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Évolutions des castes dans l'Inde du XXème siècle

Dans le document persona, impuresa i sistema de castes avui (Page 55-60)

Chapitre 1. Cadre théorique

1.1. Système de castes

1.1.4. Évolutions des castes dans l'Inde du XXème siècle

Les révoltes pour déstabiliser la hiérarchie des castes seraient assez anciennes, l’exemple le plus connu étant le “mouvement de la Bhakti”125 au 12ème siècle126. Mais plus que des révoltes contre le système lui-même, ce qui s’est avéré plus efficace fut la refonte constante de la hiérarchie des castes ou sous-castes réussissant à grimper les échelons, profitant de la plasticité du système. Le schéma était assez constant, comme nous explique Florence Laroche-Gisserot: “Un groupe entreprenant, sous-caste ou sub-division d'une sous-caste, utilisant les réseaux relationnels et les occasions diverses, réalisait une percée sociale soit par le commerce, soit par la politique locale, soit par la richesse foncière ; la sanskritisation suivait de près l'enrichissement matériel. Le groupe modifiait ses modes de vie pour se rapprocher de l'idéal brahmane : femmes à la maison, strict végétarisme, piété ostentatoire avec recrutement au sein de la famille de prêtres brahmanes, rituel funéraire des castes élevées (y compris le sati, la construction de temples, la fréquentation des pèlerinages). […] La spécificité de la sanskritisation, que l'on peut comparer à un genre «d'embourgeoisement », c'est que le groupe [caste ou sous-caste] qui a réussi économiquement doit obtenir une promotion sociale dans l'échelle des castes, voire changer de varna. Avant la colonisation, le procédé consistait à demander au Maharadjah local une révision du rang de caste ; pour y parvenir, on embauchait des généalogistes chargés de découvrir des ancêtres mythiques et qui démontraient que le groupe s'était illustré ou avait rendu des services. Alors un rang plus favorable était accordé à ce petit groupe. Tout ceci ne s'effectuait pas toujours

123 Human Rights Watch, “Small Change: Bonded Child Labour in India’s Silk Industry”, 2003, 139, cited in National Human Rights Commission (NHRC), “Report on Prevention of Atrocities Against Scheduled Castes: Policy and Performance: Suggested INterventions and Initiatives for NHRC” (NHRC, New Delhi, 2004), 64, in Waughray 2009: 419.

124 Human Rights Watch, op.cit., p.16, in Waughray 2009: 420.

125 Mouvement religieux, mystique, revendiquant l’universalité, en opposition au culte védique qui réservait la connaissance et le salut aux “deux-fois nés” (c’est-à-dire aux trois premiers varna). Ysé Tardan-Masquelier, 1999, L’hindouisme, des origines védiques aux courants contemporains, Paris, Bayard, p.106.

126 Florence Laroche-Gisserot, 2006, « Le mariage indien moderne. De la compensation matrimoniale à la dot », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2006/3 61ème année, p.681.

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pacifiquement et les castes élevées tentaient souvent de s'y opposer ; mais il existait une façon d'éviter les représailles : changer de région, de nom et reconstruire son histoire ailleurs »127. Une des premières régulations du Gouvernement Britannique fut de permettre à leurs cours civiles d’être saisies pour toute plainte relative aux castes (Section VIII, Reg.III of 1793). Les exclusions de caste sont ainsi abolies par le Governor-General-in-Council, sous la présidence de Lord Dalhousie, par la loi nºXXI appelée « Caste Disabilities Removal Act of 1850 »128.

Le processus de sanskritisation s’accéléra pendant la colonisation : l'administration anglaise accepta un grand nombre de demandes de promotion, ce qui apparaît dans le premier recensement de 1867-1871, puis dans ceux effectués en 1901 et 1911. Ceci provoqua naturellement de nombreuses tensions entre les castes, d'autant qu’elles s’étaient constituées en puissantes associations (appelées Sabâ) pour appuyer leurs requêtes. Pou apaiser ces remous, les autorités coloniales cessèrent cette pratique129.

En effet, dès la fin du XIXème siècle (et jusque dans les années 1950), certaines castes se regroupèrent en « associations de castes » (appelées Sabâ, Sahba, Sangha ou Samiti) afin de défendre leurs intérêts, en réaction aux recensements décennaux que menèrent les britanniques à partir de 1881. Le Raj, considérant l'Inde trop vaste et désordonnée, prit la caste comme critère afin de classer ses sujets. Or ceci revenait à classer les castes de manière figée, et bon nombre d'entre elles n'était en outre pas d'accord avec le rang qu'on leur avait assigné : « Les recensements ainsi que les actes judiciaires qui s'ensuivirent pour corriger telle ou telle injustice de classement ont donc contribué à donner à l'organisation des castes une rigidité qu'elle n'avait pas. Ce faisant, l'inventaire colonial britannique attisa les rivalités entre castes [...]»130. Elles créèrent donc des associations, assez fortes pour faire pression et modifier leur statut dans les listes des castes qu'établissaient les recenseurs. Les ordonnancements (dans les recensements) entre 1881 et 1931 montrent d'ailleurs « le caractère arbitraire et changeant des classifications »131. Ceci met en évidence, selon Assayag, la plasticité de la caste, qui n'est donc pas aussi rigide qu'on voudrait le croire. Assayag montre aussi que les

127 Laroche-Gisserot 2006: 681.

128 Hélène Diserens, 2001, « Castes, privilèges et divinité tutélaire. Pages d'histoire d'un village en Himalaya occidental au XIXème siècle », Journal Asiatique 289.2, p.264.

129 Laroche-Gisserot 2006: 681.

130 Assayag 2006 : 489.

131 Assayag 2006 : 485 et 488.

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membres d'une même caste ne sont pas toujours d'accord sur leur statut et qu’une même caste change parfois de nom ou de revendications132.

En 1901, sir Herbert Risley (10ème Census Commissioner) fixa les hiérarchies locales des castes à partir des varna, en leur donnant un sens racial, et plaça donc (suivant l'ordre des varna), les Brahmanes au sommet de cette hiérarchie. Les autres castes, y compris les « basses », par le biais de leurs associations, se mirent alors, dans un désir de hausser leur statut dans les relations de castes locales, à adopter les coutumes et les symboles des Brahmanes (ou bien des Rajput, afin d'être reconnus comme faisant partie du varna Kshatriya) : végétarisme, abstinence, pureté rituelle, interdiction du remariage des veuves, entre autres. C’est l'anthropologue indien M.N.

Srinivas, qui le définit en tant que « sanskritisation »133. Cette modification des coutumes, rituels et idéologie suppose un comportement plus orthodoxe, et les castes essaient également de dépasser les particularismes régionaux pour atteindre une culture plus globale. Dans le domaine religieux par exemple, cela signifie l'abandon progressif des divinités locales pour se tourner vers les « grandes » divinités du panthéon hindou134.

Bien que le gouvernement de Madras ait déjà commencé à réserver des aides aux intouchables dès 1885, il faudra attendre 1918 pour voir apparaître la première tentative, à une échelle plus large, d'une réforme touchant cette section de défavorisés. C'est la réforme dite « Montagu-Chelmsford »135.

En 1928, le Comité Startes (nommé par le gouvernement de Bombay) différencie les sections défavorisées : Depressed Classes, Aborigene and Hill Tribes, Other Backward Classes136. En 1932, Ambedkar, de caste intouchable lui-même et soutenu par les associations de castes intouchables, demande un électorat séparé pour ceux-ci. Sa proposition est que chaque minorité (« minorité » d'intouchables inclue) vote aux élections générales mais que ses membres choisissent, eux seuls, leur représentant. Gandhi entame alors sa grève de la faim, ce qui débouche sur un

132 Idem : 488.

133 Srinivas, M.N., 1971, Social Change in Modern India, University of California Press, Berkeley in Assayag 2006 : 489; cf également Saglio-Yatzimirski, dans Bouillier et Tarabout 2002: 406.

134 Deliège 2006 : 146-148.

135 Assayag 2006 : 491.

136 Idem.

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compromis entre les deux leaders, le 24 septembre 1932, appelé « pacte de Poona »137 : Il n'y aura pas d'électorat séparé pour les intouchables, et ceux-ci ne deviendront jamais une « minorité politique »138. En échange, les intouchables deviennent une « catégorie politique » dans toute l'Inde et un quota de sièges leur sera réservé dans les assemblées élues139.

En 1935, les intouchables, jusqu'alors désignés comme Depressed Classes, reçoivent l'appellation de Scheduled Castes (Castes répertoriées)140. Ils représentent alors 19% de la population hindoue, soit 12,6% de la population de l'Empire des Indes.

En 1943, ordre est de leur réserver 8,33% des postes dans les services publics141, chiffre qui passe à 12,5% en 1946, puis plus tard à 15% (et 7% pour les Scheduled Tribes). La liste des S.C. et des S.T., établie en août 1950 et révisée en 1976142, est fixée par le gouvernement central et ne peut être révisée que par le Président de la République143.

Le 13 décembre 1946, la résolution de l'Assemblée constituante, conduite par Jawaharlal Nehru, propose des mesures de protection différentes pour les Other Backward Classes (OBC), c'est-à-dire les autres sections défavorisées non-intouchables.

En 1953, le Président de la République Rajendra Prasad nomme donc la première Commission d'enquête pour les OBC (Backward Classes Commission), sous la direction de Kaka Kalelkar. Son rapport, défendu au Parlement en 1956, recommande de nouveaux quotas (de réservations dans l'éducation et l'administration) pour 2399 castes (32% de la population)144 ; ces recommandations sont cependant rejetées car s'y opposent, d'une part des castes dominantes qui n'étaient pas inclues sur la liste, d'autre part le propre président de la Commission, Kaka Kalelkar, ainsi que le Ministre de l'intérieur G.B. Pant, qui soutiennent que le critère de la caste, retenu pour définir les OBC, ne peut qu'engendrer la division de la société hindoue. S'y oppose également le leader du parti du Congrès, Jawaharlal Nehru, qui estime que le fait de parler de la caste ne fera que la renforcer145. Se retrouvant donc dans l'impossibilité d'établir une seule liste d'OBC pour la République indienne, le gouvernement autorise alors les États « à

137 Assayag 2006 : 491.

138 Herrenschmidt 2006 : 512.

139 Assayag 2006 : 492.

140 Idem.

141 Idem.

142 Herrenschmidt 2006 : 511

143 Assayag 2006 : 493

144 Idem.

145 Herrenschmidt 2006 : 520.

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établir leurs propres listes de groupes défavorisés, sur base de critères qu'ils sélectionneraient eux-mêmes, et à prendre toutes les mesures qu'ils jugeraient nécessaires pour les réhabiliter »146. On entrevoit donc comment l'élite de ces castes

« arriérées » va rapidement tirer à elle-seule le profit de ces aides destinées aux plus défavorisés...

En 1978, la deuxième Backward Classes Commission, dite « commission Mandal », est nommée par le Janata Party au pouvoir. Son rapport, rendu en 1980, propose une amplification des aides destinées aux OBC. Ces mesures seront cependant laissées de côté jusqu'en 1990. Le 7 août de cette année-là, le Premier Ministre V.P.

Singh, dans une volonté de renforcer le soutien de certaines castes intermédiaires à son parti, annonce que le gouvernement va appliquer les recommandations du rapport Mandal, en introduisant un nouveau quota de 27% de réservations pour les OBC dans l'administration et l'éducation (en plus des 23,5% déjà accordés aux S.C. et S.T147). Ce qui déclenche la rage des hautes castes, qui se sentent lésées, et qui entament des manifestations violentes, avec une soixantaine de jeunes étudiants s'immolant par le feu.

Les intellectuels s'indignent également, car ces recommandations se fondent exclusivement sur le critère de la caste (la commission Mandal s'était en effet basée uniquement sur la jati pour mesurer le « retard social », négligeant les conditions socio-économiques des concernés). Ce qui fait dire à Assayag que le rapport Mandal rendait

« caduc l'engagement de l'État indien : la politique de réservations cessait d'être l'instrument qui permettait de promouvoir les populations les plus défavorisées »148.

Depuis la fin des années 1990, la discrimination de caste a été reconnue comme une violation des droits de l´Homme par la Sous-Commision des Nations Unies pour la Promotion et la Protection des Droits de l´Homme, comme une sous-catégorie de la discrimination basée sur le travail et l’ascendance, ainsi que par le Comité des Nations Unies pour l’Élimination de la Discrimination Raciale (CERD/C) comme étant une forme de discrimination raciale basée sur l’ascendance, telle que définie par la Convention Internationale pour l’Élimination de Toutes les Formes de Discrimination Raciale (CERD) 149.

146 Assayag 2006 : 493.

147 Lardinois 2009 : 156.

148 Assayag 2006 : 494.

149 CERD/C 22 août 1996, UN Doc. CERD A/51/18 (1996), 352; CERD/C, General Recommendation 29, 22 August 2002, UN Doc. A/57/18 (2002) 111; Sub-Commission, Resolution 2000/4 Discrimination based on

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