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Chapitre 3 : La modernité accomplie

4. Troisième partie du cadre théorique

La modernité accomplie possède donc des caractéristiques qui la distinguent de l’idéologie et de la religion pure. Si les hommes de la modernité accomplie s’organisent en fonction du futur, ils ne le font pas par rapport à un projet bien déterminé qui orienterait les actions présentes. Ils ne visent pas une unité sociale qui serait à reconquérir. L’avenir reste ouvert. De plus, la vérité sur la société et sur l’homme n’est jamais atteignable totalement, que ce soit dans le présent ou dans le futur. Aussi, il devient difficile de penser le social.

L’importance est mise sur l’individu, et le collectif est pensé en fonction de lui. Cet individu se forge une identité qu’il désire voir reconnaître par la société, ce qui donne à l’État un rôle procédural-identitaire, c’est-à-dire qu’il doit assurer des procédures justes et équitables pour chaque groupe qui veut revendiquer son identité. Le marché joue ici un rôle de modèle pour comprendre le collectif : chaque individu agit sans penser à l’ensemble tout en étant assuré que son action individuelle contribuera à l’édification de la société, comme la «main invisible» du marché coordonne les actions individuelles sans que les individus aient à se soucier de l’ensemble du marché. Finalement, le problème de la modernité accomplie est son incapacité à penser le collectif.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 302.

Paul Valadier critique l’optimisme de Gauchet en se demandant comment une société autonome qui permet à l’individu de croître sans violence pourrait exister si elle est formée par des individus qui ont tant de difficulté à être soi. Il questionne : «comment imaginer le déploiement sain de la société avec des individus en proie à l’angoisse et à la fragilité?» (VALADIER, L'Église en procès, p. 120. Cette idée est reprise par Yves Labbé dans «La religion socialement finie?», p. 376-377.)

Le néolibéralisme et Jean-Paul II

C’est à partir des éléments théoriques que l’on vient de tirer de l’œuvre de Marcel Gauchet qu’il s’agit maintenant d’analyser la critique que Jean-Paul II fait du néolibéralisme. II importe d’expliquer d’abord ce qu’est le néolibéralisme. C’est ce que je ferai dans un premier temps en proposant une analyse historique et sociale du néolibéralisme. Ensuite, j’exposerai la critique de ce phénomène que Jean-Paul II articule dans ses encycliques sociales.

1. Qu’est-ce que le néolibéralisme?

Comprendre le néolibéralisme nécessite d’en connaître la provenance. Je présenterai l’histoire de cette idée économique, histoire qui se situe à l’intérieur de celle, plus générale, du capitalisme. Ensuite, j’exposerai les vicissitudes des idées libérales de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle, quand le libéralisme économique prendra la forme du néolibéralisme. Je présenterai quelques réactions qu’a suscitées cette doctrine pour enfin présenter l’analyse qu’en donne Marcel Gauchet.

1.1 L’origine du capitalisme

Pour expliquer ce qu’est le néolibéralisme, il faut le situer dans l’histoire plus générale du capitalisme. Pour comprendre l’avènement de ce dernier, Fernand Braudel

propose de partir du quotidien : «Je crois l’humanité plus qu’à moitié ensevelie dans le quotidien. D’innombrables gestes hérités, accumulés pêle-mêle, répétés infiniment jusqu’à nous, nous aident à vivre, nous emprisonnent, décident pour nous à longueur d’existence.

Ce sont des incitations, des pulsions, des modèles, des façons ou des obligations d’agir qui remontent parfois, et plus souvent qu’on ne le suppose, au fin fond des âges1.» Tous ces comportements forment ce que Braudel appelle la «vie matérielle». C’est le premier niveau sur lequel s’édifiera l’économie moderne.

Le deuxième niveau sera celui des échanges. Parmi les nombreux comportements de l’homme, sa propension à échanger figure au premier rang de ce qui permettra «!’économie d’échange» ou «l’économie de marché», selon les mots de Braudel. Il écrit :

Imaginez donc l’énorme et multiple nappe que représentent, pour une région donnée, tous les marchés élémentaires qu’elle possède, soit une nuée de points, pour des débits souvent médiocres. Par ces bouches multiples commence ce que nous appelons l’économie d’échange, tendue entre la production, énorme domaine, et la consommation, énorme domaine également. Aux siècles d’Ancien Régime, entre 1400 et 1800, il s’agit là encore d’une très imparfaite économie d’échange. [...] Cette imperfection dûment considérée, il reste que Y économie de marché est en progrès, qu’elle relie suffisamment de bourgs et de villes pour commencer déjà à organiser la production, à orienter et commander la consommation2.

Ainsi, sur le socle de la vie matérielle, les échanges en viennent à prendre de plus en plus d’importance, même s’il s’agit, entre le XVe et le XIXe siècle, d’une économie encore

«imparfaite». Braudel distingue ici l’économie de marché du capitalisme. L’économie de marché est celle qui respecte les lois de l’offre et de la demande et qui soumet le producteur ou le vendeur à la loi de la concurrence. Jusqu’au début du XIXe siècle, donc, c’est cette forme d’économie qui prédomine et qui se développe.

Le dernier niveau repose sur la vie matérielle et sur l’économie de marché, mais il ne les recouvre pas toutes. C’est à ce niveau qu’il devient pertinent, selon Braudel, de parler de capitalisme. Celui-ci prend naissance en dehors des marchés publics, c’est-à-dire en dehors des échanges directs (ou avec peu d’intermédiaires) entre producteurs et consommateurs.

F. BRAUDEL, La dynamique du capitalisme, Paris, Les Éditions Arthaud (coil. «Champs Flammarion»,

192), 1985, p. 13.

BRAUDEL, La dynamique du capitalisme, p. 21-22.

Des négociants vont commencer à faire affaire avec des marchés lointains. Les intermédiaires deviendront de plus en plus nombreux et éparpillés sur le globe. Cette situation permettra aux négociants de sortir de plus en plus des règles imposées aux marchés locaux. «Ainsi, de longues chaînes marchandes se tendent entre production et consommation, et c’est assurément leur efficacité qui les a imposées, en particulier pour le ravitaillement des grandes villes, et qui a incité les autorités à fermer les yeux, pour le moins à relâcher leur contrôle. Or, plus ces chaînes s’allongent, plus elles échappent aux règles et aux contrôles habituels, plus le processus capitaliste émerge clairement3 *. » Le capitalisme concerne spécifiquement cet ensemble de négociants qui tentent d’échapper au contrôle des autorités. En définitive, pour Braudel, le capitalisme ne doit pas être confondu avec l’économie de marché, bien qu’il repose sur le développement de celui-ci. Braudel affirme : «ce capitalisme de haut vol flotte sur la double épaisseur sous-jacente de la vie matérielle et de l’économie cohérente de marché, il représente la zone de haut profit. J’ai fait ainsi de lui un superlatif.»

1.2 L’histoire du capitalisme libéral

Le capitalisme n’est pas une réalité présente depuis toujours. Il n’est pas non plus un événement surgi de nulle part : il repose sur un type d’économie qui s’est mis peu à peu en branle, à savoir l’économie de marché. Au début du XIXe siècle, cette économie est assez développée pour permettre au capitalisme de prendre son essor. Face à cette expansion, deux courants s’opposent quant à la réaction à avoir. D’aucuns voudraient laisser faire l’économie, tandis que d’autres souhaiteraient plutôt que l’État intervienne pour la réguler.

«Plus largement, sont formulées dès le début du [XIXe] siècle deux visions utopiques d’un monde à venir; l’une et l’autre garantissent le bonheur de tous : la vision libérale, d’un côté, et, de l’autre, la vision fondée sur !’organisation de la société et qui sera dans le deuxième tiers de siècle qualifiée de “socialiste”5.» Si l’utopie socialiste propose d’organiser la société et possède une dimension éminemment politique, la vision libérale se caractérise à l’inverse par une confiance dans les lois du marché. Il faut enlever toutes les entraves à la

BRAUDEL, La dynamique du capitalisme, p. 58.

BRAUDEL, La dynamique du capitalisme, p. 117.

M. Beaud, Histoire du capitalisme de 1500 à 2000, Paris, Éditions du Seuil (coll. «Points Économie», El 8), 2000, p. 122.

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libre entreprise et à la propriété. L’État doit, par conséquent, intervenir le moins possible.

Ce qui est proposé par les libéraux se résume ainsi : «le bonheur humain assuré par le libre jeu de l’offre et de la demande dans tous les domaines6». Bref, avec le développement du

capitalisme se pose la question de la régulation de l’économie.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le capitalisme se développe surtout dans sa version libérale, tandis que le pendant socialiste entre en effervescence. Les fabriques se répandent de plus en plus et, avec l’exode agricole et la difficulté pour les artisans de survivre devant la compétition, une main-d’œuvre nombreuse et disponible remplit les villes où le mouvement industriel trouve son lieu de prédilection. Cependant, dès les années 1870, des signes d’essoufflement se font sentir : krach boursier de Vienne en 1873, krach boursier de Lyon en 1882, «panique des chemins de fer7» aux États-Unis en 1884, etc.

Devant ces problèmes, il faut trouver de nouveaux marchés et la mondialisation devient une solution : il se produit une colonisation capitaliste. De plus, les entreprises tendent à grossir et, par le fait même, le capital se concentre entre les mains d’un nombre plus restreint de personnes. Enfin, s’il se produit une mondialisation, elle se réalise au travers d’une compétition entre pays occidentaux. Cela crée des rivalités et une montée de politiques protectionnistes qui conduiront au krach boursier de 1929. Pour se relever de cette crise importante, plusieurs pays adoptent des politiques économiques dans la ligne de ce que proposera John Maynard Keynes. Les hommes politiques veulent relancer l’économie de leur pays par la régulation de la demande. Un consensus se forme : il faut des États interventionnistes. Bref, la pensée libérale du XIXe siècle se voit confrontée à un certain échec. Le krach de 1929 est là pour le rappeler. La résolution du problème semble alors passer par une implication de l’État dans l’économie.

Les politiques interventionnistes ainsi que la deuxième guerre mondiale permettront aux économies nationales de remonter la pente et même de connaître une période de prospérité. Toutefois, dès les années 60, les conditions de production deviennent plus

Beaud, Histoire du capitalisme de 1500 à 2000, p. 126.

«Les compagnies de chemins de fer sont prises entre la hausse des coûts de construction des voies et la concurrence qu’elles se livrent. Le cours des actions de l’Union Pacific s’effondre, suivi de ceux de nombreuses valeurs ferroviaires, puis de faillites bancaires et d’un ralentissement de l’activité industrielle avec faillites, chômage et baisse des salaires». (Beaud, Histoire du capitalisme de 1500 à 2000, p. 187.)

difficiles à cause des augmentations de salaire, du refus des employés d’adopter certaines conditions de travail, de l’augmentation de la concurrence, de dépenses plus importantes pour contrer la pollution, etc. Cette situation conduira à la crise des années 70 qui se manifeste par une augmentation du chômage et de l’inflation (stagflation). La solution à ce problème se trouve encore une fois dans la mondialisation afín d’augmenter les exportations. Les politiques économiques d’inspiration keynésienne sont rapidement remises en question. Plutôt que de stimuler la demande, il faudrait stimuler l’offre en baissant les impôts et en diminuant les interventions de l’État pour favoriser l’action des entreprises en leur donnant plus de liberté. C’est une reprise des politiques libérales affinées par la mathématisation de l’économie opérée au XXe siècle par l’économétrie. Au plan économique, Milton Friedman et Friedrich A. Hayek, pour ne nommer qu’eux, sont les représentants de cette approche libérale renouvelée. Au plan politique, les dirigeants qui mettront en branle ces mesures sont emblématiquement représentés par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. C’est ainsi qu’au début des années 80, un courant néolibéral est en vogue, courant qui emprunte certes aux idées libérales du XIXe siècle, mais qui les adapte à la réalité contemporaine. Pour le distinguer du libéralisme du XIXe siècle, il sera appelé néolibéralisme. C’est ce terme que j’utiliserai8.

En résumé, devant la crise des années 1970, !’interventionnisme de l’État est vivement critiqué et est identifié comme une des causes de cette crise. Il se produit un recours aux idées libérales pour revendiquer une diminution du rôle de l’État. C’est ce qui fait dire à Michel Beaud et à Gilles Dostaler : «Si la révolution keynésienne a consisté à fonder des politiques économiques visant à faire reculer le chômage, en insistant sur le rôle stratégique de la demande effective, laquelle implique l’incertitude et les anticipations, il est difficile de ne pas voir dans ces nouvelles écoles [celles qui critiquent

Je m’oppose ainsi à Jean-Claude St-Onge qui conteste la nouveauté du «néo»-libéralisme. Pour lui, il ne s’agirait que d’un retour aux idées libérales et le cadre conceptuel du néolibéralisme «est fondamentalement le même que celui des fondateurs du libéralisme classique». (J.-C. ST-ONGE,

L'imposture néolibérale. Marché, liberté et justice sociale, Montréal, Les Éditions Écosociété, 2000, P- 16.)

1 ’interventionnisme et qui préconisent la réduction du rôle de l’État] les manifestations d’une puissante contre-offensive libérale9.»

1.3 Les effets du néolibéralisme et les réactions suscitées

C’est ainsi que depuis vingt ans, le néolibéralisme occupe le haut du pavé. Si les politiques néolibérales avaient pour but de résoudre la crise des années 70, les problèmes qu’elles ont créés n’ont pas manqué de susciter des réactions. Un premier type de réaction se retrouve chez ceux qui ont vu les effets concrets des politiques néolibérales. Au plan théorique, il peut sembler logique de réduire le rôle de l’État si son interventionnisme dans l’après-guerre a été une des causes de la crise des années 70. Toutefois, jusqu’où doit aller cette réduction? Doit-on l’exiger des pays qui sont en émergence au plan économique et qui semblent avoir besoin de l’État pour contrôler ce développement? Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, ancien conseiller de Bill Clinton et ancien vice-président de la Banque mondiale, est de Ceux qui préconisent une solution de compromis : donner plus de liberté au marché tout en maintenant un État. Il écrit : «J’avais étudié les insuffisances des marchés et celles de l’État, et je n’avais pas la naïveté de croire que l’État pouvait pallier toutes les lacunes des marchés. Je n’étais pas non plus fou au point d’imaginer que les marchés allaient résoudre par eux-mêmes l’ensemble des problèmes sociaux10.» Lorsqu’il arrive à la Banque mondiale, il s’aperçoit rapidement que les intérêts priment sur les idées et que le néolibéralisme sert de justification théorique. Il s’ensuit alors des effets néfastes pour les populations soumises aux diktats de la Banque mondiale ou du FMI : «on prétend aider les pays en développement alors qu’on les force à ouvrir leurs marchés aux produits des pays industriels avancés, qui eux-mêmes continuent à protéger leurs propres marchés. Ces politiques sont de nature à rendre les riches encore plus riches, et les pauvres encore plus pauvres - et plus furieux11.» Au fond, les politiques néolibérales permettent aux pays occidentaux de conquérir de nouveaux marchés en obligeant les pays plus pauvres à abolir toute restriction au libre échange. Toutefois, ceux-ci ne sont pas préparés à faire face à la

M. Beaud et G. D0STALER, La pensée économique depuis Keynes, Paris, Éditions du Seuil (coil. «Points Économie», E40), 1996, p. 187-188.

J. E. STIGLITZ, La grande désillusion, Paris, Librairie Arthème Fayard (coil. «Le livre de poche», 15538), 2002, p. 22.

STIGLITZ, La grande désillusion, p. 25.

concurrence des grandes compagnies. Il s’ensuit de graves crises sociales chez les pays plus pauvres. Devant les impacts concrets du néolibéralisme, Stiglitz n’a pas pu fermer les yeux.

11 a quitté la Banque mondiale et a écrit ses réflexions sur la situation actuelle et sur son expérience12.

Stiglitz est un exemple parmi d’autres d’individus qui ont été confrontés aux politiques néolibérales et qui ont réagi en dénonçant leurs effets sur les pays pauvres.

D’autres ont réagi aux conséquences qui se produisent à l’intérieur même des pays riches.

Si ces derniers protègent leur marché tout en exigeant des pays pauvres une ouverture complète des leurs, cela ne signifie pas que le néolibéralisme soit une arme utilisée seulement contre les États moins bien nantis. À l’intérieur même des États occidentaux, une tendance se fait sentir depuis les années 80 pour diminuer le rôle de l’État et pour déréglementer le marché. Il se fait ainsi des coupures dans les programmes sociaux tandis que les gouvernements tentent le plus possible de réduire les impôts. Les pauvres reçoivent moins et les riches redonnent moins à la société. De plus, pour donner aux entreprises une plus grande flexibilité, il faut qu’elles puissent trouver rapidement des travailleurs en cas de besoin tout en gardant le privilège de congédier en tout temps. C’est ce qui fait dire à Pierre Bourdieu qu’il existe une violence structurale du chômage associée au néolibéralisme.

Selon Bourdieu, «le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique : la condition du fonctionnement “harmonieux” du modèle micro-économique individualiste est un phénomène de masse, l’existence de l’armée de réserve des chômeurs13.» Bref, que ce soit au plan national ou international, des penseurs se sont sentis interpellés par la situation actuelle de l’économie dominée par le néolibéralisme et par ses effets, surtout sur les plus pauvres.

Le sociologue Raymond Lemieux a aussi entrepris une réflexion sur la doctrine néolibérale. Il voit dans les revendications du marché un arrière-fond religieux :

12 En plus de La grande désillusion, Stiglitz a publié depuis deux ouvrages. J. E. STIGLITZ, Quand le capitalisme perd la tête, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2003, 416 p., ainsi que B. Greenwald et J. E. STIGLITZ, Économie monétaire. Un nouveau paradigme, Paris, Económica, 2005, 312 p.

b P. Bourdieu, «Cette utopie, en voie de réalisation, d’une exploitation sans limite. L’essence du néolibéralisme». Le monde diplomatique [en ligne]. (Mars 1998), p. 3.

www.monde-diplomatiQue.fr/1998/03/BOURDlEU/10167 (Page consultée le 2 décembre 2003)

Leur mythe principal [celui des valeurs sublimées de la toute-puissance du marché, de !’intelligence technique, du pouvoir sur les choses] est sans doute celui du progrès inhérent au développement technologique, progrès qui ne se reconnaît, d’ailleurs, que dans la mesure où on y croit et qui sert précisément de moteur à la recherche scientifique. Leur dogme majeur est celui de la liberté nécessaire — entendons le non-contrôle — des marchés qui doivent produire naturellement la prospérité. Leurs grands prêtres sont les chefs des entreprises multinationales, leurs synodes se réunissent lors des Sommets politico- économiques, sous la surveillance de leurs institutions curiales (FMI, Banque mondiale, etc.). Leurs prédicateurs prennent le panache des vedettes médiatiques, leurs prêtres en célèbrent les liturgies d’affaires et leurs fidèles (nous tous) s’efforçant d’accorder leurs quêtes de sens aux modèles de réussite structurés par les valeurs signes de la société, prient quotidiennement la chance de leur apporter le salut, se réunissent dans les cathédrales de la consommation et célèbrent dans les liturgies médiatiques14.

Le champ lexical montre bien que, pour Lemieux, le marché en est venu à occuper une fonction religieuse : mythe, dogme, prêtre, synode, prédicateur, liturgie, fidèle, salut, cathédrale, etc.

Les théologiens ne sont pas en reste. Devant l’importance prise par l’économie et les revendications du marché à toujours plus de liberté, ceux-ci ne peuvent que se questionner sur la dimension religieuse que semble prendre le marché. Michel Beaudin se demande :

«Le capitalisme néo-libéral n’aurait-il pas le caractère d’un certain type de “religion” et n’obéirait-il pas à une “théologie”, dont la force serait redoublée par l’apparente sécularité

«Le capitalisme néo-libéral n’aurait-il pas le caractère d’un certain type de “religion” et n’obéirait-il pas à une “théologie”, dont la force serait redoublée par l’apparente sécularité