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➢ Les mesures favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les organisations politiques et professionnelles

Chapitre 3. Vers un point de vue situé des

B. Les confrontations entre les autorités politiques et les acteurs sociaux français

2. Sur l’inscription de la notion « genre » dans le code pénal

Dans son article « Le genre, un concept utile pour repenser le droit de la non-discrimination », Elsa FONDIMARE traite de la difficile réception manifestée à travers des oppositions virulentes dans les discours juridiques et politiques. C’est le cas des débats parlementaires relatifs à la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel qui ont révélé l’opposition de députés à l’introduction de l’expression « identité de genre » dans le Code pénal, qualifiant la « théorie du genre » de « forme de révisionnisme anthropologique à proprement parler révolutionnaire ».

Le député Philippe GOSSELIN (Assemblée nationale, deuxième séance du mardi 24 juillet 2012, sur l’article 2 bis).

« J’aimerais que mesdames les ministres puissent à nouveau nous rassurer sur le fait que l’identité sexuelle dont il est question dans le texte de ce soir n’a rien à voir avec cette théorie du genre que nous sommes nombreux à récuser sur les bancs de l’opposition ». La Commission générale de terminologie et de néologie (CGTN)461 chargée de veiller à l’enrichissement de la langue française s’est prononcée dans un avis sur l’introduction et l’usage généralisé de la notion de genre lorsqu’il est question de l’égalité entre les hommes et les femmes, pour manifester sa désapprobation :

« On constate en effet, notamment dans les ouvrages et articles de sociologie, un usage abusif du mot genre, emprunté à l’anglais gender, utilisé notamment en composition dans des expressions telles gender awareness, gender bias, gender disparities, gender studies..., toutes notions relatives à l’analyse des comportements sexistes et à la promotion du droit des femmes »462.

461 Créée par D. n° 96-602 du 03-07-1996. Chargée de concourir à la diffusion des termes approuvés de la langue française afin de sensibiliser le public à l'évolution de la terminologie, elle peut être consultée sur toutes les questions intéressant l'emploi de la langue française. Secrétariat assuré par la Délégation générale à la langue française.

Chaque ministère est doté d'une commission spécialisée de terminologie et de néologie qui s'emploie à trouver des équivalents français à tous les mots étrangers qui s’invitent dans la langue française. La Commission Générale contrôle l'ensemble de ce processus en liaison avec l’Académie Française. Les propositions des différentes commissions sont publiées au journal officiel par arrêté ministériel et deviennent dès lors les mots à employer obligatoirement dans les administrations françaises et les services publics.

La commission générale de terminologie et de néologie est composée de quinze membres parmi lesquels on compte le Délégué général à la langue française et aux langues de France, le Secrétaire perpétuel de l'Académie française, un des Secrétaires perpétuels de l'Académie des sciences, le président de l'Association française de normalisation et des personnalités nommées sur proposition des ministères chargés des affaires étrangères, de la culture, de la communication, de l'économie et de l'industrie, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la francophonie, de la justice et de la recherche. Archives du ministère de la culture.

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La CGTN initie alors une mise au point sur le plan terminologique et déconseille l’usage du genre ainsi que certaines expressions de son champ sémantique telles que ‘genré⸱e’, ou encore ‘sexospécificité’… Elle jugeait qu’étant donné qu’il « ne s’agissait pas d’un besoin linguistique, le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s’avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose »463. À l’issu des différents avis, c’est finalement l’expression « identité sexuelle » qui a été retenue à la place de celle d’« identité de genre » comme nouveau critère de discrimination dans l’article 225-1 du Code pénal464. La première raison invoquée pour le rejet de l’introduction de la notion d’« identité de genre » dans le droit positif français est que son utilisation serait vaine. Il ne correspondrait à aucun besoin linguistique de substituer le mot « sexe » par celui de « genre ». Le mot sexe et ses dérivés « sexiste et sexuel » s’avèrent « parfaitement adaptés » dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, « y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose »465.

On peut encore illustrer l’accueil difficile de la notion du « genre » dans le cadre des débats parlementaires relatifs à la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. La sénatrice Corinne BOUCHOUX avait proposé un amendement (n°176) qui fut discuté en séance publique, Elle expliquait que :

« L’identité de genre est introduite dans nombre de textes internationaux, en étant reconnue comme une notion commune, sans s’apparenter pour autant à ce que l’on appelle la théorie du genre, soutenue par un certain nombre de personnes qui vont jusqu’à nier des différences qui sont de l’ordre non pas des représentations culturelles, mais des identités physiologiques et biologiques […] Lorsque cette notion a été introduite, certains ont fait exprès, a fortiori dans le climat que nous connaissons actuellement avec le mariage pour tous, de faire croire que la majorité avait la volonté d’imposer la théorie du genre à l’école. J’ai considéré qu’il était de ma responsabilité, quelle que soit la sympathie que je peux avoir pour le sens commun de cette notion, de ne pas alimenter ces polémiques malsaines, qui dégradent le débat sur l’école ».

L’amendement fut plus tard retiré à la demande du Ministre de l’éducation nationale Vincent PEILLON466. On comprend par-là que la suite des débats parlementaires refuse le

463 REVILLARD, Anne. DE VERDAL, Laure. « Dynamiques du genre. (Introduction) », Terrains & travaux, vol. 10, no. 1, 2006, pp. 3-4.

464 Op., cit.

465 JO n° 169 du 22/07/2005.

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rôle de l’école dans l’éducation à l’égalité de genre. Le domaine de l’éducation a été largement investi dans les débat sur le genre non seulement par des politicien·ne⸱s mais également les parents, l’Église, les universitaires, etc. Il se trouve que l’Éducation nationale avait lancé une expérimentation des ABCD de l’égalité467 dans 10 académies volontaires pour transmettre dès le plus jeune âge la culture de l’égalité et du respect entre les filles et les garçons. En effet de nombreuses recherches de 1980 à 2000 font endosser formellement au système éducatif une tradition de discriminations des filles et des femmes468. Les principes d’égalité dont elle se prévalait n’y faisaient rien. Face aux positions politiques, des acteurs privés s’opposent dans un débat construit autour de ce qu’on a appelé « la théorie du genre ». Elle nait à partir d’une polémique née d’une circulaire du ministère de l’éducation nationale du 30 septembre 2010 qui ajoute au programme d’enseignement dans les manuels de Sciences de la vie et de la Terre (SVT) au lycée un chapitre dénommé « Devenir homme ou femme », ayant pour objectif de :

« Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales : ce qui relève de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société qui relèvent de l’espace social ; de l’orientation sexuelle qui relève de l’intimité des personnes »469.

Au regard des informations communiquées, à la rentrée scolaire qui suivait, surgissent de farouches désapprobations sur le fait d’abord de voter loi TAUBIRA sur le mariage pour tous, et ensuite de tenter d’enseigner aux enfants qu’on « ne naît pas femme ou homme, mais qu’on le devient ». L’indignation d’associations catholiques, fut relayée par des parlementaires de droit catholique qui s’est fortement opposée à l’idée que l’identité sexuelle est une construction culturelle par rapport au contexte du sujet qui vient en porte à faux à l’égalité dans la différence470. En 2012, Vincent PEILLON, ministre de l’Éducation nationale, et Najat VALLAUD-BELKACEM, ministre du Droit des femmes, avisent la population de leur volonté de mettre l’égalité des filles et des garçons au centre de la

467 Le programme des ABCD de l’égalité devait selon le communiqué de presse du ministère de l’Éducation nationale du 1er octobre 2013 offrir « aux enseignants des outils utiles pour aborder l’égalité entre les filles et les garçons par des séquences pédagogiques et des entrées au sein des programmes officiels existants : sciences, éducation physique et sportive, maitrise de la langue, histoire, etc. Faire prendre conscience aux enfants des limites qu’ils se fixent eux-mêmes, des phénomènes d’autocensure trop courants, leur donner confiance en eux, leur apprendre à grandir dans le respect des autres, tels sont les objectifs poursuivis […]. ». GALLOT, Fanny ; PASQUIER, Gaël . « L’école à l’épreuve de la ‘théorie du genre’ : les effets d’une polémique. Introduction », Cahiers du Genre, vol. 65, no. 2, 2018, pp. 5-16.

468 Voir MOSCONI, 1989 ; DURU-BELLAT, 1990 ; BAUDELOT-ESTABLET, 1992 ; BOURDIEU 1998.

469 Bulletin officiel de l’Éducation nationale, édition spéciale n° 9 du 30 septembre 2010.

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refondation républicaine de l’école. Le 7 décembre 2012, des députés UMP demandent la création d’une commission d’enquête sur la diffusion de la théorie du genre en France471. Des regroupements appelés « comités de parents vigilance gender » voient le jour dans les établissements scolaires. Des brochures invitent tous les parents à s’y joindre ou à en créer avec le corps enseignant afin de :

« Veiller à ce que l’identité sexuelle homme/ femme ne soit pas remise en cause auprès des enfants, et d’éviter que la question des pratiques sexuelles soit évoquée à l’école, c’est-à-dire à un âge bien trop précoce. La Manif pour tous souhaite éviter l’intervention malvenue de l’État dans un domaine intime, la déconstruction de repères élémentaires. Elle vise aussi à aider les parents à exercer pleinement leur rôle de premiers et principaux éducateurs de leurs enfants. »472.

Des universitaires, qui sans accorder un crédit inconditionnel à l’usage de la notion du « genre » en France, insistent sur son importance et partagent des pistes d’adaptation. Josiane HAY présente dans son article « Le casse-tête de la traduction du mot « gender » en français » un problème de traduction de l’anglicisme dans une publication du Département Santé et développement de l’enfant et de l’adolescent de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et ONUSIDA. L’approche faisant appel aux outils de la sociologie et du féminisme américain est utilisée, tout en en destinant la publication à une population francophone de pays en développement. Or, dit-elle, la majorité des pays francophones hors de l’Europe et de l’Amérique du Nord sont situés en Afrique. Une approche sociologique et féministe américaine convient-elle pour ces pays se demande l’auteur473? On perçoit en effet une utilité « surprise » de la notion sur une approche des rapports de pouvoir qui pèsent sur les femmes « non blanches », théorisée par la philosophe Maria LUGUNES dans sa théorie sur « la colonialité du genre »474. Les féministes décoloniales en France s’en sont saisi pour développer leur approche de la domination patriarcale et coloniale. Amina MAMA tente de comprendre la violence à l’encontre des femmes dans l’Afrique « postcoloniale », en établissant un lien avec la violence du colonialisme avec à

471 COLLET, Isabelle. « Faux semblants et débats autour du genre et de l’égalité en éducation et formation », Recherche et formation, 70, 2012, pp. 121-134.

472 SAVY, Nicole. « Débat sur le genre… et les anti-genre », Hommes & Libertés, n° 164, Décembre 2013, p. 14.

473 HAY, Josiane. « Le casse-tête de la traduction du mot « gender » en français », ILCEA, 3, 2002, p. 113.

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ses origines « les rapports de genre et la violence de genre à la source impériale »475. Elle lie les masculinités de l’empire colonial à la violence. La colonialité du genre s’appréhende alors comme la subordination du genre à la logique de la race.

Josiane HAY conclut par syllogisme avec le premier point que la traduction d’un texte féministe qui s’adresse à un marché francophone singulièrement occidental requiert nécessairement un respect fidèle des concepts et de leur expression et une recherche terminologique pouvant aller jusqu’à l’invention de néologismes adaptés. Dans les faits, l’introduction des néologismes requiert soit de « respecter fidèlement l’approche choisie par l’auteur anglophone et avoir recours à tous les néologismes disponibles », soit « d’utiliser une terminologie plus classique, plus accessible, mais au risque de trahir l’approche, de l’édulcorer »476.

Sinon, on peut au mieux décider d’une solution intermédiaire et adapter les néologismes anglais en vue d’une appropriation au risque de ne pas en faire un usage idoine. Lorsque cela concerne une règle juridique, cette instabilité conceptuelle peut mettre en péril son effectivité (II).

II. Limites liées à l’effectivité du droit « hybride » de lutte

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