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Première partie. Le cadre juridique français de lutte contre les discriminations et l’influence du droit

Chapitre 1. Genèse de l’égalité femmes/hommes en

1. Les suffragettes britanniques (1903 – 1918)

Les suffragettes étaient des féministes britanniques du début du XXe siècle qui, se sont distinguées par une force d’actions violentes, qui aboutirent au droit de vote féminin en 1918. Elles se sont enchaînées à des rails, ont brisé des vitrines, saboté des lignes électriques et ont même fait exploser une bombe au domicile d'un ministre. La fondatrice du groupe. L’appellation les « suffragettes » procède d’un quolibet que le Daily Mail attribue en 1906 aux militantes de la Women’s social political union (WSPU), créée en 1903 par Emmeline PANKHURST à Manchester205. Le monde féministe pense que la lutte pour l'égalité des droits des femmes a débuté dans le monde anglo-saxon avec la publication de Mary WOLLSTONECRAFT : A Vindication of the Rights of Woman en 1792206. Il est aussi reconnu que les révolutions françaises ont encouragé les réformateurs à penser que le vent de l’histoire soufflait en leur sens et ont eu beaucoup de répercussions sur l’orientation de la politique britannique et sur les droits civils et politiques en particulier207. Ce que reconnait Friedrich ENGELS lorsqu’il dit : « La révolution française de 1848 a sauvé les classes moyennes anglaises. Les penchants socialistes prononcés des travailleurs français ont effrayé la petite classe moyenne anglaise et désorganisé le mouvement de la classe ouvrière »208.

204 BIJON, Béatrice ; DELAHAYE, Claire. Suffragistes et suffragettes : la conquête du droit de vote des femmes au Royaume-Uni et aux États-Unis, de, Lyon, ENS Éditions [École normale supérieure de Lyon], coll. « Les fondamentaux du féminisme anglo-saxon », 2017, p. 15.

205 AFP. « Cinq choses à savoir sur les suffragettes britanniques », Journal L’Express, [En ligne], fév. 2018, [Consulté le 14/03/2020], url: https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/cinq-choses-a-savoir-sur-les-suffragettes-britanniques_1981260.html.

206 WEXLER, Alice, GOLDMAN, Emma. “Emma Goldman on Mary Wollstonecraft.” Feminist Studies, vol. 7, no. 1, 1981, p. 113.

207 JOANNA, Innés. « La « réforme » dans la vie publique anglaise. Les fortunes d'un mot », Histoire, économie & société, vol. 24e année, no. 1, 2005, p. 79.

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La Constitution britannique garantit des « libertés », elle ne fait pas de « déclarations de droits », cela signifie qu’on a le droit de faire ce qui n’est pas interdit par la loi209. La tradition britannique a instauré une citoyenneté verticale qui faisait que seuls les hommes jouissaient des droits de la citoyenneté qui, jusqu’au XIXe siècle étaient en général associés au droit de vote. Si ce droit ne constitue pas une garantie de la jouissance de droits universels, il marque une condition préalable à ces droits210. Alors, la lutte pour le droit de vote révèle un lien intrinsèque avec celle des droits universels. La Reform Act de 1832 (La grande Réforme ou la loi ou encore « La représentation du peuple loi 1832 ») étend le suffrage à presque tous les hommes aisés (suffrage censitaire masculin)211, et celle de 1867 l’ouvre aux ouvriers chefs de famille ; une autre Reform Act prise en 1884 va l’étendre à la quasi-totalité des hommes (à l’exception des incapables juridiques, des prisonniers, aux hommes de moins de 20 ans, etc.). Ce n’est qu’en 1918 que le droit de vote sera accordé aux femmes de 30 ans (Il laissait aux hommes la majorité du suffrage, soit 60% de l’électorat)212. Mais c’est vraiment au milieu du 19e siècle que l’Angleterre victorienne est exposée au débat sur la question féminine213. La question du suffrage fut abordée pour la première fois par Harriet TAYLOR644 avec le soutien de son futur époux, philosophe, John Stuart MILL qui l’accompagna dans la défense des droits de femmes en se faisant élire au Parlement en 1865 et en 1866 où il mena campagne pour l’obtention de leur droit de vote214. Il initia notamment une pétition réclamant l’ouverture du suffrage féminin, et présenta un amendement au Reform Bill de 1866, proposant le remplacement de la notion

209 La Constitution britannique ne se présente pas, comme la Constitution française ou la Loi fondamentale allemande, sous la forme d’un texte unique. Elle regroupe un ensemble de textes et de lois du Parlement qui remontent, pour certains, au XIIIe siècle.

210 CLAYTON, Pamela. « Citoyenneté sociale et statut juridique des femmes au Royaume-Uni », Université de Glasgow [en ligne], avril 1997, [en ligne] consulté le 19 juin 2020. Url :

http://www.helsinki.fi/science/xantippa/wle/wlf22.html.

211 À retenir également qu’un des objectifs de la Loi était de lutter contre la corruption. Des postes ont ainsi été supprimés dans les « bourg pourris » très touchés par la corruption. Le nombre d’électeur passe de 300.000 à 600.000, mais la masse populaire est toujours très loin de prendre part au suffrage.

212 PFLIMLIN, Edouard. « 1918 : Les femmes obtiennent le droit de vote au Royaume-Uni ». Le Monde, [en ligne], 06 février 2018, [consulté le 10 octobre 2019]. Url: https://urlz.fr/aWsn.

213 TAYLOR, Harriet. “Enfranchisement of Women”, Westminster Review, 1851. (Cité par CLAYTON, Pamela. Op. cit.). Le périple des revendications féminines et féministes au Royaume-Uni retient dès 1792 le Vindication of the Rights of Women (manifeste sur les droits des femmes) portant sur l’égalité des sexes.

214 STUART MILL, John. “Of the extension of the suffrage” in Representative Government, 1861. (Cité par CLAYTON, Pamela. Ibid.).

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« homme » par celle de « personne »215. Si à ce moment, l’amendement fut rejeté, et les femmes propriétaires mieux écartées de la Loi de Réforme de 1867, ces actions ont donné place à un débat de fond tant au Parlement qu’au sein de la population. Et sans surprise, les arguments des opposant·e·s au droit de vote des femmes sont aussi variés que similaires à ceux exprimés en France :

La division naturelle des sphères publique et privée entre les hommes et les femmes ;

La crainte que des femmes créent des difficultés en votant contre leur mari ;

Le droit de vote anoblit les hommes, mais rabaisse et dégrade les femmes car elles

risquent de perdre « leur douceur, leur affection et leur attachement au foyer »216 ;

La politique n’intéresse pas les femmes ;

Selon un député écossais, les hommes doivent assumer les tâches pénibles et faire

preuve d’une stabilité de caractère et d’une intelligence supérieure, alors que les femmes dépassant de beaucoup les hommes s’occupent de situations requérant douceur, affabilité et

amabilité217, d’où leur inaptitude à la vie politique.

On retrouve ici la reconnaissance des devoirs d’ordre public et aussi privé aux femmes mais sans les droits. Pendant pratiquement cinq siècles, la loi était demeurée figée par rapport aux femmes. Les femmes étant naturellement intégrées dans les deux sphères, au centre de tout, elles étaient, des « makers and doers » (créaient et faisaient) si bien que les hommes ne pouvaient s’en passer. Elles pouvaient quand-même positivement influencer les hommes même si elles n’étaient pas faites pour la vie publique. On note pour ces reconnaissances moins de mépris à la lutte des femmes et des féministes qu’en France.

Des femmes ont aussi pris le parti des hommes dans la justification de leur propre inaptitude à la vie politique218, en accord avec les conséquences de l’obtention du droit de vote féminin sur les différences naturelles entre les deux sexes. Mrs Humphrey WARD, Lady Randolph CHURCHILL, Beatrice POTTER notamment s’engagèrent fermement contre le droit de vote des femmes. Elles disaient que les femmes, trop irascibles pour intervenir dans les débats parlementaires, étaient faites pour influencer et non pour exercer un pouvoir, légiférer ou administrer. Elles maintenaient la thèse exposant que les femmes

215 Op. Cit.

216 Parliamentary Debate, vol CLXXXVII, 1867, pp. 829-35 / 838-40.

217 CLAYTON, Pamela. Ibid.

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mariées voteraient selon le choix de leur mari, et craignaient qu’une fois autorisées à voter, se rompe l’harmonie de la vie de famille219. Les hommes encouragèrent ces femmes à lutter pour l’exclusion des femmes de la vie politique en leur ouvrant le monde politique par la signature d’une pétition contre le droit de vote, des tokens!

À l’issue de la Première Guerre mondiale, le mouvement organisé et tenace des suffragettes et les autres revendications aboutirent au droit de vote pour toutes les femmes en 1928, avant les françaises. Comme en France, les anglaises avaient su montrer qu’elles avaient une valeur de citoyennes pendant la guerre de 1914-1918. Mais contrairement à la vision française, elles sont nombreuses à penser que cela n’a pas suffi à motiver l’obtention du droit de vote, leurs luttes militantes ayant produit un plus grand effet social. Comment s’est alors organisée la lutte des femmes françaises ?

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