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Le modèle français de l’égalité comme obstacle à la réception du droit européen de lutte contre les discriminations

➢ …Vers une politique de lutte contre les discriminations en France

A. Le modèle français de l’égalité comme obstacle à la réception du droit européen de lutte contre les discriminations

Le principe d’égalité régit en tant que principe général du droit, l’organisation et le fonctionnement des services publics308, l’accès à la fonction publique309 et le statut des fonctionnaires310, la situation des contribuables311 et des utilisateurs du domaine public312,

304 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme / ONU, 1948 ; Convention 111 / OIT, 1958 ; Convention internationale de l’ONU sur l’élimination des discriminations raciales / ONU, 1965 ; Pacte international sur les droits civils et politiques, 1966 ; Pacte international sur les droits économiques et sociaux, 1966 ; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes / ONU, 1979.

305 Traité de Rome / CEE, 1957 ; Directives européennes de 1975, 1997 et 2000 ; Charte des Droits fondamentaux / UE, 2000 ; Convention européenne des Droits de l’Homme / Conseil de l’Europe, 1950.

306 Notamment les conventions 100 (1951) et 111 (1958) de l’OIT et la convention de l’ONU (1979) sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

307 Toutes les décisions de la CJCE seront présentées sous l’appellation (ex-) CJUE.

308 CE, Sect, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire, Rec. 151.

309 CE, Ass., 18 mai 1954, Barel, Rec. 308.

310 CE, Ass., 3 juillet 1936, Dlle Bobard, Rec. 721 pour la reconnaissance du principe de l’égale aptitude des femmes aux emplois publics. GAJA, n°48, 19e éd., p. 306 pour le développement de ce principe, en particulier dans les statuts de la fonction publique.

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ou encore le régime de responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques313. Longtemps cherchée (l’égalité) dans la généralité de la loi qui s’adresse à un « homme » abstrait et universel, elle se trouve pourtant aussi dans la différenciation, avec pour sujet l’humain incarné et situé, considéré dans son identité globale (physique, sociale et économique)314. Le rapport du Conseil d’État sur le principe d’égalité de 1996 statue que « la non-discrimination […] constitue une application stricte du principe d’égalité entre les sexes, affirmé par le préambule de la Constitution de 1946 toujours en vigueur. En revanche, elle ne peut avoir pour prétention de réaliser l’égalité réelle des hommes et des femmes dans tous les aspects de la vie sociale »315. Comme l’observe Éliane VOGEL -POLSKY, cette égalité devant la loi, reconnue dans ces textes, s’accommode de différenciations et d’inégalités « justifiées », notamment pour les femmes. Elle estime qu’« elles ne pourront donc pas prétendre à l’égale protection d’une loi qui ne les vise pas »316. Pour mieux comprendre l’égalité, referons-nous à son antonyme : l’inégalité. L’inégalité, c’est une situation de fait, résultant soit de facteurs inhérents à la personne (âge, maladie, handicap, aptitudes personnelles particulières…), soit de facteurs exogènes (les structures sociales ou économiques qui soit admettent les inégalités, soit proclament un idéal égalitaire qui n’est pas réalisé dans les faits), les deux pouvant interagir dans le cas où le système social renforce les inégalités : ainsi, une personne handicapée trouve plus difficilement les moyens de gagner sa vie.

Même si cela semble paradoxal, l’un des principaux obstacles à l’extension des dispositifs de lutte contre les discriminations en France reste le principe d’égalité. Il s’agit surtout des conceptions spécifiques dont il peut faire l’objet. En effet, c’est la lecture universaliste du principe qui lui confère une conception essentiellement formelle contre laquelle butent certaines mesures de mise en œuvre de la lutte contre les discriminations317. Cette

311 CE, Sect., 4 février 1944, Guieysse, Rec. 45 sur le principe d’égalité devant l’impôt.

312 CE, Sect., 2 novembre 1956, Biberon, Rec. 403.

313 Le principe d’égalité et le droit de la non-discrimination 10 ans de droit de la non-discrimination /

314 SAUVE, Jean-Marc. Le principe d’égalité et le droit de la non-discrimination, In 10 ans de droit de la non-discrimination / L‘avancée jurisprudentielles, Colloque, 2015, 153 p.

315 FONDIMARE, Elsa. La mobilisation de l’égalité formelle contre les mesures tendant à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : le droit de la non-discrimination contre les femmes ?, La Revue des droits de l’homme, 11, 2017, p. 1.

316 VOGEL-POLSKY, Eliane. Op., cit., p. 15.

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conception requiert de ne pas différencier les individus devant la loi. Par conséquent, il ne peut être accordé à une catégorie d’individus donnée un traitement favorable, ni à l’opposé, adopter des mesures qui désavantageraient une autre catégorie. Nous illustrerons cette analyse avec le sujet de la parité femmes/hommes (1). Dans la pratique, les autorités juridictionnelles françaises vont en prôner une application stricte exigeant que toute différence de traitement soit justifiée. Relativement à notre sujet de recherche, nous illustrerons cette lecture par des contentieux dans le champ des statistiques ethniques (2).

1. Le principe d’égalité formelle : Exemple des mesures favorisant l’accès

des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les

organisations politiques et professionnelles

Remy HERNU, dans « Principe d'égalité et principe de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes », présente le principe d’égalité comme une valeur intrinsèquement européenne ; il la décrit comme une passion européenne du fait qu’elle soit le fruit d’une double quête : les révolutions démocratiques et la construction européenne318. Sans ce principe, l’unité n’est pas concevable dans la Communauté européenne et dans l’Union européenne. Cela explique pour lui pourquoi l‘égalité est le « seul véritable » droit fondamental inscrit dès l’origine dans les traités (principe de non-discrimination en raison de la nationalité notamment), lequel constitue depuis un domaine de compétence pour les institutions communautaires (art 13 CE); le projet de traité prévoyant une Constitution pour l’Europe précise selon la jurisprudence de la CJUE, que l’Union n’est pas compétente, sauf exception (surtout en matière d’égalité), en matière de protection des droits humains319. HERNU ajoute que l’égalité est tellement importante qu’elle ne concerne pas uniquement les personnes, mais également les choses relevant de la réalisation d’un Marché commun : les biens et les services.

318 HERNU, Rémy. Principe d’égalité et principe de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, thèse dirigée par Gérard Soulier, Université d’Amiens, 2011. Bibliothèque de droit public, 232, 1 vol. (XIV-555 p.).

319 Une éventuelle adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme "ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies par la Constitution”.

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Véronique CHAMPEIL-DESPLATS retrace dans son article « Le droit de la lutte contre les discriminations face aux cadres conceptuels de l’ordre juridique français »320 les problèmes que posent les grands principes juridiques français et en montre les enjeux. Elle explique que la prégnance de la conviction que la loi doit être la même pour tous est probablement l’une des causes du caractère à la fois tardif et strict de l’introduction d’une approche différentialiste du principe d’égalité au sein des décisions juridictionnelles françaises.

Les mesures favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et

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