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Chapitre 1 : Le projet de Marcel Gauchet et la religion

5. Deuxième partie du cadre théorique

Dans les deux cas, celui de la pensée marxienne et celui de la pensée asilaire, on retrouve les éléments clés du concept d’idéologie chez Gauchet. Chez l’une comme chez l’autre, la société dirigée est comprise comme formant une unité, une masse dont il faut abolir les divisions, que ce soit par la révolution ou par le contrôle de l’asile. De plus, il existe un projet qui, croit-on, se réalisera dans l’avenir à partir des actions de l’homme.

Celui-ci doit agir maintenant pour atteindre le but : une société sans classes ou une société de personnes saines mentalement. Enfin, ces idéologies ne réussiront pas à rallier tout le monde. Il y aura des opposants au projet marxiste et l’asile sera constamment remis en question. L’idéologie n’arrive pas à faire consensus sur la figure de l’avenir qu’elle propose. Bref, il existe un schème de pensée idéologique qui a influencé les projets des XIXe et XXe siècles, en particulier le projet de Marx et celui de l’asile.

GAUCHET et SWAIN, La pratique de l'esprit humain, p. 165.

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La modernité accomplie

Les solutions de compromis entre le monde de l’Un et le monde des sphères humaine et céleste séparées ont inspiré les manières de penser jusqu’au XXe siècle, même si le christianisme rendait ce compromis de plus en plus intenable. Toutefois, depuis les trente dernières années, «ces formations de compromis, quelque dénomination qu’on leur applique, se sont dissipées comme un mauvais rêve1». Nous sommes sortis de l’orbite du divin. «La sortie de la religion continue. Nous nous trouvons même à un palier de décompression assez remarquable2.» Ce moment présent que nous vivons sera l’objet de ce chapitre3.

Gauchet, La religion dans la démocratie, p. 28.

Gauchet, La religion dans la démocratie, p. 20.

Des théologiens remettent en cause la notion de sortie de la religion comme épuisement du christianisme. Ceux-ci voient dans le christianisme un vis-à-vis du monde moderne qui est en débat avec lui, comme il a été en débat avec le monde juif et avec le monde païen. La posture de débat serait propre au christianisme. Cette idée se retrouve tant chez Paul Valadier (dans L'Église en procès.

Catholicisme et société moderne, Paris, Flammarion [coll. «Champs», 199], 1989, p. 122-123; cette idée est reprise par Yves Labbé dans «La religion socialement finie?», Nouvelle revue théologique, 111,3 [1989], p. 378.) que chez Christoph Theobald (dans «L'Écriture, âme de la théologie, ou le christianisme comme religion de l'interprétation», p. 127-128.). Dans la même veine, Jean-Louis Schlegel ne voit pas dans le christianisme une sortie de la religion, mais plutôt ce qui a permis de découvrir que «l’essence du religieux n’est pas dans le social». (J.-L. SCHLEGEL, «La religion est-elle finie? À propos de "Le désenchantement du monde" de Marcel Gauchet», Études, 363, 4 [1985], p. 379.) De plus, d’autres auteurs pensent que le monde moderne est incomplet et a besoin de l’apport du christianisme, que ce soit comme éthique (VALADIER, L'Église en procès, p. 121.) ou comme témoin de «la dimension religieuse présente dans toutes les autres sphères de la culture». (J. Richard,

«Société pluraliste, identité nationale et foi chrétienne», dans C. Ménard et F. Villeneuve, dir.,

Je raconterai d’abord l’histoire de cette sortie de la religion selon Gauchet, ou comment les incidences politiques du christianisme (division du monde de l’Un) en sont venues à devenir effectives malgré les solutions de compromis qui se mettaient en place.

Ensuite, j’exposerai ce qui a été mis à nu par la sortie de la religion, c’est-à-dire, dans un premier temps, ce qui permet à une société d’exister et, dans un deuxième temps, ce qui permet à l’homme d’exister comme sujet.

1. Histoire de la sortie de la religion

En Occident, malgré les tentatives pour garder unis les deux mondes, c’est la séparation qui prévaudra. Pourquoi? Parce que l’empire romain démoli a laissé une place à la création d’États-nations indépendants de l’Église, malgré les tentatives pour recréer un empire unifié. À l’opposé, la survie de l’empire romain d’Orient a entraîné la religion chrétienne de cette région de l’Europe à demeurer dans un monde d’unité ontologique.

Ainsi, la dynamique politique qui s’installe alors en Occident, bien qu’elle se pense encore sous l’égide de l’Un, commence à laisser se déployer le possible chrétien d’une séparation des sphères terrestre et céleste. Je présenterai cette histoire en deux temps : le Moyen Âge et le tournant moderne.

1.1 Le Moyen Âge

La première étape donnera le premier rôle aux ambitions pontificales. La chute de l’empire laisse vide l’espace symbolique qui commande depuis des générations la vie politique des communautés. Le pape met de l’avant des ambitions théocratiques qui sont à même de reconstituer un empire plus pastoral que politique : «La véritable communauté chrétienne, réalisation du plus haut dessein terrestre qui se puisse concevoir, ce sera le rassemblement de la totalité des fidèles au sein d’une Cité-Univers, entièrement subordonnée en ses mécanismes exécutifs et en ses rouages d’autorité aux fins éternelles,

Pluralisme culturel et foi chrétienne. Actes du Congrès de la Société canadienne de théologie,

Montréal, Éditions Fides [coll. «Héritage et projet», 50], 1992, p. 213.) À l’opposé, Thierry Laus voit dans le désenchantement un processus qui est à faire. S’inspirant de la déconstruction du christianisme de Jean-Luc Nancy, il écrit : «Le désenchantement semble dès lors à venir, comme un Devoir aussi bien qu’un processus. Tout comme la déconstruction.» (T. LAUS, «La fin du christianisme.

Désenchantement, déconstruction et démocratie», Revue de théologie et de philosophie, 133, iv [2001], p. 485.)

sous la houlette d’un pasteur unique, lui-même l’homme le plus proche de Dieu parmi les hommes exclusivement dévoués au service divin4.» Un véritable royaume spirituel unifié par le roi-pasteur et uni, à travers lui, à Dieu lui-même qui contient le principe de

!’organisation collective. C’est véritablement une reconduction du monde de l’Un. En fait, cela ne peut tenir de par !’originalité du Dieu chrétien. Le Christ, on l’a vu, se situe au bas de la pyramide sociale. Par conséquent, s’occuper de son salut, c’est s’occuper du Dieu autre et non pas d’un Dieu qui tient ensemble et l’ordre social et l’ordre naturel. Cet ordre social et cet ordre naturel ne sont pas liés au salut. Ils sont bons en soi, puisque Dieu s’y est incarné en la personne de Jésus, mais la communion avec le Dieu de Jésus ne passe pas par eux, mais bien par l’intériorité. C’est donc dire que le social et la nature ne doivent pas être gérés par le pouvoir spirituel, aussi théocratique se veut-il. Qui les gérera? La porte est grande ouverte pour un pouvoir temporel.

Gauchet affirme : «En face donc de l’impérialisme pontifical, surgit et se dresse immanquablement l’affirmation de la prérogative princière, et une affirmation offensive, puisque au bout d’elle-même elle porte exigence d’une subordination de l’Église, la relation personnelle à Dieu qu’elle assure devant prendre place à l’intérieur d’une organisation collective dont le principe est hors de sa compétence et aux règles de laquelle il lui faut se plier comme tout un chacun5.» Ainsi se mettent en place deux positions suscitées l’une par l’autre : le souci spirituel de l’Église laisse une place au souci temporel des princes, la domination ecclésiale suscite une possibilité de domination temporelle, puisque même l’Église doit «se plier» à une «organisation collective» dont elle n’a pas à se préoccuper, mais qui mérite de s’y soumettre puisque même le Christ s’y est soumis. En résumé, les prétentions du pape et des rois se situent toujours dans une vision ontologiquement une : la cité de Dieu ou la cité des hommes. Cependant, le conflit qui oppose les deux prétentions travaille lentement l’Occident et l’amène à sortir de la religion.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 217-218.

Gauchet, Le désenchantement du monde, p. 219.

1.2 Le tournant moderne

Après le Moyen Âge, après que la prétention totalisante du spirituel se soit confrontée à celle du temporel, que se produit-il? Gauchet appelle cette période le «tournant moderne».

Voici ce qu’il en dit :

Le tournant moderne, le renversement révolutionnaire de logique dont la fécondité continue de nous porter, c’est quand justement [...] on s’accommode de la séparation des termes, quand on la prend comme point de départ, et que du coup, au lieu d’avoir à diviser entre souci du ciel et accomplissement sur terre pour les ajuster, on réalise leur indispensable coexistence en les épousant pleinement l’un et l’autre, en poursuivant l’intégralité de l’un au travers de la complétude de l’autre. La sphère des hommes est complète en elle-même6.

En modernité, il ne s’agit plus d’ajuster le spirituel au temporel ou vice versa; il ne s’agit plus de soumettre l’un à l’autre. Les deux peuvent maintenant coexister «en les épousant pleinement l’un et l’autre» puisque l’autonomie de la sphère terrestre est accomplie, celle-ci étant «complète en elle-même». Cette conception du monde duel trouve une de ses expressions particulières, selon Gauchet, avec la réforme de Grégoire VII qui s’instaure au même moment où le Moyen Âge connaît un «monde plein7» - c’est-à-dire une occupation démographique importante du territoire - qui rend possible la naissance des États modernes. Cette «première» confrontation n’est que le début d’une suite de tension entre les prétentions théocratiques des papes et les prétentions temporelles des rois. Comme plusieurs noyaux étatiques se forment en Occident, les rois modifient les ambitions traditionnelles de tout souverain. D’une logique d’expansion, on passe à une logique d’approfondissement. Il ne s’agit plus d’agrandir le royaume pour en faire un empire : il s’agit plutôt de bien circonscrire le territoire qui appartient à la nation et à !’administrer. En même temps, le roi, même s’il est de droit divin, n’est plus le médiateur obligé avec Dieu, puisque l’Église s’occupe de cette fonction. Il s’ensuit qu’au bout du compte, il devient de plus en plus logique de passer d’un régime de droit divin à un régime de représentativité :

«Le pouvoir politique aura désormais pour laboratoire les bornes de la particularité nationale, Γuniversalité résultant de l’adéquation interne du corps politique à lui-même, telle que produite par l’action d’un pouvoir d’administration, appelé à terme, par le développement du principe de correspondance de la collectivité à elle-même qu’il met en

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 221.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 113-130,222.

œuvre, à se muer en pouvoir par représentation8.» Bref, il s’agit de plus en plus de permettre au corps politique une «adéquation interne à lui-même» et non plus à une origine ancestrale ou divine.

Cette autonomisation du politique ne s’est pas effectuée par une quelconque

«laïcisation» des pouvoirs temporels «comme si les valeurs sacrales s’exténuaient et refluaient au profit des valeurs profanes9». Il s’agit plutôt, selon Gauchet, «d’une transfusion de sacralité dans le politique, mais d’une sacralité spécifique, sui generis, surgie par fracture d’avec la sacralité cléricale et concurremment à elle10.» Il ne s’agit pas d’une perte d’influence de l’Église, comme si le protestantisme venait remplacer le catholicisme.

En fait, la dynamique est à l’œuvre autant dans le catholicisme que dans le protestantisme.

En ce sens, il n’y a pas «exténuation» des «valeurs sacrales». Il se produit plutôt un déplacement du sacré qui en change la teneur. Le sacré politique n’est plus de l’ordre de la médiation. Il agit plutôt comme une reconnaissance de l’autonomie de la sphère terrestre par rapport au Dieu autre. Reconnaître cette autonomie, c’est aussi reconnaître l’altérité de Dieu et !’impossibilité de toute médiation entre les deux mondes - ce sera la revendication de la Réforme. Il survient une réduction de l’altérité qui commandait, en religion pure, toute l’activité. Cette altérité est comme absorbée dans la sphère humaine : «chaque secteur d’activité, politique, intellectuel, économique et technique, devenant le creuset d’une réabsorption de l’ancienne altérité structurante11». Chacun de ces secteurs n’est plus commandé de l’extérieur. Il devient possible de s’ouvrir à l’autre présent dans le monde, que ce soit l’autre comme monde, comme conscience, comme nature, etc. Avec le déploiement du possible moderne, l’humanité ne s’approprie pas une identité transparente à elle-même. Il reste une altérité, mais elle se situe maintenant dans le monde. «Autour de 170012»,'tout cela se révèle comme acceptable. Gauchet parle alors de «sortie de la religion» comme «fin du rôle de structuration de l’espace social13». Ce n’est plus de

!’extérieur que le monde est commandé. Tout se passe à l’intérieur. En résumé, de

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 226.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 229.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 226.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 232.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 232.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 233.

!’hétéronomie à l’autonomie, l’Occident est passé d’une altérité commandante à une altérité constituante. Il y a eu «métabolisation de la fonction religieuse14».

C’est cette reconnaissance de l’autonomie terrestre qui, une fois l’âge des idéologies terminé, a vraiment pris consistance effective. Depuis une trentaine d’années, les Occidentaux, et même les «religieux» parmi eux, vivent maintenant en acceptant et en reconnaissant l’autonomie du monde terrestre. Gauchet écrit : «Le processus de sortie de la religion [...] est en train de transformer la religion elle-même pour ses adeptes15.» Il existe une manière nouvelle de comprendre l’homme et la société qui se diffuse même dans le monde religieux.

2. La sociologie transcendantale

Après avoir parcouru l’histoire pour mieux comprendre comment s’est effectuée, petit à petit, la sortie de la religion, il importe maintenant de faire ressortir ce qui rend possible le corps social. Ces conditions de possibilité ont été dévoilées par la sortie de la religion et caractérisent la «modernité accomplie16». Je présenterai d’abord ces conditions.

Ensuite, j’exposerai l’analyse que Gauchet donne de la situation actuelle.

2.1 Les conditions de possibilité de la société

Une première condition de possibilité de la société est la division. L’unité entre le sujet, le collectif et le principe fondateur volera en éclats avec l’avènement de la démocratie. Gauchet affirme : «c’est l’antagonisme de la société avec elle-même qui la fonde en tant que société, qui lui permet d’exister, qui la fait tenir ensemble17.» Les sujets n’ont pas à être unis avec le collectif. Au contraire, l’État est maintenant compris comme une instance véritablement séparée de la communauté. De plus, l’union avec le fondement n’est plus une nécessité absolue. Au contraire, !’expression des différences de points de vue constitue le jeu de la démocratie. La société demeure sujette d’elle-même, mais dans un

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 234.

GAUCHET, La religion dans la démocratie, p. 22.

L’expression est dérivée de ce qu’affïnne Gauchet : «on a plutôt affaire à un accomplissement de la modernité qu’à un arrachement à ses valeurs.» (GAUCHET, La démocratie contre elle-même, p. XV.) Gauchet, «L'expérience totalitaire et la pensée de la politique», p. 18.

autre sens que celui premièrement entendu. «Ce n’est pas la présence qui la [la subjectivité]

constitue, c’est la différence. Ce n’est pas la conjonction avec soi qui l’articule, c’est la division d’avec soi18.» C’est la fin d’une unité, mais c’est le début de la conscientisation que !’Autre n’est plus dans le ciel, mais bien dans l’autre qui occupe le social et qui empêche d’en faire une totalité. Par conséquent, la pensée politique moderne sera un long effort pour conceptualiser cette altérité immanente.

Un autre effet du passage d’une société hétéronome à une société autonome apparaît dans le rapport au temps des démocraties. Si les sociétés primitives avaient un rapport privilégié avec le passé, les modernes s’organisent davantage en fonction du futur.

«L’avenir est l’orientation temporelle obligatoire, la légitimité faite temps, d’une société supposée détenir son principe d’ordre en elle-même19.» En effet, si la légitimité ne vient pas de Dieu, elle provient des actions humaines qui ont une fin qui ne vient pas d’ailleurs, mais qui se trouve dans la sphère humaine. Cette fin devient une fin temporelle, une fin dans le temps. C’est une des conditions qui rendent possible la subjectivité sociale. La réflexivité collective est nécessaire parce que le groupe social n’est pas totalement présent à lui-même. Se comprendre demande du temps et s’effectue en référence à un autre : «ce qui sera20». Cet autre se présente au sein de la sphère terrestre. Cependant, il s’agit d’un «soi d’une espèce extrêmement particulière, puisque destiné toujours à être rejoint, en dépit de sa transcendance toujours renaissante, puisque promis à devenir soi, dans la course sans terme après un horizon qui recule21.» «Ce qui sera» sera «nous», mais ce «nous» n’est jamais atteignable. Chaque période apporte de nouveaux éléments qui éloignent toujours davantage l’atteinte d’une identité sûre. L’homme intègre le changement social dans sa pensée en effectuant une réflexion toujours à perfectionner pour atteindre un jour la vérité sur soi, vérité dont la possession devient un horizon de plus en plus loin. En résumé, le social s’institue à partir d’un pôle séparé de lui et qui ne se situe plus dans l’au-delà, mais dans la temporalité de la sphère humaine.

Gauchet, Le désenchantement du monde,p. 253.

Gauchet, Le désenchantement du monde,p. 254.

GAUCHET, Le désenchantement du monde,p. 255.

GAUCHET, Le désenchantement du monde,p. 256.

Une société qui accepte que l’avenir soit ouvert se donne un État ayant des caractéristiques particulières. Tout d’abord, il se forme une bureaucratie importante. Cela peut sembler contradictoire avec l’idée que l’État ne peut plus exercer un pouvoir contraignant puisqu’il ne possède pas la clé de l’histoire. En fait, plus le corps social s’ouvre aux différences en son sein, plus celles-ci appellent une structure pour les gérer.

«La puissance multiforme des agents et des groupes [...] requiert l’appui régulateur de ses investissements [les investissements de l’État] comme sa puissance structurante de contrôle22». En même temps, plus l’État se développe pour assurer une base à l’expression des différences, plus la bureaucratie qu’il met en place se veut représentative de celles-ci.

Au fond, reconnaître que l’avenir est infigurable oblige chaque homme à travailler la sphère terrestre sans but collectif précis, en mettant sa singularité en jeu. Gauchet résume le défi :

«Plus il s’avère que nous n’en [l’avenir] savons décidément qu’une chose : c’est qu’il sera autre que ce que nous sommes en mesure de nous représenter, plus cette confrontation à nos limites nous oblige à nous assumer comme auteurs d’une histoire que rien ni personne ne détermine du dehors et qui ne comporte qu’une énigme : la nôtre23.» D’autre part, l’État assure une permanence, étant donné que la prise en compte du futur appelle une structure qui permette à la collectivité de se penser tout en sachant que cet exercice de réflexion ne cessera jamais. C’est ainsi que naissent des «personnes morales» : «la couronne, le royaume, le corps politique, plus tard, l’État, la Nation24». Alors que l’autorité politique devient de plus en plus impersonnelle, le groupe social en vient à se personnifier :

«L ’ impersonnalité essentielle du pouvoir est un effet de la personnification du collectif - État ou Nation - supposé réellement le détenir, laquelle découle de sa perpétualisation25.»

Comme c’est le collectif qui détient le pouvoir, ses représentants doivent être à l’écoute de ce qui s’y passe et ne peuvent diriger indûment sans être attentifs à ce qui s’y vit. Bref, il existe deux caractéristiques importantes de l’État moderne : la bureaucratie et la

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 263.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 267.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 269.

GAUCHET, Le désenchantement du monde, p. 269-270.

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personnification de l’État26. Ainsi, ce qui assure l’identité en modernité, c’est le

personnification de l’État26. Ainsi, ce qui assure l’identité en modernité, c’est le