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Les confrontations coopératives entre l’UE et l’État français dans la fabrication du droit français de lutte contre les discriminations

➢ Les mesures favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les organisations politiques et professionnelles

Chapitre 3. Vers un point de vue situé des

A. Les confrontations coopératives entre l’UE et l’État français dans la fabrication du droit français de lutte contre les discriminations

La forte impulsion européenne, à l’origine du processus de reconnaissance des discriminations, fait peser sur la France des pressions adaptatives révélant les différences entre deux systèmes juridiques. De ces pressions résultent des cas suscitant des concertations et des consultations politiques et sociales, des mouvements sociaux visant à influencer l’orientation des décisions vers les besoins des destinataires ou du moins des parties concernées. Jusqu’en 2007, la France pensait être en avance sur les transpositions des directives européennes en matière de lutte contre les discriminations. Pourtant à sa grande surprise, la Commission européenne lui adresse des avis en manquement de transposition sur les directives 2000/43/CE, 2000/78/CE et 2002/73/CE. Par l’examen de ces injonctions (1) et des ajustements (2) entrepris par la France, nous entendons montrer la « souplesse » dans ce processus qui ouvre justement une possibilité d’explication des États devant la Commission sur un défaut de transposition.

430 JO 28 mai 2008, 136.

431 JUNTER, Annie ; RESSOT Caroline. « La discrimination sexiste : les regards du droit », Revue de l'OFCE, vol. 114, no. 3, 2010, pp. 65-94.

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1. Les injonctions de la Commission Européenne à la France sur la

transposition des directives 2000/43/CE, 2000/78/CE, et 2002/73/CE

L’applicabilité des directives communautaires dans les États membres est subordonnée à des mesures de transposition dans chaque droit interne, excepté si ce dernier répond déjà parfaitement à l'objectif fixé par ladite directive. La Constitution française (articles 34 et 37) prévoit que cette transposition s’effectue par la voie d'un règlement ou d'une loi selon le domaine des mesures432.

En cas de manquement à cette obligation, l'article 226 du traité instituant la Communauté européenne dispose que, la Commission émet « un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations » si elle estime qu'un État membre a manqué à une de ses obligations. L’activation de la procédure est marquée par l’envoi d’une lettre de mise en demeure destinée à délimiter le sujet du litige et à notifier à l'État membre, qui est prié de présenter avec ses observations, les substances nécessaires à la présentation de sa défense. À l’issu de cette étape, il revient à la Commission de décider si elle adresse un avis motivé à l’État membre concerné. C’est dans l'éventualité où ce dernier ne s’y conforme pas dans le délai qui lui a été indiqué, la Commission saisit la CJUE qui peut rendre ou non un arrêt en manquement.

Ainsi, relativement aux termes d’engagement des États membres, ces derniers se voient opposer l’obligation de procéder à la transposition de l’intégralité de la législation communautaire dans le but de disposer des outils nécessaires à la garantie d’une protection juridique efficace contre les discriminations. C’est ce processus qui mène la France à l’adoption de la série de lois visant à construire un droit de lutte contre toutes les discriminations suivantes :

La loi 2001-0166 du 16 novembre 2001 : son apport global est l’aménagement de

la charge de la preuve devant les juridictions civiles dès qu’il y a présomption de

discrimination. Les juridictions pénales assouplissent et étendent les possibilités de preuve du demandeur.

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La Halde est créée par la loi du 30 décembre 2004 : l’organisme encourage les victimes et les personnes affectées à être entendu et à poursuivre des auteurs présumés d’actes discriminatoires prohibés si les preuves le permettent.

Une nouvelle loi (loi du 31 mars 2006) énonce le concept d’égalité des chances tout en notant désormais l’acceptation des testings comme une preuve juridique, et en instaurant le recours au CV anonyme dans les recrutements ayant cours dans les entreprises de plus de 50 salariés

La nécessité de circonscrire les définitions des discriminations directes et indirectes apparait dans la loi du 27 mai 2008. Cette dernière inclue le harcèlement sexuel et l’injonction de discriminer dans la discrimination. Elle exige par ailleurs que les entreprises rendent visibles sur les lieux de travail et d’embauche les articles du code pénal sur la discrimination. On note surtout l’aménagement de la charge de la preuve (Article premier de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 « Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination »).

La loi du 6 août 2012 étend la liste de 18 critères de discriminations à 20 :

o Il est opéré une distinction entre les personnes discriminées parce qu’elles ont « subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article 222-33 ou témoigné de tels faits, y compris, dans le cas mentionné au 1 du même article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés. » o Il est aussi inséré à côté d’orientation « ou identité sexuelle » faisant référence

spécifiquement aux personnes transsexuelles et transgenre.

Cependant, alors que la France estimait avoir satisfait aux exigences requises, la Commission européenne engage contre elle trois procédures d’action en manquement concernant trois directives. Le 21 mars 2007, elle reçoit deux mises en demeure au sujet des directives 2000/78/CE et 2002/73/CE, et un avis motivé le 27 juin 2007 sur la directive

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2000/43/CE qui formulent des griefs attestant que le droit positif français ne reflète pas assez scrupuleusement le dispositif des directives en cause433.

Premièrement, la Commission reproche à la France de ne pas avoir élaboré une définition plus précise des notions de discrimination directe et indirecte comme le font les directives. Le choix de la France de les mentionner n’est pas suffisant. Qu’en était-il dans les faits des cas de divergence entre le droit positif français et les directives pointés par la Commission européenne ? On peut observer plusieurs textes qui font référence aux deux notions ou à des notions voisines sans les définir :

Depuis 2016, le Code pénal inscrit à son article 225-1 la définition de la discrimination comme toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison d'une série de motifs prohibés, au nombre desquels figurent, notamment, le sexe, la situation de famille et la grossesse. Il punit la discrimination de 3 ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende.

Dans le Code du travail, l’interdiction claire est faite aux discriminations directes et indirectes sur la base de plusieurs motifs. On note que son article L.122-45 abrogée par l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 - art. 12 (VD)434 dispose qu’ : « Aucune personne ne peut […] » subir « ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte », en raison de motifs énumérés435. L’article L.123-1 fait état de l’interdiction de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe, la situation de famille ou la grossesse dans le recrutement, la formation et, d'une façon générale, dans le déroulement de carrière d'un salarié. Mais effectivement, le Sénat reconnait que le Code du travail ne donnait aucune définition précise des deux notions436 comme bien d’autres textes437. La Commission européenne interpelle aussi la France sur le respect de la jurisprudence de la CJUE qui oblige le juge national à interpréter le droit national à la lumière du droit

433 Site du Sénat. Op. cit.

434JORF 13 mars 2007 en vigueur le 1er mars 2008.

435 Notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap

436 Site du Sénat. Op. cit.

437 Exemple : la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne mentionne pas la notion de discrimination, elle prohibe cependant, dans son article 6 bis, toute distinction directe ou indirecte entre les fonctionnaires en raison de leur sexe

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européen. Elle prévient cependant qu’on ne peut laisser au juge la liberté d’interpréter les notions de conformément à la directive et insiste sur le fait que « les droits dont bénéficient les particuliers aux termes d'une directive doivent être clairement et précisément énoncés pour que ceux-ci puissent les connaître et s'en prévaloir »438.

Deuxièmement, le droit positif français aurait fourni des définitions du harcèlement moral ainsi que du harcèlement sexuel que la Commission juge plus restrictives par rapport à ses propres définitions : Celles-ci exigent l'existence de plusieurs actes alors que pour la Commission européenne, le harcèlement peut être constitué par un acte d'une particulière gravité ; les définitions du droit français sont, de plus, trop focalisées sur les relations de travail, et omettent les motifs prohibés qui permettent de les assimiler à une discrimination. Troisièmement, il est reproché à la France de ne pas assez protéger contre les rétorsions les personnes ayant rapporté des faits relatifs à des discriminations.

Enfin, la Commission européenne trouve que les conditions qui permettent de qualifier les différences de traitement, par dérogation au principe d’interdiction des discriminations sont définies de façon approximative.

La nature des injonctions opposées par la Commission, requièrent que le gouvernement français adopte plutôt la première forme de convergence que l’adaptation de la reproduction stricte du modèle pour tendre à une copie conforme de l’originale (cf. chapitre 2, II)439. Mais alors, les directives se juxtaposeront aux normes du droit français sans les modifier, car les deux ordres juridiques répondent à des logiques juridiques différentes, cela remet en cause la lisibilité et l’harmonie recherchées. Effectivement, même s'ils poursuivent foncièrement des objectifs comparables, le droit communautaire, et le droit français diffèrent dans leurs démarches en matière de lutte contre les discriminations. Le droit communautaire adopte des directives correspondant chacune à un champ déterminé et ne désignant pas nécessairement les mêmes motifs de distinction prohibés. Son approche des discriminations est ainsi ciblée (approche par champ). Par exemple, on constate que la directive 2000/47/CE prohibe toute distinction fondée sur la « race » ou l'origine ethnique en matière d'accès à l'emploi, de protection sociale, de santé,

438 Site du Sénat. Ibid.

439 Titre : II. Les enjeux de l’européanisation en matière de lutte contre les discriminations dans le droit français

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d'avantages sociaux ou encore d'accès aux biens et services. Par ailleurs, la directive 2000/78/CE prohibera, en matière d'emploi et de travail, les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. À l’opposé, la France suit une démarche synthétique (approche globale). Elle approche les discriminations globalement et de façon transversale avec l’interdiction à l’article 225-1 de toute distinction opérée entre les personnes physiques pour un certain nombre de motifs prohibés, dont la loi livre la liste exhaustive : l'origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l'apparence physique, le patronyme, l'état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l'orientation sexuelle, l'âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. On retrouve des parties de ces critères dans le Code du travail (l'article L.122-45)440.

Ayant pris note des problèmes de conformité du droit français au regard des trois directives, la France a entrepris d’y travailler et dans ce cadre nous développerons dans le point suivant spécifiquement en illustration des relations de confrontation coopérative les ajustements opérés sur les définitions des discriminations directes et indirectes.

2. Les ajustements opérés dans le droit français suite aux injonctions de la

Commission sur les définitions des discriminations directes et indirectes

Alors que le droit français est appelé à produire un terrain complètement aplani en matière de lutte contre les discriminations en important presque textuellement les normes édictées par l’ordre juridique européen, des « misfits » (ou inadaptations) peuvent occasionner des transpositions non abouties. On observe ainsi des résistances fonctionnelles dans les deux ordres juridiques en matière de démarche dans l’approche des discriminations.

En réponse aux plaintes de la Commission, le gouvernement français a chargé le parlement de l’élaboration d’une loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire de la lutte contre les discriminationspour opérer une transposition au plus près du texte des directives. Le 27 mai 2008, les deux chambres adoptent une loi qui

440 HUMMEL, Christiane. Rapport d'information. N° 252, Sénat, Session ordinaire de 2007-2008, 1er avril 2008.

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précise mieux les cadres des points retenus dans les griefs de la Commission européenne

(Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit

communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations441). Dans cette nouvelle loi, le droit français s’enrichit des définitions des discriminations directes et indirectes et arbore un cadre commun de source juridique ouvrant de nouvelles perspectives aux justiciables442. Les définitions des deux notions apparaissent « fidèlement calquées sur celle que déclinent les directives européennes »443.

L’adaptation opérée concernant la discrimination directe a été redéfinie comme la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable, en raison d'un motif prohibé comme son sexe, par exemple, qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable. Le Sénat rappelle l’importance de cette formulation élaborée par l’UE et le fait que le gouvernement français intègre scrupuleusement les détails dans son droit interne sur plusieurs points. Tout d’abord, cette définition ne limite pas la stigmatisation d'un certain nombre de décisions pénalisantes explicites et restrictives telles que le refus d'embauche, le refus de formation ou le refus de promotion. Au contraire, elle permet d’étendre à des différences de traitement dissimulées, le cas échéant, derrière une absence de décisions positives444. Ensuite, la définition revêt selon le Sénat, une valeur comparative qui s’applique seulement si l’on à l’occasion d’opposer des personnes ou des groupes de personnes qui se situent dans des situations comparables sur les plans de la qualification, la compétence, l’expérience dans le cas de l’emploi. Mais, ce qui est important de noter c’est que la phrase « une personne traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait », ouvre des possibilités de comparaisons temporelles en incluant les situations présente « ne l’est », des situations passées « ne l’a été », et même hypothétique « ne le serait ». Les Sénateurs relèvent que ces valeurs comparatives ne sont significatives cependant qu’avec la possibilité d’opposer des personnes ou des groupes de personnes qui se trouvent dans des situations comparables, par rapport à la qualification, des compétences, l'expérience, dans le cas d'un emploi. Dans

441 JORF n°0123 du 28 mai 2008, p. 8801.

442 JUNTER, Annie, RESSOT Caroline. Op., cit., pp. 65-94.

443 Site du Sénat. La définition de la discrimination directe et de la discrimination indirecte : une démarche intéressante pour la promotion d'une égalité réelle entre hommes et femmes.

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l’arrêt Macarthys Ldt c/ Wendy Smith du 27 mai 1980, la CJUE applique la prescription comparative à une situation passée concernant une succession d’emplois. Quant à l’utilisation du conditionnel, dans les arrêts Dekker du 8 novembre 1990 et Tele Danemark du 4 octobre 2001, la Cour a comparé le traitement d’une personne avec une personne hypothétique pour évaluer la situation de femmes en congé de maternité. La potentialité offerte ici permet par exemple de se demander si le traitement analysé aurait été identique si on remplaçait des femmes par des hommes ou inversement445.

L’objectif de cette partie était de montrer que dans le processus de transposition des normes européennes dans le droit interne, les États membres bénéficient d’une large possibilité de manœuvre allant de l’adaptation, des explications auprès de la Commission Européenne en cas de transposition insuffisante, puis d’une décision de la Cour. Dans ce cadre, on peut aussi s’interroger sur la façon dont les autorités politiques françaises importent cet ordre juridique déjà entièrement construit dans leur droit interne vis-à-vis des acteurs sociaux sachant qu’ils ont de plus en plus de prérogatives sur les affaires publiques (B).

B. Les confrontations entre les autorités politiques et les acteurs

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