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Préparer le concert enregistré pour de nouvelles rencontres : poursuivre le déploiement des enregistrements

Video defect detection MMSPG

1.1.1.3 Préparer le concert enregistré pour de nouvelles rencontres : poursuivre le déploiement des enregistrements

Nous venons d’examiner une épreuve fondatrice qui permet de dissiper les premières incertitudes quant à l’état des bandes numérisées et la possibilité de s’en saisir. L’épreuve engage autant les chercheurs et leurs techniques - y compris corporelles - que les bandes numérisées. Cette première rencontre vérifie qu’il est possible d’aller plus avant dans les modifications de l’enregistrement car les objectifs (l’extraction des songs et la constitution de

playlists par exemple) sont encore loin d’être atteints. Le réseau sociotechnique constitutif du

matériau a considérablement augmenté en se branchant aux instruments et compétences scientifiques du centre qui font proliférer les propriétés du matériau. Toutefois, nous découvrirons encore beaucoup d’opérations avant que les bandes numérisées ne deviennent des enregistrements de concerts équipés qui devraient être par exemple capables d’alimenter des playlists générées automatiquement. Nous allons brièvement parcourir les grandes lignes du déploiement du matériau avant de nous arrêter sur un moment important d’interaction entre les

117 définissant le début et la fin des pièces musicales enregistrées à Montreux.

1.1.1.3.1 Les appuis de l’indexation

Indexer les événements contenus sur les bandes passe par un examen détaillé des enregistrements. Au cours de cet examen, les membres de l’équipe cherchent à répondre à des questions comme celles-ci : que s’est-il passé ce soir sur la scène ? Qu’est-ce qui a été joué ? Jusqu’alors, les chercheurs ont fait apparaître un signal et ont commencé à qualifier l’enregistrement en explorant son signal. Désormais, il s’agit d’amener à l’existence son contenu et ce dont il est fait (en d’autres termes, à l’instituer »), ce qui, dans le vocabulaire du centre se dit : « il faut indexer le concert ». Pour ce faire, ils mobilisent un certain nombre d’appuis scripturaux et graphiques (des listes existantes ou à produire, des représentations graphiques des ondes sonores) ainsi que des outils (on retrouve des écrans, des casques, des claviers, des logiciels). Parmi cet ensemble d’appuis que nous verrons en détails dans quelques instants, nous devons nous arrêter dès maintenant sur une liste décisive. Il s’agit d’un document qui vient d’ailleurs, plus précisément des archives des services juridiques du festival qui, dans le cadre des contrats négociés avec les artistes, ont établi la liste de morceaux supposés avoir été joués le soir du concert. Les morceaux que les opérateurs s’apprêtent à marquer à l’intérieur de l’enregistrement ont donc a priori une existence scripturale et juridique et c’est fondamental pour la suite du processus d’institution de la collection de pièces. Cette setlist fournie par les organisateurs du festival (que je nommerai « Festival-setlist ») est pour les opérateurs une prise nouvelle et décisive sur le contenu des concerts. L’articulation des identifiants de la bande maintenant attachés aux fichiers numériques, du signal attesté par les premières épreuves et de la Festival-setlist rendent envisageable la suite des opérations.

La nouvelle épreuve consiste alors à vérifier si ce qui est décrit sur la Festival-setlist se retrouve effectivement dans les fichiers. La Festival-setlist se présente comme un document Excel relativement sommaire : une liste de titres dans un tableau, dont les lignes sont autant de pièces ayant fait l’objet d’un contrat avec l’artiste, sont présentées par ordre supposé chronologique et numérotées de haut en bas. Cette liste constitue, pour l’instant, la description la plus précise dont disposent les techniciens concernant les événements qui pourraient avoir été conservés sur les bandes numérisées. Cette description du concert ne correspond toutefois pas nécessairement à une bande sur laquelle pourrait être enregistrés ces morceaux car, dans le monde des droits d’auteurs, l’unité de référence n’est pas la bande de l’enregistrement (il peut parfois y en avoir deux) mais le concert. Toutefois, le travail de rattachement des bandes liées

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à un concert a été largement commencé par les inventaires successifs qui ont commencé dès les années 1980 au moment de la constitution de l’archive physique dans le bunker.

Si la liste fournie par le festival est assez sommaire, elle n’en demeure pas moins essentielle à l’entreprise d’institution de la collection de morceaux, et pour le dire simplement, sans la liste des œuvres ayant fait l’objet d’un contrat entre le festival et l’artiste, l’enquête sur la composition des enregistrements, soit rien de moins que l’indexation de la collection, ne peut avoir lieu. Cette liste est très simple, mais elle est en même temps très puissante. Elle atteste de l’existence de morceaux et on comprendra qu’elle puisse être un appui central dans l’activité d’indexation. Mais d’où tire –t-elle cette force ? Comment se fait-il que l’équipe du centre accorde autant de crédit à ce que décrit la Festival-setlist ?

À cette première interrogation qui nous renvoie encore à la chaîne de référence latourienne, s’ajoute le fait que les techniciens ne peuvent pas s’appuyer définitivement sur la

Festival-setlist et reprendre à leur compte ce qu’elle décrit comme si c’était vrai et sûr. En effet,

l’examen détaillé de l’enregistrement pour en extraire les œuvres jouées fait apparaître des différences : une pièce non jouée, une autre jouée et enregistrée mais qui ne figure pas sur la liste des services juridiques du festival. Il n’est donc pas question de confondre ce que décrit la liste a priori avec la réalité des enregistrements telle qu’elle apparaît après enquête. Les techniciens s’appuient donc sur la liste mais ne s’y arrêtent pas, ils la vérifient. Ainsi, il sera maintenant question de rendre compte des opérations réalisées par les techniciens du centre pour vérifier et actualiser la Festival-setlist, notamment lorsqu’ils la confrontent à ce qu’ils trouvent effectivement sur les bandes numérisées et qu’ils produisent leur propre liste, l’actualisation de la Festival-setlist, qu’ils nomment l’Indexation-setlist. Cette dernière a encore plus de force que la première, elle n’est plus un a priori, pour autant crucial, mais un résultat essentiel de l’enquête qu’ils ont déployée.

La Festival-setlist est donc la pièce centrale autour de laquelle se constitue un répertoire de fichiers rassemblant progressivement un ensemble de fichiers à investiguer pour définir de quoi sont faits les concerts (Cf. Figure 4). Ce répertoire est nommé en fonction d’un concert et rassemble des copies allégées des fichiers audio (version WAV issue de l’extraction du flux audio de l’archive II) et vidéo (version MP4 très compressée de l’archive II) de chaque bande liée au concert, la Festival-setlist et une liste de morceaux à compléter (Indexation-setlist) au fur et à mesure que la Festival-setlist est validée ou invalidée par une exploration des fichiers audio et vidéo.

119 personnes et machines interviennent dans la manipulation des fichiers que les chercheurs nomment à présent « concert files ». À mesure que le réseau s’étoffe, le corpus de la collection se transforme en un matériau de plus en plus tangible. Le déploiement du réseau donne de l’épaisseur aux enregistrements numérisés en y associant des inscriptions et en accumulant des indices permettant à la fois de former et stabiliser, tout comme de qualifier, le matériau (la matière de l’activité de transformation).

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1.1.1.3.2 Faire proliférer les médiateurs pour obtenir un matériau manipulable (raisonnablement cliquable)

À cette étape de l’enquête sur les concerts numérisés, ingénieurs et étudiants ingénieurs privilégient le fichier audio au fichier vidéo. Le signal audio est dit plus léger et par conséquent les fichiers audio sont eux aussi plus légers mais, surtout, la visualisation de l’onde sonore (« wave form ») et la possibilité qu’elle offre de zoomer sur le signal en fait un objet réputé plus maniable. Le signal vidéo combine une représentation en 3D découpée en frames qui sont des unités entières et peu plastiques (on ne se place pas au début ou à la fin d’une image). Sur le fichier audio, les étudiants ingénieurs ayant la charge de l’indexation placeront les marqueurs qui distingueront les événements constitutifs du concert. Le fichier vidéo, considéré comme secondaire, est là « au cas où » ; le manuel à destination des étudiants indexeurs rappelle qu’en général on ne s’en sert pas.

121 des fichiers réunis dans leur répertoire de travail devient le terrain sur lequel ils se préparent à passer à l’action et à dessiner les contours de ce que pourrait être le « concert » qu’ils ont en charge et qu’ils doivent instituer. Le concert enregistré est désormais déployé dans le sous- ensemble concert files composé des différents fichiers informatiques. La coprésence de ces fichiers et indices renforce l’épaisseur de ce qui fait désormais le concert. Ces fichiers sont les médiateurs d’un concert indexé en devenir, avec lequel les étudiants doivent pouvoir interagir. Ce déploiement garantit une possible et tangible interaction avec le corpus d’enregistrements numérisés : le concert est distribué et se distribue en une série de nouveaux objets. Sa matière s’étend et se peuple d’éléments mobilisables en vue d’interactions futures. Les médiateurs produits par les ingénieurs leur permettent de multiplier les prises pour leurs interactions futures avec les enregistrements des concerts devenu manipulable et a priori modifiable.

On notera que ces appuis décisifs pour mener à bien l’opération d’édition des concerts réunisssent des prises visuelles et non des prises exclusivement sonores. Il s’agit bien de musique pour autant et c’est bien du destin d’œuvres musicales dont il est question. Et c’est par des instanciations graphiques que la transformation du son pourra s’opérer, dans les oreilles équipées de casques mais de manière encore plus forte sur des écrans. Même si le fait que le fichier audio soit privilégié sur le fichier vidéo trouve une explication plastique et non proprement sonore : la représentation graphique de l’onde sonore permet d’arpenter le concert plus facilement que ne le propose le fichier vidéo et surtout, la représentation en onde permet de zoomer sur les œuvres jouées (que nous croiserons sous formes de paquets d’ondes) pour en établir les limites. Ces différents éléments doivent nous rendre attentif à l’importance de la dimension visuelle de l’activité de transformation d’œuvre musicales. Nous y reviendrons dans les pages à venir mais notons que le contrôle du son semble passer par le contrôle de l’image du son, ou plus précisément des images du son car nous venons de voir plusieurs formes qui sont autant d’instanciations visuelles d’un fait sonore, principalement des listes et des images sur des écrans.

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1.1.2 Éditer des concerts et extraire des morceaux de musique :

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