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Video defect detection MMSPG

1.3 La conservation peut-elle être envisagée en dehors des modalités de valorisation des objets ?

1.3.3 Quand la conservation aboutit à une nouvelle œuvre (à exposer)

Nous allons maintenant poursuivre notre examen du destin d’œuvres d’art pour renforcer l’idée que la conservation est une entreprise d’institution des œuvres à conserver portant des conséquences parfois très fortes sur la transformation des œuvres conservées pour leur exposition. Dans son texte de 2014, Dominguez Rubio analyse et compare les modalités de conservation des objets d’art de type « tableaux » et des œuvres de type « media arts ». Il montre de manière claire que la première catégorie d’œuvres est plus simple à conserver que la seconde. L’auteur met ainsi en contraste des objets « dociles » (ceux que les conservateurs des musées peuvent aisément conserver car ils déploient une matérialité avec laquelle les professionnels savent négocier depuis des siècles, par exemple des huiles sur toiles) et des objets « indisciplinés » (« unruly ») (ceux dont la matérialité pose problème du fait de sa large et fragile distribution comme les installations et sculptures vidéo faisant appel à des technologies et des médias audiovisuels dont l’obsolescence est rapide). Dirigeons-nous directement vers les objets « indisciplinés ». Là encore, l’auteur prend l’exemple du destin d’une œuvre reconnue et issue du travail d’un artiste de renom. Il s’agit de « Untitled », une œuvre produite en 1993 par Nam June Paik et conservée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Cette sculpture vidéo assemble une centaine d’objets différents.

Conçu comme un hommage à John Cage, Untitled rassemble dans sa version originale un piano droit automatique entouré de 15 écrans cathodiques, deux caméras filmant le clavier du piano et deux lecteurs de CD placés de chaque côté du piano. Les vidéos produites par Paik sont enregistrées sur des cassettes U-Matic (technologie permettant dès les années 1970 d’enregistrer un signal numérique sur une bande magnétique que l’on retrouve dans la collection des enregistrements du festival). La musique qu’exécute le piano est programmée sur des disquettes. Tube cathodique, CD, disquette et bande magnétique, quatre technologies qui étaient en 1993 au top de leur art sont, en 2011, en cours de disparition et les machines impliquées dans la sculpture originale montrent des signes de faiblesses manifestes. Se pose

163 itération de restauration s’était déroulée en 2003 alors que l’artiste étant encore vivant. Paik avait ainsi pu valider avec l’équipe du MoMa les choix technologiques impliqués par la mise à jour de son œuvre et de son intention. Mais en 2011, l’artiste était décédé et les technologies de remplacement issues de la restauration de 2003 montraient le besoin d’une nouvelle mise à jour. Les formats audio et vidéos étaient devenus instables tout comme les lecteurs et les télévisions à tube. À défaut de pouvoir être remplacé (ce qui était le résultat de l’audit de 2011), le piano droit avait également besoin d’une sérieuse opération de maintenance alors que la société émettrice avait arrêté la fabrication de ses pianos automatiques. L’œuvre faisait donc face à une remise en jeu, la préservation de son authenticité signifiait à court terme sa mort certaine. Le chemin ouvert par la mise à jour de 2003 fut repris en 2011 et des lecteurs de DVD renouvelèrent les lecteurs de CD qui avaient déjà remplacé les massifs lecteurs de cassettes U- Matic, des écrans plats remplacèrent les écrans incurvés mais conservèrent les tubes cathodiques et le MP3 fit son entrée à la place des disquettes MIDI du piano automatique. Les nouvelles technologies impliquées sont sans cesse plus dépendantes d’autres (lecteurs, connectiques, ordinateurs, serveurs, formats, codecs) et le résultat de ces mises à jour est un déploiement de la matérialité de l’œuvre, dont le nombre de composants, selon Dominguez Rubio, a doublé en 20 ans pour arriver autour d’une centaine d’artefacts sans sa version actuelle. On peut donc imaginer facilement que les problèmes d’obsolescence technologique n’ont pas fini de se poser, entraînant avec eux la négociation renouvelée de la ligne ténue entre conservation, mise à jour et trahison, voire usurpation.

Un premier point important est que les connaissances et les acteurs impliqués dans la conservation des œuvres reposant sur des formats numériques font appel à des professionnels issus des mondes technologiques et notamment des chercheurs en informatique et des spécialistes en audiovisuel, dont les connaissances deviennent aujourd’hui indispensables à la conservation de l’art numérique. Un deuxième point important pourrait être que les opérations de mise à jour s’accompagnent, comme l’affirme Dominguez Rubio sans entrer dans le détail, de négociations de la valeur esthétique de chaque composant technologique entendu comme un élément de l’œuvre complète. Ainsi, tel lecteur de médias a-t-il une valeur esthétique équivalente à tel autre ? Tel format de compression peut-il être mis en équivalence avec un autre plus ancien ? Ces modifications s’inscrivent-elles dans l’intention de l’artiste ? D’une certaine manière, on retrouve ici une actualisation de la question des têtes de statues ou de la décomposition d’une œuvre en morceau dont la valeur pourrait être évaluée (jusqu’à remplacer

Le devenir songs de la collection

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l’œuvre complète) indépendamment du tout. N’est-il pas possible que Untitled finisse sa trajectoire représentée par un élément de son installation, par exemple un écran à tube cathodique ?

On voit ici des similitudes avec le processus de conservation à l’œuvre dans le cas des enregistrements des concerts du Montreux Jazz Festival dans des univers artistiques différents et déployant des matérialités, et ce point n’est pas secondaire, différentes. Les œuvres numériques se déploient avec le temps et la numérisation, et c’est également un mouvement que l’on observe dans le destin des bandes de la collection du festival. La numérisation de ces bandes entraîne inévitablement la multiplication des artefacts technologiques sur lesquels l’existence des bandes repose, l’unicité toute relative d’un tableau ne trouve pas d’équivalent dans le monde numérique. Par suite, la conservation implique nécessairement d’intervenir non plus sur un artefact mais sur des dizaines, voire des centaines, multipliant ainsi les lieux de modification des œuvres et les points potentiellement problématiques. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les ingénieurs de l’EPFL n’inaugurent pas les modifications d’ampleur des œuvres dans un processus de conservation. Ils ont d’illustres prédécesseurs.

Un dernier point doit retenir notre attention sur l’exemple de la restauration de Untitled. Il s’agit de la mise en valeur de la restauration elle-même par le MoMa. Cette entreprise de deux ans a débouché sur la création d’un service pionnier dédié à la conservation des arts numériques. Voilà donc une première opération de capitalisation sur cette expérience mais il y en a d’autres. Le MoMA a largement communiqué sur la restauration de Untitled, élargissant du même coup son statut d’asset sur sa propre restauration. Des films ont été diffusés sur Internet, notamment sur la plateforme Youtube pour proposer un récit de la conservation de cette œuvre34. Ils ont été repris par d’autres sites spécialisés pour être largement diffusés. Des

pages du site du MoMA sont consacrées à cette opération de conservation. Il faut ici noter que de plus en plus de mises en scène de restauration d’œuvres sont utilisées dans la stratégie de

branding des musées. Ceux-ci trouvent un appui renouvelé sur des entreprises de conservation

si bien que la conservation est en elle-même considérée comme une instance de mise en valeur de la marque du musée et de son expertise. La media conservation ouvre peut-être une nouvelle ère dans la mobilisation de la conservation comme vecteur de mise en valeur des musées d’art moderne et contemporain ? Il y a là peut-être la plus grande similitude avec le MJDP et nous

34 https://www.youtube.com/watch?v=rO_lwjhoSiU (consulté le 20.05.2019)

https://www.moma.org/explore/inside_out/2013/05/08/conserving-a-nam-june-paik-altered-piano-part-2/ Consulté le 20.05.2019

165 en scène de son opération de conservation.

Ce que nous permet également de voir l’exemple de Untitled est que la conservation d’une œuvre n’a finalement que peu de sens en dehors de son exposition. En d’autres termes, on voit ici clairement que les modalités de valorisation (la centralité de l’exposition) influencent les pratiques de conservation jusqu’à aboutir au remplacement de nombreux éléments de l’œuvre qui soulève des questions liées à son intégrité, son esthétique et son sens. Tant est si bien que la version d’Untitled exposée en 2011 au MoMA est une nouvelle version de l’œuvre de Paik, qui pourrait être considéré comme un « Paik by MoMa » finalement assez proche du « Rembrandt by Microsoft » que nous avons vu en introduction générale à l’endroit du projet « the Next Rembrandt » (Cf. 0.2.1). Dans le cas du « Paik by MoMa », les transformations sont profondes et sont faites au nom de l’art et des besoins d’exposition (une œuvre qui ne peut être exposée se transforme en archive du musée et perd son statut d’asset). Il n’est pas question ici de remettre en cause la quête des conservateurs qui est de mettre à jour l’œuvre tout en respectant l’intention de l’artiste. Au contraire, il s’agit de prendre la mesure de la conservation qui ne trouve pleinement son sens qu’en lui ajoutant l’exigence du maintien de son potentiel de valorisation, ici d’exposition.

1.3.3 L’esthétique musicale du Montreux Jazz Digital Project est-

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