping the margins: Intersectionality, identity politics, and violence against women of color”. In Crenshaw, K., Gotanda, N., Peller, G., Thomas, K. (Eds.), Critical race theory: The key writings that formed the movement (pp. 357-383). 1995, New York, NY: New Press.

223 CRENSHAW, Kimberlé. Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics, Volume 1989 | Issue 1, p. 151.

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toutes les femmes du monde qu’il entraine dans un face à face avec les hommes, contre la domination patriarcale et le paternalisme. Pourtant, il cultive entre les femmes « blanches » et racialisées, des rapports hiérarchiques et de domination avec une attitude maternaliste qu’il s’est gardé de dénoncer. En tant que construit « occidental », le féminisme « blanc » s’avère servir l’universalité « occidentale ». Or l’universalité « occidentale » est un outil de domination. Parler d’ « une identité » féministe universelle devient dès lors incorrect car les revendications politiques, sociales, économiques, et juridiques varient en fonction des femmes ; tout simplement parce que le monde ne fonctionne pas comme un tout entier au pas de l’évolution, de la « modernité », des traditions et des libertés au même niveau. Si les femmes affrontent ensemble le sexisme et/ou le patriarcat, elles ne le vivent pas toutes de la même façon. La domination patriarcale produit des effets différents selon la classe, l‘origine, et le handicap etc.

Ainsi l’universalité du féminisme « blanc » encore appelée mainstream a fait l’objet de critiques d’abord aux États-Unis par les féministes « noires » américaines. bell hooks, explique que cela a été causé par l’exclusion ressentie et vécue par les femmes non « blanches » dans l’application du féminisme « occidental ». Au sortir de l’esclavage, les africaines-américaines se sont retrouvées exclues de tous les mouvements de lutte pour les droits humains. D’un côté, les Civils Rights ne spécifiaient pas les discriminations féminines subies par les femmes « noires », ils exposaient les inégalités sur les « noirs » en général. De l’autre, les afro-américaines sont aussi mises en marge des luttes féministes menées par les américaines « blanches ». Non-représentées, elles organisent alors leur propre mouvement sur mesure et de nombreuses femmes vont se retrouver à la tête d’un nouveau mouvement de lutte appelée le Black feminism. Dans la foulée, les femmes originaires et/ou descendantes des pays du Sud vont également s‘approprier le mouvement en fonction de leurs propres réalités en se distanciant des objectifs du féminisme « blanc ». Il s’agit d’un féminisme intersectionnel en rupture avec le féminisme hégémonique en mission civilisatrice. Le patriarcat ne constitue pas son unique pierre d’achoppement. Il s’élève également contre le « blantriarcat » (patriarcat blanc)224. Le féminisme « blanc » n’a pas pu se départir de la posture néocolonialiste et maternaliste reproduite des

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expéditions coloniales, et s’est construit sur l’évidence de l’universalité anthropocentrée de son modèle.

On compte quatre vagues de féminismes qui se sont succédés et ont révélé qu’il y a au sein du mouvement qui initialement se voulait universel, des questions d’appropriations et d’identités (cf. annexe 1). Avec l’éclatement du mainstream, les années 2012 ont vu naitre en France des associations afro-féministes radicales (comme le collectif Mwasi225) dédiées aux femmes « racisées »226. Mais ce féminisme décolonial est souvent accusé de freiner la cause générale par l’éclatement des points d’intérêts, mais aussi d’être raciste parce que la non-mixité est une de leurs armes de combat dans leurs réunions et débats. On peut constater ces achoppements dans le cadre de l’organisation du festival Nyansanpo du collectif Mwasi227 à Paris du 28 au 30 juillet 2017. Le festival comprenait des espaces non-mixtes, réservés aux femmes « noires » notamment, et d’autres espaces, ouverts à tous, le collectif a soulevé une virulente polémique sur le concept de non-mixité. Le festival a été qualifié de raciste. Françoise VERGES, défend le principe de la non-mixité utilisé par les organisatrices qui, pour elle « est une forme de préalable à une lutte antiraciste et féministe unitaire » et répond à « un besoin de se protéger de la répression notamment, ne pas être soumis au regard du dominant, ne pas avoir à se justifier, pour éviter que les dominants ne monopolisent la parole, partager des expériences de discriminations en toute liberté et dans un climat qui ne soit pas soupçonneux, pourvoir exprimer ses sentiments, sa colère, sa frustration, ses rêves228. La non-mixité été pratiqué par les femmes, les gays, les queers229 et elle avait été attaquée « par des hommes de syndicats, de mouvements

225 Signifie « Femme » en Lingala (une langue du Congo Brazzaville).

226 Le terme « Racisé.e » désigne la condition d'une personne victime de racisation, c'est-à-dire qu'elle est assignée à une race du fait de certaines caractéristiques subjectives. Exemple : Pour certains chercheurs, un individu racisé est victime d'une forme aggravée de l'ethnicisation.

Cf. KEBABZA, Houria. « L’Universel lave-t-il plus blanc ?: Race », racisme et système de privilèges », Revue Les cahiers du CEDREF, n°14, « (Ré)articulation des rapports sociaux de sexe, classe et « race », 2006. Réédité par Zanzara athée, 2014. 27 p.

227 Niansampo signifie : « Nœud de la sagesse » ou « intelligence » dans la culture akan (Afrique de l’Ouest)

228 CRETOIS, Jules. « Françoise Vergès : « La non-mixité fait réagir ceux qui détiennent le pouvoir car ils ont le désir de tout contrôler », Jeune Afrique, [en ligne], 31 mai 2017, [consulté le 08 octobre 2019]. Url : https://www.jeuneafrique.com/443803/societe/francoise-verges-non-mixite-reagir-detiennent-pouvoir-ont-desir-de-controler/.

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d’extrême-gauche, de gauche et de droite. Il y avait d’ailleurs eu des tentatives d’intimidation : des hommes voulaient forcer l’entrée230.

L’émergence du féminisme décolonial a déclenché un mouvement de réflexions axé sur la plupart des sociétés qui ont connu l’influence « occidentale ». Tout comme pour les européennes, qui pour lancer leurs mouvements ont dû auparavant se battre prioritairement pour avoir la liberté de parler, les femmes racisées ont également d’abord, eu besoin d’avoir accès à la parole. L’accès à la parole pour les unes ou les autres va être autorisé par le droit européen à partir de la reconnaissance des discriminations et de la construction du droit de la lutte contre les discriminations en Europe. Nous allons dans la partie suivante (II) aborder la question de sa fabrication, puis de sa transposition dans les États de l’Union.

II. La fabrication du droit européen de lutte contre les

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