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Prendre soin des pièces c’est aussi prendre soin de leur existence graphique

Video defect detection MMSPG

1.2 Être responsable et investi.e du destin de la collection

1.2.4 Prendre soin des pièces c’est aussi prendre soin de leur existence graphique

Le soin apporté par Thomas à son travail d’édition concerne aussi la qualité de ce qu’on appelle au sein du projet les métadonnées. Le « contrôle qualité » comprend également le contenu des listes de descriptions des objets musicaux édités. Lors du même entretien Thomas donne un exemple concernant un artiste invité sur scène par un autre :

« Là par exemple, je vérifie comment c’est écrit ... Il y avait juste entre parenthèse « Van Morisson » et j’ai ajouté « feat. Van Morisson » parce qu’en général, c’est comme ça dans les CD. J’essaie de respecter les standards des choses comme elles sont écrites sur les disques ou sur Spotify ou iTunes. »

Ce genre de « petites retouches » réalisées par Thomas à l’étape finale d’édition est présenté comme du professionnalisme, une manière consciencieuse de faire son travail et de prendre soin de la collection numérisée. Des mondes se déployant hors du centre ou plus largement hors du campus sont en permanence mobilisés dans l’action par l’équipe du projet. C’est particulièrement le cas de l’industrie musicale d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, les critères esthétiques des disques live sont mobilisés aux côtés de ceux de l’industrie plus récentes du

streaming musical et de sa forme esthétique corolaire : la playlist. Dans tous ces cas, les listes

de morceaux sont particulièrement soignées, parfois même mises en scène. Pour être clair, elles font l’objet d’une grande attention et ne sont en aucun cas secondaires car c’est par la liste que les utilisateurs vont interagir avec les contenus musicaux qu’ils écouteront peut-être ensuite.

Lorsque Thomas soigne les descriptions des pièces, non seulement en vérifiant la cohérence des descriptions entre les multiples listes décrivant les pièces (ainsi que les autres types de séquences) mais également, et c’est surtout sur ce point que je souhaiterais insister ici, en ajoutant des petites retouches lexicale et graphique comme le « feat. » issu de l’anglais

Le devenir songs de la collection

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featuring qui donna, dans les années 1990 dans l’espace francophone et sous l’effet de

l’avènement du hiphop, l’expression « faire un feat avec ». Cet élément n’est pas trivial car il nous redit, après le travail de description consigné sur de nombreuses listes, que le travail déployé par Thomas et ses collègues est également scriptural. Ils construisent des listes de pièces à jouer dans des lecteurs de médias numériques : des playlists. Et Thomas le dit très clairement dans l’entretien, il apprécie quand le répertoire de pièces extraites de l’enregistrement du concert (le fichier « SONGS ») est « parfait », c’est-à-dire que les marqueurs de début et de fin sont aux « bons endroits » mais également que la liste est elle aussi « parfaite » ; les majuscules et les espacements, les parenthèses et les guillemets, etc. : tout est parfaitement réalisé. Son expérience musicale est aussi tributaire de la qualité de la liste.

Dans les premiers mots de Thomas que nous avons lus plus haut, il y avait un autre élément important concernant la dimension scripturale des pièces enregistrées. Cela concernait le fait que si les quatre coups de baguettes du batteur annonçant le tempo de la pièce à venir se voyaient, cela plaidait pour qu’on les laisse dans ce qui deviendra la pièce éditée par le projet. Pour rappel, ces mots exacts étaient : « Si c’est audible, si y’a un gros silence et qu’on voit bien

visuellement qu’elles sont là, dans ce cas-là autant les mettre si on les voit bien ». Il n’est pas

question de dire que le visuel remplace le sonore mais bien de relever l’intrication des deux registres que l’on peut parfois opposer. Ici, on lit et on entend Thomas nous parler de l’esthétique visuelle de la pièce qu’il édite. Cela peut surprendre et il y a peut-être également un effet de contexte. Nous sommes tous les deux devant son ordinateur, j’ai un casque sur les oreilles qui reproduit à l’identique celui de Thomas et nous discutons des actions qu’il opère sur le fichier son dans l’interface du logiciel d’édition et, comme nous l’avons déjà vu, les appuis de l’action sont en grande partie visuels. Il n’y a donc rien de nouveau ici. En revanche, et il me semble que c’est un point supplémentaire à prendre en compte, ce que fait Thomas c’est bien entendu édité des sons mais c’est également éditer des objets visuels, les fameux paquets d’onde verte selon la représentation graphique de l’onde sonore en vigueur dans son logiciel comme dans l’immense majorité des autres. Et ce que Thomas nous redit, c’est que les sons ont une traduction visuelle et que l’esthétique visuelle des sons est également importante pour elle- même. Des coups de baguettes bien détachés se traduiront par des ondes bien visibles à l’écran. Le plaisir de Thomas et son soin manifeste se déploie parallèlement sur la dimension sonore comme sur la dimension visuelle des pièces numériques qu’il institue.

Mettre à jour la liste de sa collection de disques ou ses répertoires de fichiers musicaux (peu importe les formats) fait également partie des gestes de l’amateur de musique. On pourrait

153 contempler, les listes parfaitement tenues de leur collection si bien qu’on pourrait faire de la liste un objet en soi de la collection musicale. Ainsi, on retrouve ce que Hennion (2004) aurait pu appeler les conditions de félicité de l’amateur de musique qui soigne sa liste de disques, dépoussière ses pochettes d’album ou remet en ordre les étagères de sa collection. Ici, l’amateur soigne toutes les instanciations graphiques de ses fichiers, des listes de pièces à l’esthétique visuelle des paquets d’onde sonore, toutes ces instanciations sont impliquées dans le soin qu’il porte à son activité et le plaisir qu’il peut y trouver.

Thomas : « Vas y tiens, écoute. (je mets le casque sur les oreilles et signifie le fait que

j’apprécie l’extrait) Mais c’est ça qui est assez enthousiasmant, quand tu les mets comme ça tu as presque l’impression que c’est un mp3, tu l’as mis en marche avec …Tu sais qu’après il est stocké là et que c’est un fichier … il est exploitable comme ça. Le [fichier]songs, c’est l’album. [il me montre le répertoire SONGS]Ça c’est l’album. Une fois en wav, une fois en mp3. »

Loin de prendre son job-étudiant à la légère, Thomas est très impliqué dans le façonnage des pièces. En 2015 lors de cet entretien, cela fait près de trois ans qu’il travaille dans le projet. Il est parmi les plus expérimentés et cela explique que cette lourde tâche du « contrôle qualité » lui soit attribuée. Il sait que son action porte une forme d’irréversibilité relative sur laquelle nous reviendrons encore une fois dans ce chapitre. Thomas est ce qu’on peut appeler un amateur de musique et son travail nourrit sa passion. À chaque artiste qui l’interpelle, il ouvre un onglet sur son smartphone pour aller écouter par la suite le travail de cet artiste. Il a en permanence à portée de main un carnet dans lequel il note également le nom de certains artistes pour les ajouter à la liste de ceux qu’il souhaite approfondir. Il confie avoir « découvert pas mal d’artistes avec ce job ». Toutefois, l’attachement des collègues de Thomas n’est pas toujours aussi prononcé pour la musique et cela ne constitue en rien une condition du recrutement dans le projet. Mais pour ce qui est de Thomas, la mise en qualité à laquelle il se consacre doit répondre à des critères esthétiques élevés et qui dénotent de la plus grande implication qui n’est pas à opposer à la qualité du résultat mais dont celle-ci semble tributaire. N’est-il pas plus sûr de s’appuyer sur des amateurs pour cette tâche délicate ?

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