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Corps parés

Dans le document persona, impuresa i sistema de castes avui (Page 176-180)

Chapitre 3. La fabrique de l'humain

3.2. Les trois composantes de l'être humain

3.2.1. Sharîr, le corps

3.2.1.7. Corps parés

Enroulé autour de leur corps, par-dessus l'ensemble salwaar-kamiz (tunique et pantalon), les femmes portent le pattu, grande couverture de laine qu'elles tissent elles-mêmes avec la laine de mouton et de chèvre, décorée de motifs géométriques de couleur, et qu'elles attachent à chaque épaule par deux petites fibules en argent, reliées entre elles par une chaînette. Les motifs tissés sur les pattu sont libres, et n’ont aucun lien ni avec les castes, ni avec le statut économique, ni avec le statut de mère, par exemple.

Elles portent sur la tête un petit foulard, le tipu, noué derrière la nuque. Un peu de vermillon (sindhûr), ou actuellement de vernis à ongles rouge, est apposé sur le début de la raie des cheveux.

Les oreilles sont percées d'au moins un trou de chaque côté chez les jeunes filles, et d'une mutitude d'anneaux tout le long de l'oreille chez les vieilles femmes. Le nez est percé avant l’adolescence d'au moins un trou, dans lequel est glissé un bijou, le tili ou

535 Comme le précisent Alan Howard et Jan Rensel pour Rotuma (îles Fidji) : « Ce n'est pas un hasard si la stratégie de guérison favorite est le massage. Cette imposition des mains, souvent durant de longs moments, signifie intimité et affection, en particulier quand elle est accomplie en présence d'amis et de parents. Le massage dans de tels contextes, résume le symbolisme associé à la fois à la santé recouvrée (ordre corporel) et les relations sociales (ordre social) ». Alan Howard et Jan Rensel, 1998, « Une

profondeur qui s'arrête à la surface de la peau : ordre social et corps à Rotuma », dans M. Godelier et M.

Panoff, La production du corps, Amsterdam, Overseas Publishers Association, p.195.

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khundu, de préférence en or. Lorsqu'elle se mariera, la jeune fille portera au nez le balu et le nath (immenses anneaux attachés par une chaînette à l'oreille). Les jeunes filles actuelles (célibataires ou mariées) ne portent plus qu'un seul piercing au nez, tandis que les vieilles femmes portent un bijou à chaque narine, et certaines, en plus de ces deux bijoux, un anneau au milieu536.

Entre les sourcils est collé un bindi. Aux poignets, des bracelets (churi) en verre, en argent (appelés alors kangnu) ou en plastique. Au cou, des petits colliers; d'autres plus imposants, en or ou argent, appelés chauki et chandrahar, sont réservés aux fêtes et cérémonies. Le mangalsutr, collier noir et doré des femmes mariées, associé à shubbh dans la tradition hindoue des plaines, a fait son apparition dans la vallée depuis quelques années. Aux chevilles, des anneaux appelés panjeb, et aux orteils, des bagues appelées poli.

536 Voir photo 4 : « Corps parés ». Ce piercing au nez, généralement réalisé pendant l’adolescence mais parfois dès l’enfance, doit absolument être prêt avant le mariage. Cela, aujouté au fait que la veuve doive retirer ce bijou, puis le replacer après le seizième jour de deuil, nous suggère un lien entre le piercing au nez et la sexualité (contrôlée) de la femme. Un passage de Nur Yalman semble confirmer cette intuition, lorsqu’il raconte que les femmes Brahman Nambudiri, qui doivent rester pures toute leur vie, doivent rester vierges, s’habiller de blanc… et ne pas percer leur nez. Nur Yalman, 1963, “On the Purity of Women in the Castes of Ceylon and malabar”, The Journal of the Royal Anthropological institute of Great Britain and Ireland, vol.93, nº 1, p.51.

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Le dénominateur commun de tous ces bijoux est le mari: on dit qu'on les porte pour sa santé, pour qu'il ait de la chance; c'est un signe shubbh, c’est-à-dire propice car symbole d'un mari en vie.

Alice : et pourquoi le piercing au nez est important ?

Shreya (une femme Lohar d’une cinquantaine d’années) : c'est très important pour les femmes.

Pour pouvoir se marier. Pour pouvoir porter le nath ou le balu. C'est pour ça que c'est important de le faire avant de se marier. Avant on faisait deux trous. Ou parfois trois ! Et aussi toute l'oreille pleine de trous !

Alice : mais c'était pour le mariage qu'il fallait faire deux trous ?

Shreya : pour le mariage c'est important un trou, pour porter le balu. Mais les vieux, avant, voulaient deux trous. Un trou de chaque côté.

Alice : pour le mariage ?

Shreya : oui. Et après le mariage aussi, on portait deux bijoux au nez. Maintenant les femmes ne veulent plus avoir deux trous. Et maintenant il y en a même quelques-unes qui ne veulent plus de trou ! Même pas un seul ! Mais c'est important d'avoir un trou, et d'y mettre quelque chose ! Quand le mari meurt, alors on enlève le bijou du nez. On n'y porte rien. Plus jamais.

C'est pour ça que si le mari est encore en vie, c'est important de porter un bijou de nez et un bindi, sinon les autres pensent « et celle-là, quoi ? Son mari est-il mort ? ». Donc il faut porter un bijou de nez.

Alice : et si la veuve se remarie, elle remettra ses bijoux ? Shreya : oui, elle remettra tous les bijoux.

Alice : alors on ne pourra pas savoir que son premier mari est mort ?

Shreya : non. Mais c'est tout, elle est remariée, elle doit vénérer entièrement son nouveau mari. Sinon il dira « tu as vénéré ton premier mari, maintenant tu dois me vénérer moi », donc elle doit mettre tous ses bijoux, le bindi, tout. Ne pas se couper les cheveux. C'est important de ne jamais se couper les cheveux, pour le culte (nyâm) du mari. Parce que quand le mari meurt la femme se coupe les cheveux. Alors tant qu'il est en vie elle ne doit surtout pas les couper ! Alice : et si c'est son fils qui meurt, elle se coupe les cheveux ?

Shreya : non.

Et plus loin:

Shreya : Et pour les femmes, et bien elles doivent porter beaucoup de bijoux. Au nez, aux oreilles, le bindi, le sindhur, le collier, les bracelets, aux orteils... Les hommes ne doivent rien porter eux ! (rires) et nous, regarde ! Partout on doit porter quelque-chose pour notre mari !

177 Alice : et tout cela, c'est pour le culte du mari ?

Shreya : oui, pour son nyâm. Si son mari est mort alors elle ne mettra rien de tout cela, ni bracelets ni rien du tout. Si on ne met pas tous ces bijoux quand on est mariée, on est comme une veuve !

Lorsqu'une femme mariée (non-veuve) décède, on l'habille de rouge et on la pare de tous ses bijoux, comme le jour de son mariage. Ce n'est qu'au dernier moment, juste avant d'allumer le bûcher, que l’on récupère ses bijoux, sauf celui du nez, qui brûlera avec elle.

Les hommes également peuvent parer leur corps, s'ils le souhaitent. Ils portent tous, quelle que soit leur caste, la topi, petite toque de laine, bordée de couleurs tissées, et qui symbolise leur appartenance à la région et leur fierté d'être Himachalis ; s'ils ne la portent pas pour les travaux aux champs, elle ne manque jamais en revanche lors des fêtes et des rassemblements, des visites et des déplacements ; c'est dans le rabat du topi que l'on glisse les fleurs offertes par le devta. De même que pour le pattu des femmes (couverture en laine enroulée autour de leur corps), les motifs géométriques tissés sur la topi des hommes sont libres, et ne reflètent aucun statut particulier, ni économique ni de caste.

Les Brahman, quelques Rajput et quelques Kumhar portent, sous les vêtements, le jandeo (janeu en hindi), cordon sacré (issu de la tradition brahmanique, ou hindoue des plaines) des « deux-fois nés », qu'un maître offre à son disciple en symbole de la connaissance reçue, et qui se porte croisé en travers du torse, reposant sur l'épaule gauche ; dans la vallée, le jandeo est tout autant associé à la vénération du devta qu'à la connaissance brahmanique. Les basses castes, qui traditionnellement n'en portent pas, expliquent que leurs propres pandit (hommes de basses castes ayant appris les rites et mantra et qui peuvent donc diriger les mariages et funérailles des basses castes) en portent tout de même, bien qu'en cachette des hautes castes, et estiment qu'ils y ont droit puisqu'ils possèdent aussi « la connaissance ».

Certains hommes portent des boucles d'oreilles, d'autres des anneaux aux doigts. Ces parures n'ont cependant, au contraire des femmes, aucun lien avec leur statut d'homme marié, ni avec le bien-être de leur épouse. Elles sont plutôt en rapport avec le mauvais œil, les planètes, les jogni. Ce sont des bijoux généralement ornés d’une pierre (améthyste, cristal, faux diamant, perle, etc) dont les propriétés contrent l’influence de

178 ces forces, à la manière d’une amulette.

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