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Principales caractéristiques

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Chapitre 1. Cadre théorique

1.1. Système de castes

1.1.1. Principales caractéristiques

Le système de castes divise l'ensemble de la société en un grand nombre (variable selon les régions) de groupes héréditaires64 différenciés et liés par trois caractéristiques établies par Louis Dumont en 196665 :

Séparation, dans l'union matrimoniale et dans le contact direct et indirect (aliments, eau, pipe, etc). La caste est un groupe fermé (endogame), auquel on accède uniquement par la naissance. C'est la caractéristique qui a, selon Robert Deliège, le mieux résisté à la modernisation66. Cette endogamie, selon Roland Lardinois, serait cependant appliquée non au niveau de la caste mais de la sous-caste, qui serait en réalité la véritable unité endogame67. C’est cette double séparation (connubialité et commensalité interne au groupe, ou à un niveau externe : endogamie et non-commensalité) qui maintient le système de castes de nos jours68.

Division du travail : chaque groupe a une profession traditionnelle ou théorique.

Les castes ont des noms de professions, de sectes, de tribus, par exemple. La profession est liée au statut uniquement par des aspects religieux : une profession qui oblige à réaliser une tâche considérée impure, comme par exemple traiter la peau des cadavres de vaches, est liée, d'un point de vue religieux, et par conséquence social, à un statut bas (indépendamment de la classe sociale).

63 Jackie Assayag, 2006 [1996], « Les fabriques de la caste : Société, État, démocratie », in C. Jaffrelot (dir.), L'inde contemporaine de 1950 à nos jours, Fayard-Ceri, Paris, p. 483.

64 Waughray 2009: 416.

65 Ces trois caractéristiques avaient déjà été énoncées par Célestin Bouglé, mais Dumont les unifia en un seul concept: la hiérarchie. Célestin Bouglé, 1935 [1908], Essais sur le régime des castes, Paris, Presses Universitaires de France; M.N. Srinivas, 1984, « Some reflections on the nature of caste hierarchy », Contributions to Indian Sociology (n.s.) 18, 2; Dumont, L., 1966, Homo Hierarchicus, Le système des castes et ses implications, Paris, Gallimard.

66 Robert Deliège, 2006, Le système indien des castes, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d'Ascq.

67 Lardinois 2009 : 151.

68 Waughray 2009: 416.

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Hiérarchie : celle-ci classe les groupes comme relativement supérieurs et inférieurs les uns aux autres. Cette hiérarchie n'est pas linéaire mais plutôt relative, dans un système structural d'oppositions. Les castes sont endogames, mais elles ne sont pas autarciques ; il ne faut donc pas oublier l'interdépendance qui existe entre les différentes castes. Mais interdépendance ne veut pas dire égalité, et nous avons donc ici une hiérarchie, basée sur les notions de pureté/impureté.

Pour Baechler, endogamie, séparation et spécialisation sont nécessaires pour le fonctionnement des castes. La séparation entre castes garantit l'endogamie, qui à son tour maintient des réseaux d'interdépendance au niveau territorial, lesquels assurent l'autarcie d'un ensemble de villages. La spécialisation est également fonctionnelle, car si chaque caste était autosuffisante, elles se concurrenceraient entre elles et seraient en conflit permanent.

Par contre, la hiérarchie n'est pas indispensable pour le fonctionnement du système. Elle serait le fruit d'une coaction généralisée qui oblige toutes les sociétés productrices et accumulatrices à créer une stratification, ainsi que d'une interférence politique et idéologique (les Varna et les Brahmans)69.

Aux trois caractéristiques de base qu'expose Dumont, il faut ajouter l'exhaustivité (tout le monde appartient à une caste, même les musulmans et les chrétiens de l'Inde)70. Une autre dimension essentielle de la caste est, ainsi que le souligne J. Assayag, « sa capacité à se renouveler perpétuellement sous l'influence des réseaux politiques, de la diversification ethnique, de la mobilité sociale, des fragmentations et des fusions à travers les fédérations, les partis ou les coalitions »71. Cet auteur insiste sur la plasticité de la caste, en montrant qu'il y eut aussi bien des fissions (fréquentes au Moyen-Âge) que des fusions (fréquentes dans l'Inde moderne)72. Nous verrons cela d'un peu plus près dans quelques paragraphes.

Le système de castes sépare le statut du pouvoir politico-économique : un haut

69 Baechler, J., 1988, La solution indienne : essai sur le régime des castes, Presses Universitaires de France, Paris, p.62-63.

70 Deliège 2006 : 24-27.

71 Assayag 2006 : 503.

72 Assayag 2006 : 484.

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statut ne correspond pas forcément à un certain pouvoir économique ou politique ni à une certaine richesse. On peut être Brahman et pauvre. On peut être d'une caste

« intouchable »73 et ministre. Pas de corrélation absolue, donc, entre le statut de caste et le niveau économique ou le pouvoir politique, même si une écrasante majorité des basses castes vit dans une extrême pauvreté74.

Cette désarticulation de la caste et du pouvoir économique s’illustre dans les dernières données du Recensement Indien de 201175, qui dénombre plus de 65 millions de personnes vivant dans des bidonvilles, dont 13,3 millions de Scheduled Castes. Il reste donc plus de 41 millions de personnes qui, sans appartenir à une caste intouchable, vivent dans des bidonvilles.

Cette absence de corrélation totale entre la caste et le statut politico-économique ne doit cependant pas nous aveugler quant aux conditions précaires dans lesquelles vit la majorité des intouchables (Scheduled Castes), victimes de discrimination. Comme insista Ambedkar, lui-même de caste intouchable, la caste et l’intouchabilité ne sont pas qu’une affaire socioreligieuse, mais bien un problème de droits civiques et économiques76.

1.1.2.Interprétations

L'origine de ce système de castes a été interprété comme une classification

73 Il est difficile de trouver un terme pour remplacer l’appellation “intouchable”, considérée comme politiquement incorrecte. Harijan, qui signifie “enfants de Vishnu”, et proposé par Gandhi, ne fait pas l’unanimité, car jugé par certains comme trop paternaliste et hindouiste; Dalit, qui signifie “opprimé” en marathi, a été revendiqué depuis les années 1970 dans les luttes contre la discrimination des castes les plus basses [cf Josiane Racine, “Corps offert, corps meurtri : dévotion, grâce et pouvoir dans un culte villageois à Murukan” dans Véronique Bouillier et Gilles Tarabout (dir.), 2002, Images du corps dans le monde hindou, Paris, CNRS éditions, p.343], mais n’est pas utilisé dans la vallée du Jalori. Le terme officiel est « Scheduled Castes » (castes répertoriées), utilisé dans l’administration. Cependant, nous prenons la liberté d’utiliser également le mot intouchable, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous considérons que les multiples changements d’appellation n’enlèvent en rien l’intouchabilité, qui a une réalité sociologique bien solide. Ensuite, pour des lecteurs spécialistes de l’Inde et du système des castes, le mot “Scheduled Castes” renvoie immédiatement à ce groupe de castes discriminées, mais la chose n’est pas si claire pour des lecteurs non habitués à l’Inde. Or, la caractéristique commune de ces Scheduled Castes, c’est l’intouchabilité qu’elles subissent. En outre, et c’est notre raison principale, le mot “intouchable” porte en lui le poids de la violence qui frappe ces castes, ce que le mot “Scheduled Castes” ne reflète pas du tout. Puisque ce qui caractérise ces “castes répertoriées” est la discrimination et la violence, il me semble que c’est le mot intouchable, mot à la violence palpable, qui est le plus approprié.

74 Deliège 2006 : 62 et 74.

75 Census of India 2011, Primary Census Abstract Data for Slum (India & States/UTs) (Censusindia.gov.in).

76 Christophe Jaffrelot, 2005, Dr Ambedkar and Untouchability: Analysing and Fighting Caste, Permanent Black, New Delhi.

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raciale (Risley 1908), un regroupement de travailleurs (Nestfield 1885) ou encore une extension de la famille (Senart 1928)77. Hocart78 suggéra en 1938 une proposition plus intéressante en mettant en avant le facteur religieux : selon lui, ce ne sont pas les raisons économiques qui ont poussé l'humain à vivre en société, car celles-ci divisent plus qu'elles n'unissent. Par contre, le besoin de contrôler les forces naturelles pousse l'humain à s'organiser en sociétés autour des rituels. Selon Hocart, donc, l'organisation du sacrifice est la fondation du système de castes. Chaque occupation est, avant tout, un sacerdoce. La différence entre barbiers et éboueurs n'est pas tant leur fonction économique que leur position dans le sacrifice. Pour pouvoir pêcher, nul besoin d'une caste de pêcheurs. Cette hypothèse expliquerait pourquoi il existe une caste d'agriculteurs dans un pays où la grande majorité des habitants sont agriculteurs. Ce fondement religieux a été réaffirmé par d'autres anthropologues, dont Louis Dumont.

Roland Lardinois met également la notion du sacrifice au centre de la logique des castes, la spécificité de l'homme hindou étant celle d' « être un sacrifiant »79. Ce qui importe dans la détermination du statut n'est pas la profession réelle mais bien la spécialisation traditionnelle de la caste à laquelle appartient l'individu : un Brahmane qui travaillerait comme éboueur aurait tout de même un statut plus élevé qu'un ingénieur de la caste des éboueurs80.

Baechler81 offrit une interprétation radicalement différente : son hypothèse propose la combinaison d'une unité culturelle en même temps qu'une incapacité à imposer un pouvoir. Il n’y aurait eu ni empires ni royaumes capables de donner à la société la cohérence (aspect objectif : règles d'organisation) et la cohésion (aspect subjectif : passions, intérêts, représentations) que la tribu ne pouvait plus assumer. Les Brahmanes auraient inventé ce système qui aurait donc comme origine la morphologie sociale. Une des critiques adressées à Baechler est qu'il prendrait l'effet pour la cause : l'unité culturelle pourrait très bien être, non pas l'origine mais le fruit du système de castes82.

77 Risley, H., in Assayag 2006 : 487.

78 Hocart, A., 1938, Les castes, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, in Deliège 2006 : 35 et 108.

79 Lardinois 2009 : 150.

80 Deliège 2006 : 109.

81 Baechler 1988.

82 Deliège 2006 : 38.

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Les Veda (textes sacrés datant de 1500 à 500 a.c.) ne constituent pas une source fiable pour l'étude des castes : ils n'ont pas été écrits par des historiens mais par des Brahmanes, et leur objectif n'était probablement pas de laisser à la postérité un témoignage sur leur époque : ce sont des textes religieux qui tentaient de réaffirmer l'hégémonie brahmanique à une époque où le boudhisme gagnait du terrain83. Il est néanmoins nécessaire d'expliquer ici l'ordre des varna, qui surplombe les systèmes des castes, et avec lesquels il est souvent confondu. Dans un hymne du Rigveda (X, 90, 12), l'Homme primordial (Purusha)84 donna « naissance » à quatre classes (ou varna, qui signifie “couleur”), ordonnées selon une hiérarchie stricte. De sa bouche serait issue la classe des Brahmana, c'est-à-dire les Brahmanes, les prêtres ; de son bras, les Kshatriya, c'est-à dire guerriers et Rois ; de sa cuisse les Vaishya, qui sont les agriculteurs et commerçants ; et de ses pieds seraient issus les Shudra, ceux dont l'unique fonction est de servir les trois varna précédents. Ces trois premiers varna sont appelés dvija, ce qui signifie « deux fois nés », en référence à la cérémonie appelée Upanayana85, à partir de laquelle ils peuvent porter le cordon sacré qui croise leur torse et qui signifie l'accès au savoir védique et aux rituels sacrificiels. Les Lois de Manou annoncent qu'il n'y a pas de cinquième varna, en conséquence de quoi, les intouchables sont considérés comme sans varna (mais non sans jati)86.

Parallèlement aux varna, que l’on pourrait considérer comme étant la base idéologique du système des castes, existent les jati, groupes endogames, les véritables castes d’un point de vue sociologique, ayant une réalité sociale bien plus solide que les varna. Jati signifie naissance87, mais aussi espèce, comme des espèces de bois, espèces végétales ou animales88. Le sang, selon les représentations locales, est différent dans chaque caste, et l'endogamie est donc un point essentiel89.

Tandis que la hiérarchie des varna est claire, linéaire, fixe et immuable, la classification hiérarchique des diverses jati a toujours été caractérisée par de multiples mouvements,

83 Deliège 2006 : 14 et 38.

84 Lardinois 2009 : 150.

85 Herrenschmidt, O., 2006 [1996], « Les intouchables et la République indienne », in Jaffrelot, C. (dir.), L'Inde contemporaine de 1950 à nos jours, Fayard-Céri, Paris, p. 514.

86 Herrenschmidt 2006 : 514.

87 Herrenschmidt 2002 : 131 et Assayag 2006 : 484.

88 Herrenschmidt 2002 : 131 et Lardinois 2009 : 151.

89 Deliège 2006 : 20.

47 changements, promotions et chutes90.

Mais l'individu existe aussi en-dehors de sa caste, même si celle-ci est un des éléments essentiels dans la constitution de sa personne. De plus, la préoccupation pour l'harmonie et l'équilibre est surtout d'ordre individuel, pour soi-même et sa famille91.

Nous ne pouvons donc assimiler, comme déjà annoncé, les castes aux classes sociales (bien que celles-ci existent tout de même en Inde) : d'abord parce que cela reviendrait à appliquer des concepts analytiques européens à une réalité étrangère ; ensuite, parce que dans le système de castes il n'y a pas (ou plus) de corrélation entre le statut et l'économie ; enfin parce qu'il n'y a pas toujours de « conscience de classe » : tandis que dans le système des classes sociales, les sujets se solidarisent en blocs horizontaux (par exemple, l'ensemble des ouvriers), dans le système de castes les sujets se solidarisent (ou en tout cas se solidarisaient) en blocs verticaux : les travailleurs faisaient bloc avec leur maître, contre un autre maître soutenu par ses propres travailleurs. De cette façon, des sujets de la même condition sociale et économique pouvaient lutter entre eux92. Ambedkar aurait d'ailleurs souligné, à ce sujet, que « le système des castes n'est pas simplement une division du travail. C'est aussi une division des travailleurs »93. Herrenschmidt donne un exemple significatif de cette distinction entre caste et classe : en juillet 1978, des membres de la caste Vanniyar (une caste

« arriérée », c'est-à-dire faisant partie des Backward Classes, mais qui tenait à être reconnue comme appartenant au varna des Kshatriya) et qui travaillaient comme journaliers aux côtés des intouchables, n'hésitèrent pas à massacrer ceux-ci lors d'émeutes à Villupuram (Tamil Nadu), préférant ainsi se ranger du côté des hautes castes que des intouchables avec qui ils partagaient pourtant la classe sociale94...

La caste fut aussi synthétisée comme étant un « état d'esprit »95. Dans ce système, chaque caste est divisée en catégories (sous-castes), et bien que certaines castes se retrouvent partout en Inde (comme les castes de Brahmanes), on remarque une

90 Cf Waughray 2009: 417.

91 Deliège 2006 : 91-95.

92 Deliège 2006 : 127.

93 Ambedkar, B.R, 1936, Annihilation of Caste, Vol.I, in Herrenschmidt, O., 2006 [1996], « Les

intouchables et la République indienne », in Jaffrelot, C. (dir.), L'Inde contemporaine de 1950 à nos jours, Fayard-Céri, Paris, p.531.

94 Herrenschmidt 2006 : 531.

95 Ambedkar 1936, repris par Herrenschmidt 2006 : 520 et aussi Dumont 1966.

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forte diversité régionale. Pour cette raison, on ne peut pas définir les éléments car ils sont différents à chaque endroit. On peut par contre définir le système, ou plutôt les systèmes, qui sont plus ou moins constants. D'autre part, une caste ne peut se comprendre seule, elle existe uniquement en relation avec les autres castes et ce sont ces relations avec les autres castes qui forment le système.

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