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1.3 La conservation peut-elle être envisagée en dehors des modalités de valorisation des objets ?

1.3.2 Conserver c’est aussi protéger un asset

Dans l’exemple du développement d‘une salle dédiée à la Mona Lisa, Dominguez Rubio explique le déclanchement des travaux engagés par le musée du Louvre par le fait que la précédente salle d’exposition du célèbre tableau ne permettait plus de faire face à l’affluence des 16000 visiteurs par jours (2016, p.70-71). La question qu’il explore concerne les modalités de cohabitation des objets d’art et des humains dans la mesure où les effets de cette cohabitation sur l’intégrité physique du tableau demande à être contenus au maximum. L’article de Dominguez Rubio ne porte pas explicitement sur les investissements engagés par le musée du Louvre pour préserver un asset alors même que devant l’ampleur de l’investissement, que la seule somme de près de 6 millions d’euros résume très mal étant donné l’ampleur et la finesse du travail technique réalisé, la question peut être soulevée. Une telle échelle de travaux ne peut que difficilement écartée les enjeux financiers mais aussi en termes de retombées plus délicates à mesurer comme la visibilité du musée sur le marché internationale et la preuve de l’expertise renforcée de ce grand musée une fois la nouvelle salle et le petit bout de monde conçu sur mesure pour le tableau de De Vinci mis au point. Pour le dire simplement, la Mona Lisa est un

asset dans lequel le Louvre investit 6 millions d’Euros pour qu’il le reste. Ajoutons qu’il est un

des rares tableaux, l’auteur le concède, « which have to be permanently on display » (2016, p.71) et que le musée ne peut pas se permettre de décrocher pour le mettre au repos (en particulier de la lumière) comme il est convenu de le faire pour tout tableau. Ce point peut paraître trivial et loin de la richesse de la démonstration très convaincante de Dominguez Rubio invitant à considérer les objets comme un état ponctuel et maintenu des choses qui tendent

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naturellement à se dégrader et menacent sans cesse de perdre les qualités qui les avaient institués en objets.

Toutefois, ce que l’auteur nomme « lumière esthétique » est un autre exemple qui peut être relu par le prisme de la capitalisation. La « lumière esthétique » est une élégante expression choisie par Dominguez Rubio pour rendre compte des compromis impossibles contenus dans le développement de la lumière du petit morceau de monde conçu autour de la Mona Lisa dans son nouveau dispositif d’exposition. La lumière est, selon l’auteur, le point le plus important des éléments à contrôler (devant l’air et l’hydrométrie) pour mettre en œuvre un « art-sustaning

environment » (2016, p.71). Le problème de la lumière est qu’elle ne peut être que nocive pour

les matériaux du tableau alors même qu’elle est nécessaire à sa perception visuelle tout comme à son maintien en qualité d’objet esthétique. Le Louvre devrait donc créer une lumière qui ne cause pas en elle-même de dommage au tableau et qui soit également « neutre », c’est-à-dire qui ne déforme pas la couleur naturelle ni l’expérience esthétique de l’œuvre. Or il n’existe pas plus de lumière neutre que de lumière que ne fasse pas réagir les éléments chimiques du tableau. L’équation est donc impossible dans sa formulation idéale de « lumière esthétique » et des compromis sont trouvés et matérialisés dans un dispositif technique proposant une « carefully

engineered natural light » (2016, p. 72) prenant en compte tous les paramètres de la pièce

relatif à la lumière (du sol au plafond en passant par les murs et le mélange de lumière naturelle et artificielle) ainsi que les paramètres esthétiques permettant de maintenir l’objet en objet d’art.

Ce qui est intéressant ici est de prendre la mesure des rapports complexes entre les éléments esthétiques et chimiques et les matériaux de construction, la conception d’une lumière naturelle étant visiblement perçue comme un ingrédient non négociable des conditions dans lesquelles mettre la Mona Lisa pour qu’elle continue d’être contemplée par des millions de visiteurs durant les années à venir. Et non sans ironie, son exposition (ou si l’on veut son exploitation) la fatigue et la menace dans sa qualité d’objet et d’œuvre tout comme dans celle d’asset essentiel pour le musée du Louvre. On voit ici comment les attentes esthétiques sont consubstantielles des attentes en termes de création de valeur (économique notamment mais pas exclusivement) alors que paradoxalement ces attentes menacent la pérennité de l’asset. En quelque sorte une lutte interne à la conservation-capitalisation se met en place.

Il y a donc un double mouvement dans la conservation des objets d’art mais également des objets en général : La conservation institue les objets à conserver, c’est à dire qu’elle tend à fixer leur identité en tant qu’objet d’art mais elle négocie cette dynamique avec les modalités de valorisation de ces objets. La Mona Lisa ne peut pas être décrochée pour se préserver de la

161 la responsabilité du musée seul, il y a fort à parier que si le Louvre décrochait le tableau alors ce seraient le public et certains spécialistes qui s’insurgeraient contre cette mesure de protection qui, sans aucun doute, pourra être contre-argumentée comme une privation inacceptable. Ce tableau n’appartient pas au Louvre seul, il est un élément du patrimoine mondial dont les modalités de valorisation (ici d’exposition) échappent en partie à son propriétaire.

Ce que l’exemple de la Mona Lisa, a priori éloigné du terrain de la numérisation des concerts enregistrés au Montreux Jazz Festival, nous montre, est que les modalités de valorisation ne sont pas étrangères à celles de la conservation. Bien au contraire, la conservation doit négocier avec les modalités d’exposition qui dans le monde des musées est une modalité de valorisation. La part destructrice de l’exposition nous invite à réaffirmer, avec Dominguez Rubio et dans le prolongement de Gamboni, que la dénonciation morale des destructions d’œuvres cache une interaction entre conservation et destruction qui peut trouver des formes complexes nous invitant à ne pas les opposer dans leur principe. De plus, la tension forte amenée par une forme d’incompatibilité entre les humains et les objets d’art gagne à être relue à la lumière de la capitalisation. En effet, les dangers pour les œuvres impliqués par la cohabitation avec les humains sont mieux compris lorsqu’ils sont remis dans la perspective de l’exposition, car en définitive c’est cette modalité d’interaction qui est la plus menaçante pour l’intégrité physique des œuvres. C’est également cette modalité qui est le plus directement impliquée dans la valorisation des œuvres et motive les investissements pour leur conservation. Ainsi, avec l’exemple de la Mona Lisa, nous trouvons un nouvel éclairage sur les tensions entre conservation et valorisation que nous avions croisées sur le terrain de la conservation des enregistrements du Montreux Jazz Festival lorsque la question du reformatage des œuvres interrogeait les indexeurs-instituteurs. Les modalités de valorisation sont dans les deux cas en tension avec les pratiques de conservation et le soin que les conservateurs souhaitent apporter à « leurs » objets pour les faire perdurer dans leur être. Ces tensions se règlent en situation et par des dispositifs techniques et des choix de conservation. Nous avions vu que Thomas et ses collègues déployaient une véritable éthique du découpage issue d’un travail pratique et esthétique demandant une forte réflexivité, réunissant dans le même mouvement des contraintes fortes et un soin et une responsabilité les engeant entièrement, moralement et corporellement. Les ingrédients de ces tensions dépassent ainsi largement les scènes de la conservation, compliquant passablement le travail de conservation qui gagne à être envisagé, comme le propose Dominguez Rubio (2016) dans une perspective écologique. Mais la perspective

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écologique doit également faire une place aux modalités de valorisation et d’exploitation des objets conservés. La valorisation et son scénario de capitalisation font partie de l’écologie de la conservation et leur intervention est complexe, elle agit tour à tour comme une menace et un moteur du maintien.

1.3.3 Quand la conservation aboutit à une nouvelle œuvre (à

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