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Possession et chamanisme

Dans le document persona, impuresa i sistema de castes avui (Page 99-103)

Chapitre 1. Cadre théorique

1.1. Système de castes

1.4.1. Possession et chamanisme

Le concept de possession se comprend mieux lorsqu'on le compare avec celui de chamanisme, une autre forme de relation aux entités. Ces deux concepts sont en général comparés en oppositions binaires par la plupart des auteurs qui les ont traités. « Le chamanisme est l'un des grands systèmes imaginés par l'esprit humain, dans diverses régions du monde, pour donner sens aux événements et pour agir sur eux331». C'est une manière de traiter l'infortune, de prévenir le déséquilibre. Pour les sociétés où il se manifeste, cela représente un moyen de communiquer avec le monde des esprits. C'est un fait social qui englobe l'ensemble de la société et ses institutions, un fait qui est à la fois religieux, symbolique, économique, politique et esthétique332.

Pour B. Hell, c'est un système qui, en plus de donner du sens, permet à l'homme

326 Berti 2001; et aussi Van den Bogaert, A., 2008, “Uns déus entre els homes: Món còsmic i Món social a la vall de Kullu, India”, Periferia, nº 9, Barcelona.

327 Osella, C. et Osella, F., 1999, “Seepage and divinised power trough social, spiritual and bodily

boundaries. Some aspects of possession » in Kerala, dans Assayag, J. et Tarabout, G. (dir.), La possession en Asie du Sud (parole, corps, territoire), EHESS, Collection Purushârtha 21, Paris, p.187.

328 Mayaram 1999: 104.

329 Freeman, R., 1999, “Dynamics of the person in the worship and sorcery of Malabar”, in Assayag, J. et Tarabout, G. (dir.), La possession en Asie du Sud (parole, corps, territoire), EHESS, Collection Purushârtha 21, Paris, p.154.

330 Freeman 1999 : 154.

331 Perrin, M., 2002 [1995], Le chamanisme, Collection Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, p. 5.

332 Perrin 2002: 3.

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de devenir maître de son destin. Un système qui, en jouant avec le désordre et les transgressions, arrive à rétablir un ordre relativement stable. Le chamane serait un négociateur dans l'échange entre les hommes et les esprits, un intermédiaire entre la nature et le surnaturel333.

Lévi-Strauss quant à lui attribue le succès du chamanisme à « l'efficacité symbolique »334 : une homologie de structure entre l'organique et le mythique, et en même temps une adhésion des individus à un système cohérent et structuré des croyances : « La malade y croit et elle est membre d'une société qui y croit »335. Il y aurait donc une sorte de triangle qui régirait la communication entre l'initié, le patient (le « malade ») et le groupe social.

Roberte Hamayon avertit que le chamanisme n'est pas une technique, et qu'il est inséparable des représentations. L'extase, qui n'est pas toujours présent lors des sessions chamaniques, ne peut servir à en définir le système. La guérison non plus, bien que le chamane puisse faire office de guérisseur. Définir le chamanisme par les notions de

« voyage » (de l'âme du chamane vers le monde des esprits) et de « contrôle » (opposé à la possession qui ne serait pas contrôlée), serait le réduire à un processus. Une erreur plus grave, selon cette auteure, est de définir le chamanisme à partir du chamane : c'est l'existence du chamanisme dans une société donnée qui fait le chamane, et non l'inverse336. Le chamanisme serait donc un système où l'être humain agit sur le monde au bénéfice de la société ; un système qui combine une théorie du monde, une théorie de la société et une théorie de la personne. Cette dernière serait l'axe autour duquel s'articuleraient les deux autres. Et c'est que le chamane, à ses qualités d'être humain vivant, ajoute celles du mort. Le chamane transcende les catégories, sans en effacer les limites, mais plutôt en cumulant les modalités. En ce sens, il est supérieur aux esprits, qui ne peuvent en faire autant. Par contre, dans un système de possession, ce sont ces derniers qui, par leur omniprésence (jusque dans le corps des humains) et leur omnivalence, surpassent le possédé337.

333 Hell, B., 1999, Possession et chamanisme, Les Maîtres du désordre, Flammarion, Paris.

334 Lévi-Strauss, C., 2005 [1958, 1974], « L'efficacité symbolique », in Anthropologie structurale, Plon, Paris, p.213-234.

335 Lévi-Strauss 2005 [1958] : 226.

336 Hamayon, R., 1982, « Des chamanes au chamanisme », in L'Ethnographie, Voyage chamanique deux, Tome LXXVIII, nº 87-88, 2 et 3 : p.19 et 37.

337 Hamayon 1982 : 40-45.

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Les anthropologues distinguent généralement chamanisme et possession en prenant en compte différents critères. Le premier est la manière par laquelle s'établit le contact entre la personne et les entités : tandis que pendant la possession ce sont les entités qui descendent vers le possédé, dans le chamanisme c'est l'âme du chamane qui monte vers les dieux ou esprits (de Heusch338, Tarabout339). De ce fait dérive un autre critère : le chamanisme serait une forme active, et la possession une forme passive (avec subordination) (Hell340, Hamayon341). Hamayon formule cette distinction en termes de relation : alliance matrimoniale entre le chamane et le monde surnaturel (le chamane prend une épouse dans l'autre monde) et subordination des possédés (les esprits prennent comme épouses leurs « victimes »)342. Pour cette auteure, la différence se situe également dans le fait que, dans le chamanisme, le chamane serait supérieur aux esprits car il peut cumuler les différentes modalités (nature d'homme et d'esprit, propriétés d'être vivant et mort), cumul que les esprits ne peuvent réaliser, tandis que dans la possession, au contraire, ce sont les esprits qui sont supérieurs aux possédés, par leur omniprésence et omnivalence (ils peuvent se déplacer dans leur monde et dans celui des humains), comme nous venons de le voir343. Le dernier critère est l'utilisation sociale de ces cultes : alors que le chamanisme servirait à renforcer l'ordre établi, la possession servirait au contraire à exprimer les protestations des groupes marginalisés (Lewis344).

Ce dernier critère a reçu de nombreuses critiques, résumées par Olivier de Sardan de cette manière : Les réponses fonctionnalistes au « phénomène » de la possession rituelle proposent l'hypothèse d'une valve de sécurité, un exutoire pour les opprimés ou une résistance symbolique. Ce sont cependant des réponses trop unilatérales et simplificatrices pour des questions réelles : évidemment, les possessions rituelles ont un lien avec la structure sociale, symbolique, religieuse et politique globale mais elles y ont des fonctions qui changent et s'inversent : il s'agit parfois du culte de la classe dominante, et parfois elle accepte toutes les couches sociales. La possession ne peut donc être réduite aux uniques « fonctions sociales » qu'elle assume345. Roberte

338 Heusch (de), L., 1971 [1962], « Possession et chamanisme », en Pourquoi l'épouser ? et autres essais, Gallimard, Paris, p. 226-244.

339 Tarabout 1999 : 314.

340 Hell 1995.

341 Hamayon, R., 1990, La chasse à l'âme, Esquisse d'une théorie du chamanisme sibérien, Société d'ethnologie, Nanterre ; et Hamayon 1982 : 2 et 3.

342 Hamayon 1990.

343 Hamayon 1982 : 41-42.

344 Lewis 1989 [1971].

345 Olivier de Sardan 2002 : 596.

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Hamayon dénonce également cette interprétation en ce qui concerne le chamanisme : même si celui-ci peut être une « valve de sécurité mentale », ce n'en est pas la fonction.

Le chamane n'est ni un « fou guéri » (thèse pathologique), ni un « guérisseur de fous » (thèse psychothérapeutique)346.

Il nous faut enfin signaler un dernier point de débat : pour quelques auteurs (Eliade, Hamayon), le chamanisme serait une religion, pour d’autres (Chaumeil, Descola), il s’agirait d’une institution propre aux sociétés animistes. Pourtant, le chamanisme existe dans de nombreuses sociétés à religion universaliste, qu’il s’agisse du christianisme, de l’islam ou du bouddhisme (Brac de la Perrière, Chaumeil, Hamayon)347. C’est également le cas de nombreuses sociétés au sein desquelles se développe la possession, comme celle de la vallée de Kullu dans l’Himachal Pradesh, qui fera l’objet des pages à venir.

346 Hamayon 1982 : 25.

347 Bénédicte Brac de la Perrière, Jean-Pierre Chaumeil, 2000, La Politique des esprits. Chamanismes et religions universalistes, Nanterre, Société d’ethnologie ; Roberte N. Hamayon, 2001, The Concept of Shamanism: Uses and Abuses Budapest, Akademiai Kiadó, collection « Bibliotheca Shamanistica ».

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